Refus d’étendre le recours Béziers II aux décisions refusant de renouveler un contrat administratif
La rationalisation des pouvoirs du juge du contrat initiée avec les arrêts « Béziers » (c’est-à-dire principalement Béziers I s’agissant de l’arrêt CE, 28 décembre 2009, Commune de Béziers, n°304802, et Béziers II s’agissant de l’arrêt CE, 21 mars 2011, Commune de Béziers, n° 304806) est venue rénover en profondeur le contentieux des contrats administratifs. Pour autant, ce bouleversement n’implique pas de donner aux parties le pouvoir de contester devant le juge du contrat l’ensemble des mesures prises en application d’un contrat administratif. C’est ce que vient rappeler l’arrêt Société Fêtes Loisirs (CE, 21 novembre 2018, Société Fêtes Loisirs, n° 419804).
La société Fêtes Loisirs a conclu avec la ville de Paris, en date du 4 juillet 2016, une convention d’occupation du domaine public prévoyant l’exploitation d’une grande roue et de trois structures de vente annexes place de la Concorde. La convention avait été conclue pour une durée de deux ans renouvelable deux fois. Par un courrier envoyé le 1er décembre 2017 à la ville de Paris, la société Fêtes Loisirs lui a demandé de confirmer le renouvellement de la convention au-delà du terme de la première période de deux ans. Néanmoins, par un courrier en date du 21 mars 2018, la directrice de l’attractivité et de l’emploi de la ville de Paris a notifié à la société la décision de la ville de ne pas renouveler la convention.
La société Fêtes Loisirs a alors décidé de saisir le tribunal administratif de Paris d’une requête tendant à l’annulation de cette décision de non-renouvellement et à la poursuite des relations contractuelles, c’est-à-dire un recours de plein contentieux dit Béziers II. Concomitamment au dépôt de cette requête, la société Fêtes Loisirs a déposé, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, un recours devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris tendant à la suspension de la décision de non renouvellement, à ce que soit ordonné le maintien provisoire des relations contractuelles jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur la légalité de cette décision, et à ce que soit enjoint à la ville de Paris de répondre aux questions posées par sa demande du 1er décembre 2017 de connaître les dates de début et fin de la période d’exploitation 2018-2019. Par une ordonnance en date du 28 mars 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande au fond, sans toutefois prendre position sur la recevabilité des conclusions dont il était saisi (TA Paris, Ordonnance, 28 mars 2018, société Fêtes loisirs, n° 1803810/9). La société Fêtes Loisirs a donc décidé de se pourvoir en cassation devant le Conseil d’Etat contre cette ordonnance. Ce dernier devait donc trancher, à l’occasion d’un référé, la question de savoir si le recours de plein contentieux aménagé contre les mesures de résiliation afin de permettre la reprise des relations contractuelles pouvait également être exercé contre les mesures tendant à ne pas renouveler un contrat.
Confirmant l’impossibilité de contester la validité d’un refus de renouveler le contrat (I), le Conseil d’Etat est venu réaffirmer les limites de la jurisprudence Béziers II (II).
I. La confirmation de l’impossibilité de contester la validité d’un refus de renouveler un contrat administratif
En décidant que le recours Béziers II était irrecevable contre une décision refusant de renouveler un contrat (A), le Conseil d’Etat est venu préciser une solution antérieurement dégagée (B).
A. L’irrecevabilité d’un recours Béziers II contre une décision refusant de renouveler un contrat
Les contrats administratifs peuvent prévoir expressément la possibilité de les renouveler mais, même dans le cas contraire, les parties peuvent s’entendre pour procéder à un tel renouvellement à l’arrivée du terme de certains contrats. Les conclusions dont était saisi le juge des référés dans le litige objet de la décision commentée sollicitaient la suspension d’une décision refusant explicitement de renouveler un contrat administratif portant occupation du domaine public. La recevabilité de telles conclusions était loin d’être certaine.
En effet, selon une jurisprudence que l’on peut dire « classique », les mesures d’exécution des contrats administratifs prises par l’administration ne peuvent pas, en principe, être annulées par le juge du contrat saisi par les parties. Le Conseil d’Etat jugeait en effet constamment que « le juge des contestations relatives aux marchés administratifs n’a pas le pouvoir de prononcer l’annulation des mesures prises par l’administration à l’encontre de son cocontractant ». Dès lors, le rôle du juge du contrat se limitait à « rechercher si ces actes sont intervenus dans des conditions de nature à ouvrir au profit de celui-ci un droit à indemnité » (CE, 24 novembre 1972, Société des ateliers de nettoyage, teinture et apprêts de Fontainebleau, Rec., p. 753). Il existait toutefois quelques exceptions s’agissant des mesures de résiliation de certains contrats, comme les contrats de concession (CE, 20 janvier 1965, Société des pompes funèbres générales, Rec., p. 42) ou les conventions d’occupation domaniale (CE, 13 juillet 1968, Société des établissements Serfati, n° 73161). Revenant sur cette jurisprudence classique, dans l’arrêt précité Béziers II, le Conseil d’Etat avait permis aux parties à un contrat administratif de saisir le juge du contrat d’un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles et d’assortir ce recours au fond d’un recours en référé tendant à la suspension de l’exécution de la résiliation, afin que les relations contractuelles soient provisoirement reprises.
Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat était précisément saisi du rejet, par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, d’une telle demande de suspension visant non pas une mesure de résiliation mais une mesure refusant de renouveler un contrat d’occupation domaniale. Il a décidé qu’« eu égard à la portée d'une telle décision, qui n'a ni pour objet, ni pour effet de mettre unilatéralement un terme à une convention en cours, le juge du contrat peut seulement rechercher si elle est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à une indemnité ». En conséquence, le recours Béziers II n’est pas étendu à une mesure de non renouvellement. Cela exclut nécessairement la possibilité d’un référé suspension, lequel n’est que l’accessoire du recours de plein contentieux Béziers II. Dès lors, le Conseil d’Etat a rejeté comme irrecevables les conclusions présentées par la société requérante. Ce faisant il a appliqué une solution déjà existante.
B. Une décision précisant une solution dégagée antérieurement
Avant l’arrêt Béziers II, afin de déterminer l’office du juge saisi d’une décision de non renouvellement d’un contrat, la jurisprudence établissait une distinction selon le moment où intervenait cette décision. Lorsque le contrat était parvenu à son terme normal sans reconduction, la jurisprudence estimait que la décision refusant de le renouveler revêtait un caractère extracontractuel et relevait alors de la compétence du juge de l’excès de pouvoir, comme une décision administrative classique (CE, 21 janvier 1983, Association Maison des jeunes et de la culture de Saint-Maur, Rec., p. 14). En revanche, lorsque la décision refusant de renouveler le contrat intervenait alors que la relation contractuelle était toujours en cours, il s’agissait d’une décision prise par l’administration à l’égard de son cocontractant qui n’est pas détachable de cette relation et seul un recours indemnitaire était ouvert au cocontractant insatisfait s’il estimait cette mesure illégale. La solution retenue dans la décision commentée vient confirmer cette approche.
La question de l’extension du recours Béziers II aux mesures de non renouvellement des contrats administratifs s’était déjà posée à deux reprises devant le Conseil d’Etat. Dans un arrêt Office national des forêts (CE, 29 mars 2017, Office national des forêts, n° 403257), le Conseil d’Etat avait déjà été saisi en cassation d’une ordonnance par laquelle un juge des référés avait dû statuer sur une demande de suspension, par le titulaire d'un contrat administratif, d'une décision rejetant la demande de renouvellement présentée en application de l'une des clauses du contrat. Il avait estimé que « le juge du contrat était compétent pour juger de la contestation » mais avait rejeté la requête pour défaut d’objet dès lors qu’elle avait été introduite après le terme du contrat. Autrement dit, il n’avait pas tranché explicitement l’office exacte du juge du contrat dans ce cas (Béziers II ou simple recours indemnitaire) et la recevabilité d’une demande de suspension d’une décision de non renouvellement, celle-ci étant, on le rappelle, une demande accessoire du recours Béziers II et dépendant donc de la recevabilité de celui-ci. L’ambiguïté assez troublante de la formulation de l’arrêt avait d’ailleurs pu laisser penser que le Conseil d’État avait étendu au refus de renouveler un contrat administratif la possibilité d’introduire un recours Béziers II (Voir en particulier G. Eckert, Contestation de la validité du refus de renouveler un contrat, Contrats et Marchés publics n° 6, Juin 2017, comm. 177, article dont certains requérants allaient se prévaloir dans leurs écritures ultérieurement).
Pour autant, saisi un an plus tard en cassation d’une contestation au fond d’une décision refusant de renouveler un contrat administratif, le Conseil d’Etat avait finalement indiqué, dans un arrêt Société Orange (CE, 6 juin 2018, société Orange, n° 411053), que le recours Béziers II n’était pas ouvert dans ce cas. Il avait eu la volonté de clarifier la situation en mettant fin à l’ambiguïté né de l’arrêt précédemment cité et a ainsi pris position à l’invitation de son rapporteur public, R. Victor, qui estimait « opportun » de se prononcer sur ce point et précisait que l’arrêt Office national des forêts « qui n’est d’ailleurs pas fichée sur ce point et multiplie les "en tout état de cause", n’a pas entendu prendre parti sur la question de l’extension du recours Béziers II dans cette hypothèse » (Conclusions sur CE, 6 juin 2018, société Orange, n° 411053). C’est cette solution que le Conseil d’Etat est venu réaffirmer dans la décision commentée, s’agissant d’une demande de suspension introduite en référé.
Appliquant une solution existante, le Conseil d’Etat a néanmoins apporté deux précisions. Il a tout d’abord pris soin de préciser que la règle dont il a fait application « ne constitue pas un revirement de jurisprudence ». Autrement dit, l'impératif de sécurité juridique tenant à ce qu'il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours n’impose nullement en l’espèce que la solution ne soit appliquée qu’aux instances postérieures à la date de lecture de l’arrêt (Voir pour un exemple CE, 4 avril 2014, Département du Tarn et Garonne, n° 358994 s’agissant de l’ouverture aux tiers de l’accès au juge du contrat) puisque cette solution peut être lue, à l’inverse, comme refusant d’étendre le revirement de jurisprudence Béziers II. C’est une précision d’autant plus importante qu’en l’espèce c’est bien le juge qui avait soulevé d’office le moyen tiré de l’irrecevabilité des conclusions. Il a également précisé que cette solution ne vient pas méconnaitre le droit au recours de la société requérante comme celle-ci le faisait valoir. En effet, une telle solution ne ferme pas toute possibilité au titulaire d’un contrat qui estimerait que c’est illégalement qu’un refus de renouvellement lui est opposé : cette décision peut faire l’objet d’un recours de plein contentieux, mais uniquement indemnitaire : il appartiendra alors au juge du fond, s’il estime la mesure illégale, d’indemniser le titulaire du contrat pour les préjudices subis du fait du non renouvellement.
II. La réaffirmation des limites de la jurisprudence Béziers II
Justifiée par la nature de la décision refusant de renouveler le contrat (A), la solution retenue par le Conseil d’Etat dans la décision commentée confirme son refus d’une lecture extensive du recours Béziers II (B).
A) Une solution justifiée par la nature de la décision refusant de renouveler le contrat
La solution appliquée par le Conseil d’Etat dans la décision commentée peut s’expliquer par la différence de nature entre la décision de résiliation d’un contrat et la décision refusant de le renouveler. Ces deux décisions ne peuvent en effet être assimilées : outre que la résiliation peut intervenir en application des règles générales applicables aux contrats administratifs, les effets que génèrent ces deux décisions sont très différents : alors que dans un cas il y a rupture d’un engagement avant son terme, dans l’autre cas les obligations réciproques des parties ne sont pas impactées.
Précisément, dans ses conclusions sur l’arrêt précité Société Orange, R. Victor estimait « légitime que le juge dispose, en cas de résiliation, d’un levier pour contraindre l’administration, s’il l’estime nécessaire, à exécuter des engagements qu’elle a contractuellement souscrits et maintenir ainsi le contrat jusqu’à son terme, la compensation pécuniaire résultant de l’octroi d’une indemnité n’étant pas jugée suffisante », mais injustifié « d’investir le juge du pouvoir de maintenir la relation contractuelle contre la volonté de la partie publique au-delà du terme normal que les parties avaient elles-mêmes fixé comme celui marquant, en principe, la fin de leurs engagements respectifs ». En effet, par définition, le cocontractant n’a aucun droit acquis à la poursuite de la relation contractuelle après le terme du contrat. La solution appliquée par le Conseil d’Etat conduit ainsi à refuser d’assimiler la décision de résiliation d’un contrat et la décision refusant de le renouveler et à qualifier la seconde, lorsqu’elle intervient avant le terme du contrat, de simple mesure d’application du contrat.
Précisons que, pour les tiers au contrat, la décision de non renouvellement conserve bien évidemment un caractère extra contractuel. Elle peut donc être contestée par la voie du recours pour excès de pouvoir et le juge administratif exerce un contrôle de légalité normal dessus. Il a récemment précisé, dans un arrêt Commune de Port-Vendres où il était saisi d’un déféré préfectoral contestant un refus de renouveler une convention d’occupation domaniale par un déféré préfectoral, que le juge contrôle l’existence d’un motif d’intérêt général justifiant le refus de renouveler en tenant compte, « le cas échéant, parmi l'ensemble des éléments d'appréciation, des contraintes particulières qui pèsent sur l'activité de l'occupant, notamment de celles qui peuvent résulter du principe de continuité du service public » (CE, 25 janvier 2017, Commune de Port-Vendres, n° 395314). Il semble d’ailleurs que, dans l’ordonnance dont avait à connaitre le Conseil d’Etat dans la décision commentée, le juge des référés se soit inspiré de cette solution pour opérer son contrôle au fond de la décision querellée.
B) Une solution confirmant le refus d’une lecture extensive du recours Béziers II
La question de savoir s’il conviendrait d'étendre l'application de la jurisprudence Béziers II à d'autres mesures d'exécution contractuelles a fait débat en doctrine et jusqu’au sein même de la juridiction administrative (Voir par exemple TA Lille, 20 février 2013, Société eaux du Nord, n°1005463).
La grande idée du recours Béziers II était de permettre au cocontractant, lorsque la résiliation d’un contrat paraît injustifiée, de pouvoir la paralyser plutôt que d’être réduit à obtenir une indemnisation, par surcroit souvent nettement postérieure à la date de résiliation. Cette faculté est censée offrir plus de sécurité juridique aux cocontractants de l’administration : il s’agit de moderniser les relations entre les parties au contrat administratif en protégeant davantage les intérêts économiques des partenaires de l’administration. L’enjeu d’étendre ce recours à d’autres décisions, comme celle refusant de renouveler le contrat, est donc de renforcer la situation du cocontractant au détriment des prérogatives de l’administration contractante. Une extension aux décisions refusant de renouveler le contrat aurait pu être justifiée par le fait qu’en pratique il arrive dans certains cas que l’administration qui veut se séparer d’un cocontractant sans pour autant pouvoir justifier d’un motif d’intérêt général ou d’une faute utilise cette faculté, en désespoir de cause, parce que le contrat le lui permet, quitte à devoir attendre. C’est cette situation qui génère un important contentieux, les cocontractants réagissant rarement bien à ce type de mesure qu’ils envisagent, à tort ou à raison, comme une sanction. En refusant d’aller dans ce sens, le Conseil d’Etat est néanmoins resté fidèle à une ligne jurisprudentielle ferme.
Il est en effet resté constant dans son refus de procéder à la moindre extension du recours Béziers II. C’est d’abord le cas pour les décisions de modification unilatérale du contrat (CE, 15 novembre 2017, Société les fils de Mme Géraud, n° 402794). Ce type de décision est certes plus rare en pratique qu’une décision refusant de renouveler un contrat mais son impact peut être très important sur les bonnes relations entre les parties. Le même refus a été opposé à plusieurs mesures d’application du contrat : il a ainsi refusé d’ouvrir ce recours aux mises en demeure adressées aux titulaires d’un convention concédant des emplacements de vente (CE, 23 décembre 2011, Halfon, n° 323309), aux décisions n'ayant pas pour objet de résilier un marché à bons de commande mais d'interrompre l'exécution d'une prestation (CE, 25 octobre 2013, Région Languedoc-Roussillon c/Association Trajets, n° 369806) ou encore à celles mettant en demeure le cocontractant de procéder à la mise en valeur de terrain qui lui a été attribué par une convention d’occupation domaniale (CE, 27 mars 2015, M. Gyurenka, n° 372942). De ce point de vue, la solution retenue dans la décision commentée est en parfaite cohérence avec la jurisprudence antérieure du Conseil d’Etat dont elle constitue le prolongement logique : dans tous les cas, le juge a clairement voulu limiter la voie de droit particulière ouverte par l’arrêt Béziers II aux seules décisions de résiliation d’un contrat administratif. Cette jurisprudence constitue donc bien une exception à la jurisprudence classique relative aux mesures d’exécution du contrat et n’appelle pas d’extension.
In fine, on peut néanmoins relever que la solution retenue dans la décision commentée, qui vient fermer au cocontractant de l’administration une voie de droit efficace s’agissant de décisions qui génèrent un contentieux abondant, a peu de chance de venir tarir celui-ci ; il se déplacera simplement sur le terrain indemnitaire.