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Cabinet d'avocat à Paris

Précisions sur la saisine du juge par l’administration contractante afin de récupérer une créance contractuelle

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Particulièrement précieuse, la décision Société Ryanair Designated Activity Company et société Airport Marketing Services Limited (CE, 15 décembre 2017, Société Ryanair Designated Activity Company et société Airport Marketing Services Limited, n° 408550) offre l’occasion de rappeler les règles qui régissent la saisine du juge administratif par l’administration s’agissant de litiges contractuels pécuniers.

Les faits à l’origine du litige sont marqués par une relative complexité et de nombreux développements contentieux. Propriétaire de l’aéroport d’Angoulême, le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) a conclu deux contrats en date du 8 février 2008 avec les sociétés Ryanair Ltd et Airport Marketing Service Ltd ayant pour objet le développement d’une liaison aérienne régulière entre les aéroports de Londres-Stansted et d’Angoulême. Sur saisine de la société Air France, la Commission européenne a prescrit, dans une décision 2015/1227 du 23 juillet 2014, la récupération immédiate et effective d’aides d’Etat incompatibles avec le marché intérieur accordées par le SMAC aux société Ryanair Ltd et Airport Marketing Services Ltd (AMS), dans le cadre de l’exécution de ces contrats. Afin d’exécuter cette décision, le SMAC a émis un titre exécutoire en date du 9 octobre 2014 d’un montant de 1 001 431,27 euros à l’encontre des deux sociétés.

En réaction, les deux sociétés concernées ont concurremment introduit un recours en annulation contre la décision de la Commission européenne devant le Tribunal de l’Union européenne et formé opposition au titre exécutoire devant le tribunal administratif de Poitiers. Celui-ci a rejeté leur demande par un jugement en date du 2 février 2017 dont elles ont relevé appel (TA Poitiers, 2 février 2017, Ryanair limited et Airport marketing services limited, n°1403362). Elles ont également résilié unilatéralement les contrats les liant au SMAC et porté le différend les opposant à celui-ci devant le tribunal d’arbitrage international de Londres qui a condamné, le 18 juin 2012, le SMAC à leur verser une indemnité d’un montant de 425 887,24 euros (le Tribunal des conflits a depuis précisé que la juridiction administrative était compétence pour se prononcer sur une demande tendant à l’exequatur de cette sentence arbitrale TC, 24 avril 2017, Syndicat mixte des aéroports de Charente c/ sociétés Ryanair Limited et Airport Marketing Services Limited N° 4075).

Les sociétés ayant entendu opérer une compensation des dettes et des créances pour finalement ne verser au SMAC que la somme de 510 137,71 euros, celui-ci a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers, sur le fondement des dispositions de l’article R. 541-1 du code de justice administrative, afin qu’il condamne les deux sociétés à lui verser une provision de 868 696 euros, augmentée des intérêts et déduction faite de la somme de 510 137,71 euros déjà versée. C’est à cette requête que le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a fait droit, par une ordonnance du 25 octobre 2016 (TA Poitiers, Ordonnance, 25 octobre 2016, SMAC, n° 1601215), laquelle fut confirmée par le juge des référés de la Cour administrative d’appel de Bordeaux (CAA Bordeaux, Ordonnance, 14 février 2017, Société Ryanair Designated Activity Company et société Airport Marketing Services Limited, n° 16BX03597). C’est de cette seconde ordonnance que le Conseil d’Etat était saisi par la voie de la cassation par les deux sociétés, parties perdantes en appel.
En déclarant irrecevables les conclusions présentées par le SMAC devant le juge des référés à raison de l’impossibilité de cumuler saisine du juge et émission d’un titre pour la même créance (I), le Conseil d’Etat a fait une application de la règle classique au privilège du préalable (II), confirmant ainsi l’assimilation du titre exécutoire et de la décision juridictionnelle (III).

I. L’impossibilité pour l’administration contractante de cumuler saisine du juge et émission d’un titre pour la même créance.

Le litige que le Conseil d’Etat devait juger dans la décision commentée ne mettait pas en cause le fond du droit ; il tendait à faire déclarer irrecevables les conclusions présentées par le SMAC devant le juge du référé provision. En effet, à l’occasion de leur pourvoi, les sociétés soutenaient que la requête introduite par le SMAC devant le juge du référé aurait dû être rejetée comme étant irrecevable pour au moins trois raisons. C’est l’analyse de ces trois raisons qui permet de saisir tout à la fois l’argumentation du pourvoi et le raisonnement suivi par le juge dans la décision commentée.

1) Cette irrecevabilité ressortirait tout d’abord du fait qu’elle faisait obstacle au caractère suspensif de l’opposition formée contre le titre de recettes. Si le Conseil d’Etat n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce moyen, la lecture des conclusions du rapporteur public, O. Henrard, permet de relever son absence de bien-fondé. En effet, l’article L. 1617-5 du Code général des collectivités territoriales prévoit le caractère suspensif du titre exécutoire du recours ayant pour objet d’en contester le bien-fondé. Effectivement, une personne publique qui voit la validité d’un titre de recettes qu’elle a émis être contestée devant le juge ne peut en poursuivre l’exécution et sur ce fondement, le juge refuse également qu’elle présente une demande de provision au juge des référés (CE, 11 mars 2011, Syndicat mixte pour la valorisation touristique du pic du Midi, n° 337428). Bien que ce moyen parût ainsi parfaitement fondé en l’espèce, c’est la nature de la créance qui faisait échec à l’application de cette jurisprudence. En effet, s’agissant de la récupération d’aides d’Etat illégales, la Cour de justice de l’Union européenne considère que la règle de l’effet suspensif du recours contre le titre de recettes doit être laissée inappliquée pour ne pas retarder la récupération des aides (CJUE, 5 octobre 2006, Commission c/ France, C-232/05). De sorte qu’en l’espèce, cette irrecevabilité n’était, en tout état de cause, pas opposable à la requête.

2) Les deux autres moyens soulevés à l’occasion du pourvoi étaient relatifs à la recevabilité de la requête initiale du SMAC en tant qu’elle visait à recouvrer une créance de nature contractuelle. Tout d’abord, le pourvoi indiquait qu’elle serait irrecevable faute pour la créance mise en avant de trouver réellement son origine dans un contrat. Néanmoins, comme le relevait O. Henrard dans ses conclusions, la notion de créance trouvant son origine dans un contrat est entendue relativement largement par la jurisprudence. Ainsi, le Conseil d’Etat a pu estimer que trouvait son origine dans le contrat une action indemnitaire qui, bien que délictuelle, était fondée sur des agissements dolosifs lors de la conclusion du contrat (CE, 24 février 2016, Département de l’Eure, n° 395194). En l’espèce, si c’est dans la décision précitée de la Commission européenne que résulte le constat de l’illégalité des aides au fonctionnement versées à l’origine immédiate de la créance, cette décision était liée aux contrats eux-mêmes, de sorte qu’on pouvait considérer que la créance trouvait indirectement son rattachement dans le contrat. Mais le Conseil d’Etat ne s’est pas prononcé sur ce moyen dès lors qu’il a choisi de faire droit au dernier moyen tiré de l’irrecevabilité de la requête du SMAC en raison de l’émission préalable d’un titre de recettes.

3) Car c’est bien la possibilité pour l’administration de solliciter du juge qu’il condamne son cocontractant à lui verser une somme due à raison des stipulations contractuelles qui était au cœur du litige. Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a fait droit à ce moyen en jugeant, par un considérant de principe extrêmement clair que si les collectivités publiques peuvent, en matière contractuelle, saisir le juge administratif d’une demande tendant au recouvrement des créances qu’elles détiennent de leurs cocontractants, « elles ne peuvent pas saisir d’une telle demande le juge lorsqu’elles ont décidé, préalablement, à cette saisine, d’émettre des titres exécutoires en vue de recouvrer les sommes en litige ». Dans ce cas en effet, la décision demandée au juge ayant les mêmes effets que le titre déjà émis, la demande est en réalité dépourvue d’objet. Dès lors, constatant que le SMAC avait émis un titre exécutoire le 9 octobre 2014 pour recouvrer les aides accordées aux sociétés Ryanair Ltd et Airport Marketing Service Ltd – c’est-à-dire une créance identique à celle qui fondait les conclusions devant le juge des référés - le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’était pas recevable à demander par la suite au juge des référés de condamner ces sociétés à lui verser une provision pour la récupération des sommes restant à régler sur ces mêmes aides. Dès lors, l’ordonnance du juge des référés de la Cour administrative d’appel de Bordeaux a été annulée ; réglant l’affaire au fond, le Conseil d’Etat a jugé que la demande présentée par le SMAC devant le juge des référés était irrecevable.

II. L’application de la règle du privilège du préalable

La solution réaffirmée dans la décision commentée tient toute entière dans la règle dite du privilège du préalable et ses aménagements – que d’aucuns qualifient d’exceptions. En vertu de cette règle, réputée avoir été posée à l’occasion de l’arrêt Préfet de l’Eure (CE, 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, Rec., p. 583 ; Sirey, III, p. 9, note Hauriou), l’administration dispose du privilège d’imposer unilatéralement sa position aux administrés sans avoir à s’adresser au juge à cette fin. Qualifiée de « règle » ou de « principe », elle est présentée comme une obligation à la charge de l’administration impliquant l’impossibilité pour celle-ci de saisir le juge lorsqu’elle dispose des moyens d’imposer sa volonté aux administrés. Comme l’a rappelé le Conseil d’Etat « une personne morale de droit public ne peut demander au juge d’ordonner des mesures qu’elle a le pouvoir de prendre elle-même » (CE, 2 juillet 2007, Commune de Lattes, n° 294393). Autrement dit une personne publique est impuissante à faire appel au juge pour obtenir le concours d’une injonction ou d’une condamnation dès lors qu’elle est juridiquement en situation de pourvoir par elle-même à ses besoins au regard des pouvoirs dont elle est dotée. Au contentieux, cette impuissance est fort logiquement sanctionnée d’une irrecevabilité des conclusions qui la méconnaitraient ainsi que l’atteste la décision commentée. Il faut toutefois rappeler qu’ainsi comprise, la règle du privilège du préalable a connu plusieurs aménagements tenant compte de la spécificité de la matière contractuelle.

En premier lieu, le refus de prononcer une injonction à l’endroit du cocontractant de l’administration afin de lui imposer de respecter ses obligations contractuelles, qui a longtemps été bien établi en jurisprudence (CE, 22 mai 1914, Rougier-Labergie, Rec., p. 626), a connu un net reflux. Explicitement justifié par le fait que l’administration dispose elle-même du pouvoir de sanctionner son cocontractant pour non-respect de ses obligations, et donc de le forcer à respecter le contrat (CE, 27 janvier 1933, Le loir, Sirey, III, p. 132, conclusions Detton), le principe est demeuré, mais il a, dans les faits, été vampirisé par l’exception posée par le juge. En effet, quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle », le juge accepte depuis 1956 de prononcer, à l'encontre du cocontractant de l'administration, une condamnation sous astreinte à une obligation de faire - etant précisé qu’en cas d’urgence le juge des référés peut ordonner « toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public » (CE, 13 juillet 1956, Office d’HLM de la Seine, Rec., p. 338, conclusions Chardeau ; RDP, 1956, p. 300, note Waline). Cet assouplissement de la jurisprudence Le loir devait connaître un essor conséquent, qui ne se dément pas de nos jours avec l’avènement du référé dit « mesure utile » (article L. 521-3 du Code de justice administrative). De façon générale, prenant en compte la réalité des rapports de force dans certains contrats administratifs et les enseignements de l’analyse économique des contrats, la jurisprudence paraît aujourd’hui favoriser le recours au juge par l’administration pour faire exécuter une obligation contractuelle (on se permet de renvoyer sur ce point à J. S. Boda, « L’évolution des pouvoirs d’injonction du juge pour faire exécuter les contrats administratifs », Revue française de droit administratif, 2013, n° 6, p. 1061-1069).

En second lieu, la jurisprudence a très tôt admis que l’administration contractante s’adresse au juge non pour voir prononcer une injonction mais pour obtenir une condamnation pécuniaire en application du contrat. Ainsi, s’il ressort d’une stipulation contractuelle prévoyant une pénalité que l’administration peut faire elle-même application de celle-ci, « il n’en résulte pas qu’elle fût privée de la faculté de s’adresser au juge du contrat pour obtenir une condamnation pécuniaire en exécution de la clause pénale stipulée » (CE, 26 décembre 1924, Ville de Paris c. Chemin de fer Métropolitain, Rec., p.1065 ; Sirey, 1925, 3, p. 25, note Hauriou). Comme le relevait M. Hauriou dans sa note sous l’arrêt, celui-ci marquait un « recul de la procédure d’action directe, à laquelle l’administration concédante devient libre de préférer la procédure de condamnation par le juge ». C’est bien dans la nature contractuelle de la relation administration/cocontractant que s’explique le fondement de la dérogation : quelques années plus tard, M. Long fera ainsi valoir que « l’Etat, en contractant, renonce en partie à l’imperium : en biens des cas, (…), il peut faire prendre la décision par le juge » (Conclusions sur CE, 20 avril 1956, Ville de Nice, RDP, 1956, p. 575 conclusions Long). R. Chapus expliquera pour sa part que « le recours pas l’administration au procédé contractuel est considéré comme justifiant qu’elle renonce, en matière de contentieux pécuniaires, à user d’une prérogative dont ses cocontractants ne disposent pas » (in Droit du contentieux administratif, Paris, Montchrestien, 2008, n° 482). L’option laissée à l’administration n’est pas dépourvue d’intérêt pratique lorsque, faisant face à un cocontractant matois dans la lecture qu’il fait du contrat et dans la capacité à en exploiter une ou plusieurs zones d’ombres, l’administration préfère, devant tant d’incertitude, saisir le juge pour obtenir la condamnation à payer des pénalités assortie d’une interprétation juridictionnelle du contrat, plutôt que de risquer de voir de multiples titres de recettes annulés (il faut de sa point de vue rappeler que les titres de recettes sont fréquemment contestés sous l’angle de leur légalité externe, fragilisant la sécurité du recours au titre exécutoire aux yeux de certains administrations).

C’est dans ce cadre jurisprudentiel que la solution rendue dans la décision commentée vient s’inscrire tout en précisant que l’administration doit choisir : elle ne peut saisir le juge pour recouvrer une créance contractuelle si elle a déjà fait usage de ses prérogatives de puissance publique pour ce faire. Cette solution était déjà constamment appliquée par les juges du fond. Ainsi, la Cour administrative d’appel de Lyon a posé pour la première fois la règle « selon laquelle si les collectivités publiques ont le choix, en matière contractuelle, de constater elles-mêmes leur créance et de se délivrer un titre exécutoire, ou bien, de s'adresser au juge, pour les mêmes fins, elles ne peuvent, toutefois, recourir au juge lorsqu'elles ont décidé, avant de le saisir, de faire usage du privilège du préalable qui leur appartient » dès lors dans un tel cas « la décision attendue du juge aurait les mêmes effets que le titre émis antérieurement » (CAA Lyon, 11 juillet 1994, S.A.R.L. France Chauffage Service, n° 94LY00095). Cette solution apparaît comme une simple application du privilège du préalable : comme le relevait O. Henrard dans ses conclusions sur la décision commentée, dans l’hypothèse où la collectivité a décidé de faire usage du privilège du préalable, le principe posé par la décision Préfet de l’Eure « doit retrouver toute sa force ». Il s’agit, pour l’administration qui cherche à obtenir le paiement d’une créance contractuelle par la voie administrative, d’assumer son choix et d’aller au bout de cette démarche.

III. L’assimilation du titre exécutoire et de la décision juridictionnelle

La volonté de ménager une exception à la règle du privilège du préalable en faveur de la personne publique disposant sur son cocontractant d’une créance a constamment été réaffirmée en jurisprudence. Le Conseil d’Etat a ainsi pu juger, par une formulation de principe, « qu'aucune disposition de loi ou de règlement, ni aucun principe général de droit » n’interdit à une commune « de demander au juge administratif la condamnation de l'entrepreneur à lui payer les sommes qu'elle estimait lui être dues à raison des conditions d'exécution d'un contrat plutôt que d'émettre à l'encontre de ce dernier un état exécutoire » (CE, 7 avril 1978, Blum, n° 5559). Selon une terminologie alternative, « alors même qu'il lui appartenait d'émettre un état exécutoire pour le recouvrement de la créance qu'il prétend avoir », un office public d’habitat est « recevable à demander au tribunal administratif (…) de condamner la société à lui payer le montant de cette créance, qui trouve son fondement dans un contrat » (CE, 5 novembre 1982, Société Propetrol, n° 19413).

Pourtant, bien que la solution soit régulièrement appliquée, et malgré la formulation générale des arrêts qui procèdent à cette application, elle a pu parfois nourrir un doute sur son champ d’application. C’est ainsi que les auteurs du traité des contrats administratifs distinguaient entre les sanctions pécuniaires selon qu’elles sont destinées à compenser le préjudice subi par l’administration du fait du comportement du cocontractant ou à provoquer l’exécution des obligations du cocontractant. Il n’y aurait que dans le premier cas - celui où prédomine « l’apurement des comptes contractuels » - que l’administration aurait la possibilité de saisir le juge plutôt que d’émettre un titre exécutoire (A. Laubadère et al., Traité des contrats administratifs, Paris, LGDJ, 1983, n° 906). Concrètement, l’administration disposerait d’une alternative pour recouvrer les dommages et intérêts que son cocontractant lui doit, à savoir saisir le juge afin qu’il condamne le cocontractant à régler la somme dû ou émettre un titre exécutoire à son endroit, alors que s’agissant des pénalités stipulées au contrat, elle aurait l’obligation d’émettre un titre exécutoire pour les percevoir. L’analyse de la jurisprudence permet toutefois d’infirmer une telle lecture dès lors que sont jugés parfaitement recevables les conclusions tendant à la condamnation du cocontractant à payer des pénalités. C’est d’ailleurs à propos de pénalités de retard que la Cour administrative d’appel de Lyon a posé pour la première fois la règle selon laquelle l’émission d’un titre exécutoire rendait impossible la saisine postérieure du juge (CAA Lyon, 11 juillet 1994, S.A.R.L. France Chauffage Service, précité) et de nombreux arrêts confirment ce point s’agissant précisément de pénalités de retard (CAA Douai, 18 octobre 2007, communauté d’agglomération de l’Artois, n° 06DA00849 ; CAA Nantes, 16 octobre 2009, EURL Michel Gourion, n° 09NT00156 ; CAA Marseille, 19 mars 2012, Commune de Saint-Maximin-La Sainte-Baume, n° 10MA00275). Ainsi, l’exception à la jurisprudence Préfet de l’Eure est bien valable pour l’ensemble des créances trouvant leur origine dans le contrat sans qu’il y ait lieu de distinguer la nature de la créance.

Cette solution est logique dès lors que le titre exécutoire est regardé comme équivalent à la décision exécutoire du juge. Cette assimilation, qui expliquait déjà la jurisprudence Préfet de l’Eure, a trouvé une autre conséquence dans l’obligation, pour l’administration, de respecter, préalablement à l’émission du titre exécutoire ou de la saisine du juge, les stipulations contractuelles mettant en place une procédure de conciliation préalable à la saisine du juge qui se trouvent, en pratique, dans de très nombreux contrats. Le Conseil d’État a jugé qu’un recours contentieux est irrecevable en l’absence de respect par le demandeur des stipulations contractuelles prévoyant une procédure de conciliation préalable (CE, 9 décembre 1991, Snoy, n° 84308, jurisprudence confirmée s’agissant de la saisine du juge des référés par CAA Bordeaux, 15 septembre 2011, Commune de Parempuyre, n° 10BX03106). Il a également précisé que de telles stipulations faisaient obstacle à ce que l'autorité concédante émette directement un titre exécutoire à l'encontre de son cocontractant (CE, 28 janvier 2011, Département des Alpes-Maritimes n° 331986), sous peine d’illégalité.

En synthèse, comme a pu le juger la Cour administrative de Versailles à propos de pénalités appliquées par l’administration à son concessionnaire pour non production de certains documents, « en matière de créances d’origine contractuelle, une collectivité publique dispose d’une option entre émettre un titre à l’encontre de son débiteur ou s’adresser au juge du contrat ». Si l’émission d’un titre « dont le caractère exécutoire est équivalent à celui d’une décision juridictionnelle », dispense le cocontractant de l’obligation, stipulée au contrat d’avoir recours, préalablement à toute saisine du juge, à une procédure « de conciliation en cas de contestation relative à l’interprétation ou à l’exécution de ladite convention », à l’inverse, les mêmes stipulations font obstacle à l’émission, par le concédant, d’un titre exécutoire visant à recouvrir des pénalités contractuelles sans mettre préalablement en œuvre la procédure de concertation (CAA Versailles, 22 janvier 2013, Société NC NUMERICABLE, n° 10VE03811).

La décision commentée vient ainsi parachever une jurisprudence claire et cohérente sur les règles encadrant la possibilité pour l’administration de saisir le juge pour obtenir le paiement d’une créance contractuelle.

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