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Cabinet d'avocat à Paris

Responsabilité et faute du tiers

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La décision commentée vient réaffirmer la règle selon laquelle le juge administratif ne peut condamner une personne publique à réparer un dommage in solidum lorsque la faute d’un tiers y a concouru.

Les faits à la base du litige sont simples : un enfant a été blessé à l’œil au cours d’une récréation dans une école de la commune de St Philippe à la Réunion, suite au jet, par un de ses camarades au cours de ce qui semble avoir été un jeu, d’un badame - fruit à la coque dur - qui va causer un dommage ayant des conséquences fonctionnelles pour l’enfant. La mère de celui-ci s’étant porté partie civile devant le Tribunal pour enfant contre l’auteur du jet, elle a saisi la commission d’indemnisation des victimes d’infraction (CIVI) sur le fondement de l’article 706-3 du code de procédure pénale et une transaction a finalement été homologuée permettant l’indemnisation intégrale du dommage par le CIVI.

Reste que, se prévalant des dispositions de l’article 706-11 du code de procédure pénale, selon lesquelles le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et d’autres infractions (FGVI) est « subrogé dans les droits de la victime pour obtenir des personnes responsables du dommage causé par l'infraction ou tenues à un titre quelconque d'en assurer la réparation totale ou partielle le remboursement de l'indemnité ou de la provision versée par lui, dans la limite du montant des réparations à la charge desdites personnes », par une requête enregistrée le 21 aout 2012 au greffe du Tribunal administratif de Saint-Denis, le FGVI sollicitait la condamnation de la commune de St Philippe à lui verser la totalité de la somme qu’elle s’était engagée à régler à la victime, majorée des intérêts au taux légal.

Dans son jugement, le Tribunal administratif a fait droit à l’action subrogatoire en estimant que l’accident en cause était « directement imputable à un défaut de surveillance du personnel communal et ne pouv(ait) être analysé comme la conséquence d’un geste imprévisible ». En conséquence la responsabilité de la commune fut engagée et elle fut condamnée à régler l’évaluation des préjudices telle qu’elle résultait de la transaction, augmentée des intérêts au taux légal (TA Saint Denis, 9 janvier 2014, n° 1200769). La commune ayant relevé appel de ce jugement afin de voir sa responsabilité écartée, elle a sollicité, à titre subsidiaire, que sa responsabilité soit atténuée à hauteur de 75 % en se prévalant de la faute de l’enfant – tiers au litige – ayant lancé le badame. La Cour administrative d’appel de Bordeaux a néanmoins confirmé le jugement en estimant que la faute du tiers « est sans influence sur la responsabilité pleine et entière de la commune envers le FGVI et serait seulement de nature à permettre à la commune d’exercer, si elle s’y croit fondée, une action récursoire contre l’auteur des faits ». Ce faisant, la Cour méconnaissait dans son arrêt une règle, celle de l’impossibilité de condamner la personne publique in solidum en cas de faute du tiers (I) que le Conseil d’Etat a souhaité, statuant en cassation sur cet arrêt, réaffirmer dans la décision commentée (II).


I. La règle : l’impossibilité de condamner la personne publique in solidum en cas de faute du tiers

Le principal moyen de cassation soulevé par la commune était relatif à l’erreur de droit qu’aurait commis la Cour en refusant de rechercher s’il existait un partage de responsabilité entre la faute de la commune et celle du tiers. La Cour administrative de Bordeaux a en effet retenu une responsabilité in solidum de la commune et du tiers, tout en réservant la possibilité à la commune de faire une action récursoire contre le tiers pour engager sa responsabilité pour la part du dommage qu’elle estimerait lui être imputable.

La jurisprudence retient, de longue date, qu’une personne publique n'est, en principe, condamnée par le juge administratif qu'à concurrence de sa part de responsabilité dans la production du dommage, à l’exclusion de toute condamnation solidaire (CE, 11 mai 1951, Dame Pierret, Rec., p. 259). Si cette règle connaît des exceptions – par exemple selon une solution classique, la victime d’un dommage causé par le cumul d’une faute personnelle de l’agent et d’une faute de service, peut demander réparation de l’entier dommage soit à l’agent, soit à l’administration (CE, 3 février 1911, Anguet, Rec, p. 146) – elle n’en demeurait pas moins solidement ancrée en jurisprudence et avait récemment fait l’objet d’une application topique.

En effet, dans l’affaire dite du médiator, de nombreuses victimes de ce médicament avaient recherché la responsabilité de l’Etat en raison des fautes ou carences fautives commises dans l’exercice de ses missions de police sanitaire pour avoir autorisé et ne pas avoir interrompu la commercialisation du médicament avant 2009. A cette occasion, la Cour administrative d’appel de Paris avait cru possible de créer une nouvelle exception à la règle en jugeant que « la circonstance qu'une personne physique ou morale de droit privé soumise au contrôle d'une autorité administrative aurait, dans des conditions dont il appartient au seul juge judiciaire de connaître, commis une faute de nature à engager sa responsabilité civile ne saurait avoir pour effet d'exonérer la collectivité publique au nom de laquelle ce contrôle était exercé de l'obligation de réparer intégralement les préjudices qui trouvent directement leur cause dans la faute commise dans l'exercice de ce contrôle (nous soulignons) » (CAA Paris, 31 juillet 2015, n° 14PA04082). En cassation, le Conseil d’Etat avait annulé l’arrêt sur ce point en jugeant que lorsque l’Etat est engagée sur le fondement de la faute, il peut s’exonérer de réparer intégralement les préjudices « lorsqu'il invoque la faute d'une personne privée qui est seulement soumise à son contrôle, ou à celui d'une autorité agissant en son nom » (CE, 9 novembre 2016, n° 393902). L’affaire ayant été renvoyée à la Cour administrative d’appel de Paris, elle a récemment fait application de l’arrêt du Conseil d’Etat (CAA Paris, 04 aout 2017, n° 14PA04082)

En l’espèce, sans prétendre créer une exception, la Cour avait nénamoins clairement choisi d’ignorer la règle en mettant à la charge de l’Etat la réparation de l’entier dommage indemnisé par le fonds de garantie. C’est sur ce point que son arrêt fut annulé.

II. Une question de principe : la réaffirmation de la règle

A l’invitation de son rapporteur public, L. Marion, le Conseil d’Etat a censuré l’erreur de droit commise par la Cour en précisant qu’elle devait « apprécier si et dans quelle mesure le comportement d'un tiers ayant concouru à la réalisation du dommage était de nature à atténuer la responsabilité de la commune ». En conséquence, l’arrêt a été annulé en tant qu'il se prononçait sur les conclusions subsidiaires par lesquelles la commune de Saint-Philippe demandait à être partiellement exonérée de sa responsabilité.

Ce faisant, le Conseil d’Etat a refusé de revenir sur sa jurisprudence classique. Celle-ci peut pourtant paraître très défavorable aux victimes dès lors qu’elle les contraint à saisir les deux ordres de juridiction pour obtenir réparation intégrale du préjudice. C’est sans doute ce qui explique le souci de pragmatisme des juges du fond, afin d’éviter d’inutiles complications – quand bien même, comme c’est le cas en l’espèce, un fonds de garantie est subrogé dans les droits de la victime. De sorte que la décision commentée paraît marquer la volonté du Conseil d’Etat de préserver la règle davantage qu’un désaccord sur le fond du litige.

En effet, plutôt, comme le lui proposait L. Marion, de renvoyer l’affaire à la Cour administrative d’appel de Bordeaux, le Conseil d’Etat a préféré, sur le fondement de l’article L. 821-2 du Code de justice administrative, régler l’affaire au fond. Or, le juge a relevé à la fois que le tiers avait été relaxé par le Tribunal des enfants, aucune volonté de nuire n’ayant pu lui être imputée et que le personnel de surveillance le jour des faits avait été particulièrement inerte, alors même que le jeu de jet de badame avait commencé. Il en a conclu que « eu égard, d'une part, au jeune âge de l'auteur du jet et au caractère non intentionnel de son geste, d'autre part, au défaut de surveillance fautif du personnel de l'école » il y avait lieu de retenir l'entière responsabilité de la commune de Saint-Philippe dans le dommage subi par la victime. En conséquence, le Conseil d’Etat a finalement validé le jugement du tribunal administratif de Saint-Denis écartant tout partage de responsabilité.

Ce faisant, il a fait application d’un précédent où des faits identiques – blessure à l’œil d’un enfant dans un centre aéré par le jet d’une pomme de pin au cours d’un jeu alors que le dispositif de surveillance était non conforme à la réglementation et défaillant – avaient donné lieu à la condamnation d’une commune à indemniser l’intégralité du préjudice (CE, 26 mars 1982, Commune de Pauilhac, n° 16484). C’est peut-être la connaissance de ce précédent qui avait laissé penser à la Cour qu’elle pouvait statuer comme elle le fit. Cependant la solution finalement donnée au litige par le Conseil d’Etat atteste de la lecture qu’il convenait de faire de l’arrêt Commune de Pauilhac : le juge n’y condamné pas in solidum la commune à réparer le dommage causé, mais constater bien la responsabilité totale de la commune au regard de la défaillance grave dans la surveillance des enfants.

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