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Validation par le Conseil constitutionnel de l'impossibilité de couper l'eau toute l'année

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L’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles, dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l'eau et sur les éoliennes, dite « loi Brottes » énonce que « du 1er novembre de chaque année au 15 mars de l'année suivante, les fournisseurs d'électricité, de chaleur, de gaz ne peuvent procéder, dans une résidence principale, à l'interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d'électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. (..)

Ces dispositions s'appliquent aux distributeurs d'eau pour la distribution d'eau tout au long de l'année ». Ainsi, en application de ces dispositions, en cas de non-paiement des factures d’eau le distributeur ne peut jamais procéder à une coupure d’alimentation. Le législateur a ainsi souhaité organiser un régime dérogatoire, propre à la distribution d’eau, afin d’en assurer la continuité en tout état de cause.

A l’occasion d’un litige devant le juge des référés du Tribunal d’instance d’Amiens relatif à la coupure d’eau d’un usager, la société SAUR a déposé une question prioritaire de constitutionnalité relative au troisième alinéa de l’article L. 115-3 précité. Elle estimait que l'interdiction générale et absolue posée par ces dispositions d'interrompre la distribution d'eau constitue une atteinte excessive à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre, et contrarie par ailleurs les principes d'égalité devant la loi et d'égalité des citoyens devant les charges publiques. Par un arrêt du 25 mars 2015, la Cour de cassation a décidé de transmettre cette question au Conseil constitutionnel en jugeant qu’elle était sérieuse dès lors que la disposition était susceptible de porter une « atteinte excessive à la liberté contractuelle, à la liberté d'entreprendre et à l'égalité des citoyens devant les charges publiques » (Civ. 1re, 25 mars 2015, n° 14-40.056).

La société SAUR faisait tout d’abord valoir que l’interdiction de couper l’alimentation en eau à des foyers qui n’auraient pas payé leur facture constituait une atteinte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle. Elle soutenait en particulier qu’aucune contrepartie n’était prévue à cette interdiction générale et surtout qu’elle n’était pas justifiée par la situation de précarité des usagers. Le distributeur serait ainsi contraint de poursuivre l’exécution de ses obligations contractuelles face aux situations d’impayés, quel que soit le cas de figure.

Selon le Conseil constitutionnel, en ne limitant pas l’interdiction de couper l’eau à une période de l'année, et ce quelle que soit la situation des personnes titulaires du contrat le législateur a « ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires de la loi du 15 avril 2013 (…), entendu s'assurer qu'aucune personne en situation de précarité ne puisse être privée d'eau ». Ce faisant « en garantissant dans ces conditions l'accès à l'eau qui répond à un besoin essentiel de la personne (nous soulignons) », le législateur a, selon le juge constitutionnel, poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent. Consacré par le Conseil constitutionnel en 1995 (Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995) cet objectif de valeur constitutionnelle était justifié par référence aux 10ème et 11ème alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 mais aussi par référence au principe constitutionnel de la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme de dégradation, qui n’est cependant pas rappelé dans la décision commentée.

Le juge constitutionnel a opéré son contrôle de proportionnalité en estimant que l’atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d'entreprendre poursuit une finalité qui se rattache à un objectif de valeur constitutionnelle et n’est pas manifestement disproportionnée au regard de cet objectif. D’une part il a en effet relevé que la distribution d’eau potable était un service public local qui pouvait être exploité en régie affermé ou concédé, selon le droit classique des services publics, que l’usager ne choisissait pas son distributeur alors que celui-ci doit contracter avec les usagers raccordés au réseau qu’il exploite, que lorsque le service est délégué, les règles contractuelles unissant l’usager au distributeur sont définies dans le contrat de délégation, et que les règles de tarification de l’eau sont fixées par la loi pour juger que les distributeurs d'eau exercent leur activité « sur un marché réglementé ». D’autre part, il a mis en avant que les dispositions contestées ne privent nullement le fournisseur des moyens de recouvrer les créances correspondant aux factures impayées.

Au-delà de l’argumentation relative à la liberté d’entreprendre et contractuelle, la société requérante soutenait habilement que les dispositions contestées méconnaissaient également le principe d'égalité devant la loi dès lors qu’elles imposaient une interdiction d'interrompre la distribution d'eau tout au long de l'année alors que les fournisseurs d'électricité, de chaleur et de gaz ne se voient pas imposer une interdiction comparable.

Classiquement, le Conseil constitutionnel a rappelé que le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, dès lors que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Or, le juge constitutionnel a affirmé de manière péremptoire que les distributeurs d'eau ne sont pas placés dans la même situation que celle des fournisseurs d'électricité, de gaz ou de chaleur. Dès lors, les dispositions en cause étant en rapport direct avec l'objectif poursuivi par le législateur d'assurer la continuité de la distribution de l’eau, le grief fut écarté. Ce laconisme dans la motivation, hélas fréquent, n’offre qu’une justification faible à la solution retenue par le juge constitutionnel. Il a pu être avancé que la différence réside dans « la nature du bien fourni, l’eau étant nécessaire à la vie, à l’inverse des sources d’énergie » (C. Nivard, « La garantie d’un accès à l’eau devant le Conseil constitutionnel, AJDA, 2015, p. 1704). Cependant, à bien des égards, l’énergie est nécessaire à la vie, a fortiori dans l’optique de la possibilité d’occuper un logement décent, optique censée, on l’a vu, justifier les dispositions critiquées. Bien davantage, si le Conseil constitutionnel a fait de l’accès à l’eau un « besoin essentiel de la personne », dont on peut se demander s’il s’agit là d’une nouvelle catégorie juridique, on peine à imaginer qu’il entendait ainsi, par un a contrario, ne pas reconnaître ce statut à l’accès à l’électricité et au gaz. Il faut alors voir dans cette décision une nouvelle illustration de ce que le principe d’égalité, dont on sait qu’il est un moyen qui pullule devant les juges administratif et constitutionnel, prête le flanc à un contrôle par trop formaliste, sans réelle prise sur les incidences concrètes d’une norme.

En rejetant les arguments tirés de la méconnaissance du principe d’égalité sans entrer dans le détail, la décision commentée offre une motivation faible de la constitutionnalité des dispositions critiquées. Bien plus, elle paraît méconnaître la réglementation des activités de service public en cause.

Pour conclure, on précisera que si la décision du Conseil constitutionnel est intervenue alors que la discussion parlementaire sur projet de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte au cours de laquelle plusieurs amendement ont tenté de modifier les dispositions en cause, la loi finalement promulguée les a confortées.

 

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