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Cabinet d'avocat à Paris

Absence de délai de recours contre un acte publié sur le site Internet de la HAS

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L’association lacanienne internationale sollicitait l’annulation de la décision de la Haute Autorité de Santé du 7 mars 2012 portant adoption de la recommandation de bonne pratique « Autisme et autres troubles envahissants du développement : interventions éducatives et thérapeutiques coordonnées chez l'enfant et l'adolescent », ainsi que de la recommandation elle-même.

Le Conseil d’Etat avait jugé que les recommandations de bonne pratique faisaient griefs « eu égard à l’obligation déontologique, incombant aux professionnels de santé en vertu des dispositions du code de la santé publique qui leur sont applicables, d’assurer au patient des soins fondés sur les données acquises de la science, telles qu’elles ressortent notamment de ces recommandations de bonnes pratiques » (CE, 27 avril 2011, Association pour une formation Médicale Indépendante, n° 334396).

Le Conseil d’Etat devait statuer sur la fin de non recevoir opposée par les défenderesses qui estimaient que la publicité donnée à la délibération litigieuse sur leurs sites Internet avait fait courir les voies et délais de recours, rendant la requête tardive. La décision commentée rappelle cependant que, si la publication d’un acte administratif général conditionne son opposabilité (A), de façon générale et sauf cas particulier, une simple publication sur Internet ne peut, en l’état du droit, suffire à faire courir les délais de recours (B).

Pour être opposable, tout acte unilatéral doit avoir été porté à la connaissance de ses destinataires par la voie de la publication ou celle de la notification, c'est-à-dire par une « mesure de communication » matérielle (C. Eisenmann, « Sur l'entrée en vigueur des normes administratives unilatérales », Mélanges Stassinopoulos, Paris, LGDJ, 1974, p. 201). Pour autant, le développement conséquent de la communication par Internet conduit de plus en plus l’administration à publier ses décisions sur des sites Internet, posant la question de l’opposabilité de ces décisions.

La règle de principe veut qu’une décision administrative unilatérale réglementaire ne puisse être opposable aux tiers, et faire courir les délais de recours, qui sont en principe de deux mois selon l’article R. 421-1 du Code de justice administrative, qu’à compter de sa publication. En complément, le Conseil d’Etat a dégagé un principe général du droit selon lequel « sauf lorsqu'elle justifie, sous le contrôle du juge, de circonstances particulières y faisant obstacle, l'autorité administrative est tenue de publier dans un délai raisonnable les règlements qu'elle édicte » (CE, 12 décembre 2003, Syndicat des commissaires et hauts fonctionnaires de la police nationale et autres, n° 243430). Dans ce cadre, les textes prévoient les actes dont la publication au Journal officiel de la République française est obligatoire pour les rendre exécutoires, et notamment l’ordonnance du 20 février 2004 relative aux modalités et effets de la publication des lois et de certains actes administratifs. Pour ces textes, le décompte du délai de recours prend pour point de départ la date de publication au Journal officiel, quelle que soit la date à laquelle les dispositions publiées sont entrées en vigueur (CE, 3 mars 1995, Mme Memmi et Zimmermann, n° 162657).

Pour les actes administratifs ne faisant pas l'objet d'une publication au Journal officiel, le Conseil d'Etat conditionne leur opposabilité au caractère « suffisant » des mesures de publicité entreprises. De façon générale, les modalités de publicité sont plus ou moins organisées par les textes. Ainsi, si l’article L. 2121-1 du Code général des collectivités territoriales précise que les actes pris par les autorités communales ne sont exécutoires que dès lors qu'il a été procédé à leur publication, à leur affichage ou à leur notification aux intéressés, l’article L. 2122-29 du même Code précise que dans les communes de 3500 habitants et plus, les arrêtés municipaux à caractère réglementaire doivent être publiés dans un recueil des actes administratifs. Le Conseil d’Etat a néanmoins considéré que les communes conservaient, pour rendre leurs actes réglementaires exécutoires, d’une alternative entre la publication et l’affichage (CE, 21 mai 2008, Mme Cécile Louvard, n° 284801).

S’agissant de la publication sur Internet, le décret du 29 juin 2004 relatif aux modalités et effets de la publication sous forme électronique de certains actes administratifs au Journal officiel de la République française organise la publication électronique de certains actes administratifs, parmi lesquels figurent « les actes réglementaires des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes dotées de la personnalité morale, autres que ceux qui intéressent la généralité des citoyens ». Il reste néanmoins muet sur l’impact que cette publicité sur Internet a sur les délais de recours.

La fin de non recevoir opposée en défense invitait le juge à se pencher plus spécifiquement sur l’obligation faite aux autorités indépendantes de diffuser sur leur site Internet leurs actes réglementaires en vertu du décret du 29 juin 2004, dont la légalité a été validée par le Conseil d’Etat (CE, 9 novembre 2005, Meyet, n° 271713). Ces autorités disposent désormais d’un site Internet et y publient aussi bien leurs décisions individuelles que leurs décisions réglementaires. La publication de décisions administratives sur Internet se développant et étant encouragée par les textes, elle a conduit la jurisprudence à prendre plusieurs fois position sur la capacité d’une telle publication à faire courir les délais de recours.

S’agissant des décisions ministérielles, le Conseil d’Etat a déjà jugé que lorsqu’un ministre publie sur le site de son ministère le sens d’une décision, ce n’est qu’à compter de la publication du texte que le délai de recours ouvert aux tiers commence à courir (CE, ordonnance, 19 mai 2005, Sociétés Fiducial informatique et Fiducial expertise, n° 279697). Il avait néanmoins également jugé qu'aucun principe général, non plus qu'aucune règle, ne s'oppose à ce que la publication d'une décision réglementaire régissant la situation des personnels d'un établissement public prenne la forme d'une mise en ligne de cette décision sur l'intranet de l'établissement. Pour autant, afin que ce mode de publicité soit susceptible de faire courir les délais de recours, il a posé deux conditions que sont la suffisance de l’information, et la nécessité que les effets juridiques de cette publication aient été précisés par un acte réglementaire ayant lui-même été régulièrement publié (CE 11 janvier 2006, Syndicat national CGT-ANPE, n° 273665). Plus récemment, le Conseil d’Etat a jugé que la publicité assurée sur Internet de certaines instructions et circulaires, en application de l'article 1er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires, n'a ni pour objet ni pour effet de faire courir à l'égard des tiers le délai de recours contentieux contre ces mêmes actes dès lors qu’il est précisé dans le texte que cette publication s’opère « sans préjudice des autres formes de publication éventuellement applicables à ces actes » (CE, 7 avril 2011, CIMADE et GISTI, n° 335924). La publication par Internet peut cependant être un élément pris en compte par le juge pour déterminer si une mesure de publicité suffisante a été mise en place pour certains actes (CE, 7 juillet 2010, Conseil national de l'ordre des médecins, n° 329897).

En l’espèce, le Conseil d’Etat confirme de façon claire que « la publicité donnée à la recommandation attaquée sur les sites Internet de la Haute Autorité de santé et de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux n’a pas été de nature à faire courir le délai de recours contentieux à l’égard des tiers ». Ainsi, la publicité donnée sur Internet des actes administratifs adoptés par les autorités indépendantes ne fait nullement courir les délais de recours. En tant que publication matérielle, elle est simplement susceptible de permettre aux tiers de prendre connaissance de décisions susceptibles de recours pour excès de pouvoir (CE, 4 octobre 2013, Société Les Laboratoires Servier, n° 353857 et suivants).