La lutte contre le déploiement des dispositifs de comptage Linky: une synthèse
1.- Récemment, commentant trois décisions rendues par des juridictions administratives relatives au déploiement des dispositifs de comptage Linky, on avait cru déceler, derrière la multiplication de ces décisions, l’éclosion d’un véritable « phénomène en contentieux administratif » .
Quelques temps plus tard, force est de constater que ce phénomène a désormais une résonnance qui dépasse le seul contentieux administratif. L’objet de la présente étude, qui se veut d’abord un état des lieux mais qui ne renoncera pas à une présentation analytique du droit, est, en y intégrant les dernières tendances de la jurisprudence, de décrire les lignes de force – exclusivement juridiques - de ce phénomène.
2.- Sous l’impulsion du droit de l’Union européenne, l’article 18 de loi du 3 août 2009 précisait que « les objectifs d'efficacité et de sobriété énergétiques exigent la mise en place de mécanismes d'ajustement et d'effacement de consommation d'énergie de pointe. La mise en place de ces mécanismes passera notamment par la pose de compteurs intelligents pour les particuliers, d'abonnement avec effacement des heures de pointe. Cela implique également la généralisation des compteurs intelligents afin de permettre aux occupants de logements de mieux connaître leur consommation d'énergie en temps réel et ainsi de la maîtriser ». Par une délibération du 11 février 2010, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) a confirmé les orientations pour l’expérimentation qui devait se dérouler sur une année pour 300 000 compteurs de la région lyonnaise et de la Touraine. Le décret du 31 août 2010 est venu formaliser la mise en place des nouveaux dispositifs de comptage et l’expérimentation qui devait la précéder tout en renvoyant à un arrêté pour la précision des fonctionnalités et des spécifications de ces dispositifs. Dans un discours du 28 septembre 2011, le ministre chargé de l’énergie a finalement annoncé la généralisation des dispositifs de comptage Linky qui avaient été expérimentés ; ce discours a été suivi de la publication de l’arrêté du 4 janvier 2012 qui en fixe les fonctionnalités et spécifications .
3.- Les dispositifs de comptage – ou compteurs – servent à mesurer la quantité d’électricité consommée dans un lieu donné. Ils constituent, à ce titre, un instrument indispensable au fonctionnement du service public de la distribution d’électricité, l’activité de comptage étant une obligation des gestionnaires de réseau de distribution d'électricité. L’apport technique essentiel des dispositifs de comptage communicants Linky vient de ce qu’ils permettent « une communication bidirectionnelle avec le réseau du distributeur d’électricité : ils reçoivent des informations ou des instructions et ils émettent des informations. Les instructions reçues du distributeur d’électricité pourraient lui permettre de "lisser" la consommation en coupant sélectivement l’alimentation électrique de certains équipements du client. Les informations émises lui permettent de connaître avec précision les habitudes de consommation du client, appareil par appareil ». Ces dispositifs de comptage utilisent « la technique du courant porteur en ligne (CPL) pour recueillir les informations et les transmettre. Ces informations sont codées par un modulateur/démodulateur qui superpose à l’électricité livrée et consommée un courant électrique supplémentaire » . Dans les faits, « plutôt qu'un "compteur Linky", il est préférable d'évoquer un "système Linky" composé de trois éléments indissociables : les compteurs, les concentrateurs et le système d'information central » .
4.- Le déploiement de dispositifs de comptage communicants est désormais prévu à l’article L. 341-4 du Code de l’énergie, substantiellement enrichi par la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte. C’est dire si le déploiement des dispositifs ce comptage communicants Linky est envisagé par les pouvoirs publics français comme l’un outil de la désormais fameuse transition énergétique. Ainsi, « les gestionnaires des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité mettent en œuvre des dispositifs permettant aux fournisseurs de proposer à leurs clients des prix différents suivant les périodes de l'année ou de la journée et incitant les utilisateurs des réseaux à limiter leur consommation pendant les périodes où la consommation de l'ensemble des consommateurs est la plus élevée ». Dans ce cadre, ces gestionnaires « mettent à la disposition des consommateurs leurs données de comptage, des systèmes d'alerte liés au niveau de leur consommation, ainsi que des éléments de comparaison issus de moyennes statistiques basées sur les données de consommation locales et nationales » . Ils doivent également garantir « aux fournisseurs la possibilité d'accéder aux données de comptage de consommation, en aval du compteur et en temps réel, sous réserve de l'accord du consommateur ». Enfin, ils « mettent à la disposition du propriétaire ou du gestionnaire de l'immeuble, dès lors qu'il en formule la demande et qu'il justifie de la mise en œuvre d'actions de maîtrise de la consommation d'énergie engagées pour le compte des consommateurs de l'immeuble, les données de comptage de consommation sous forme anonymisée et agrégée à l'échelle de l'immeuble ».
5.- Les dispositions réglementaires pertinentes sont désormais intégrées au Code de l’énergie et l’article R. 341-8 prévoit notamment que « d'ici au 31 décembre 2020, 80 % au moins des dispositifs de comptage des installations d'utilisateurs raccordées en basse tension (BT) pour des puissances inférieures ou égales à 36 kilovoltampères sont rendus conformes aux prescriptions de l'arrêté prévu à l'article R. 341-6, dans la perspective d'atteindre un objectif de 100 % d'ici 2024 ». C’est notamment sur le fondement de cette disposition que le déploiement des dispositifs de comptage s’opère depuis plusieurs années afin de respecter cet objectif de 80 % au 31 décembre 2020. La CRE a par ailleurs établi, par une délibération du 17 juillet 2014, un cadre de régulation adapté, assurant une répartition dans le temps de la couverture des coûts ; ce cadre prévoit notamment un mécanisme d’incitation au déploiement avec des pénalités financières appliquées à chaque dispositif non posé à une certaine date au regard du calendrier prévisionnel.
6.- En matière de distribution publique d’électricité, l'article L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales affirme le principe ancien selon lequel le service public de la distribution d'électricité est géré localement sur le modèle de la concession. Il s’agit ainsi d’un service public local prévu par la loi, un monopole étant réservé pour l’exploitation des concessions, depuis la loi du 8 avril 1946, à la fois à la société Enedis et aux entreprises locales de distribution, qui sont donc les titulaires imposés des contrats conclus par les autorités concédantes. Ainsi, l'article L. 322-1 du Code de l'énergie dispose expressément que les autorités organisatrices d'un réseau public de distribution accordent la concession de la gestion de ce réseau. L'article L. 111-51 du Code de l'énergie fait état de la double dénomination des autorités concédantes de l'exploitation des réseaux publics de distribution d'électricité qui sont simultanément autorités organisatrices de la distribution publique d'électricité tandis que les sociétés concessionnaires sont qualifiées de gestionnaires de réseaux par les textes. Ce sont ces sociétés – et principalement la société Enedis - qui sont censées déployer le dispositif de comptage Linky sur tout le territoire.
7.- Dès l’origine, le déploiement des dispositifs de comptage communicants Linky a généré un important contentieux. Schématiquement, de nombreux usagers jugent inopportun le déploiement obligatoire de ces dispositifs, soit car ils y voient de façon générale un cheval de Troie d’une modernité agressive et malveillante, soit parce qu’ils craignent un danger pour la santé, la sécurité ou la protection de la vie privée (les trois pouvant se cumuler). Ce contentieux a mobilisé de nombreux acteurs publics et privés, a donné lieu à plusieurs rapports et a pris plusieurs formes à la fois devant des juges administratifs ou judiciaires et devant des autorités administratives indépendantes . Les principaux textes réglementaires relatif aux compteurs ont été contestés sans succès devant le Conseil d’Etat par deux autorités concédantes de la distribution publique d’électricité et par plusieurs associations ; la société Enedis a fait l’objet d’une multitude de recours devant plusieurs juges judiciaires tendant à qu’elle arrête de déployer le compteur ; enfin la société Enedis ou les préfets ont systématiquement contesté devant le juge administratif la légalité des normes communales ayant pour objet – ou pour effet – de s’opposer au déploiement du compteur. Les questions qui dominent le contentieux sont nombreuses et ont trait tant à la propriété des dispositifs de comptage communicants Linky ou à la capacité du maire de faire usage de ses pouvoirs de police pour s’opposer au déploiement, qu’au respect du principe de précaution, de la protection de la vie privée et des données personnelles ou encore au trouble de jouissance que ces dispositifs sont susceptibles de causer à une catégorie déterminée de personnes, les personnes qualifiées « d’électrosensibles » ou « d’électro hypersensibles » (EHS).
8.- Lorsque l’on étudie l’abondante – et souvent répétitive - jurisprudence produite à l’occasion du seul contentieux relatif au déploiement des dispositifs de comptage Linky, on peut tirer des enseignements intéressant l’ensemble du droit. En effet, indépendamment de l’observation selon laquelle « la vérité du droit est dans sa pratique » , on peut constater qu’un phénomène tel que le rejet qui s’est fait jour dans de nombreux secteurs de la société en France à ce déploiement trouve une traduction qui ne peut se mesurer uniquement à l’aune des textes, mais doit aussi prendre en compte les stratégies juridiques, parfois impensées ab initio, déployés par les acteurs concernés pour faire entendre leur prétention. Pris sous cet angle, ce contentieux a ainsi permis d’ores-et-déjà à la fois une sérieuse mise au point des compétences des différentes institutions dans le domaine de la distribution publique d’électricité (I) et la prise en compte des ondes émises par les dispositifs de comptage à travers l’électrosensibilité (II).
I. La mise au point des compétences des différentes institutions dans le domaine de la distribution publique d’électricité
9.- Comme le note Pierre Sablière, si le pouvoir concédant « appartenait à l'origine aux communes ou à quelques groupements, de telle sorte que, après la guerre, ces autorités étaient plus de 14 000, les regroupements se sont peu à peu intensifiés avec la création de syndicats intercommunaux puis départementaux et plus récemment le transfert de cette compétence aux communautés urbaines puis aux métropoles » . Très peu de commune ont encore la qualité d’autorité concédante au profit de syndicats intercommunaux. Cette réalité n’est pas toujours bien appréhendée dans les petites communes. En tout état de cause, l’édiction de nombreux actes communaux s’opposant au déploiement des dispositifs de comptage « Linky » et leur contestation devant le juge administratif ont conduit le juge a clarifier le régime de propriété de ces dispositifs (A) ainsi que les rares cas dans lesquels les maires peuvent faire usage de leur pouvoir de police contre ces dispositifs (B).
A. L’affirmation de l’appartenance des dispositifs de comptage aux autorités concédantes de la distribution publique d’électricité
10.- La clarification du régime de propriété à consister, en deux temps, à opter pour le caractère public de cette propriété (1) puis en désignant l’autorité concédante comme unique propriétaire de ces ouvrages (2).
1) Une propriété publique
11.- Le caractère public ou privé de la propriété des nouveaux dispositifs de comptage déployés a fait l’objet d’un contentieux en particulier. En effet, la Communauté urbaine du grand Nancy (devenue Métropole du grand Nancy) avait résilié son contrat de concession de distribution publique d’électricité et conclu un nouveau contrat de concession avec les sociétés concessionnaires dont certains usagers contestaient la légalité. Ils ont saisi le Tribunal administratif de Nancy d’un recours contestant notamment la légalité des articles du cahier des charges stipulant que les dispositifs de comptage étaient exclus des ouvrages concédés et étaient donc, par conséquent, la propriété privée du concessionnaire. Le Tribunal avait rejeté les requêtes, par six jugements . Les requérants avaient alors relevé appel de ces jugements.
12.- Liant les six requêtes pour y répondre par un arrêt commun, la Cour a infirmé les jugements en estimant que les dispositifs de comptage constituent des ouvrages de branchement au sens des dispositions de l'article 1 du décret n° 2007-1280 du 28 août 2007 et faisaient, en tant que tels, parties du réseau de distribution appartenant, en vertu de l'article L. 322-4 du Code de l'énergie, à l’autorité concédante. Cette solution a ainsi clarifié le caractère public de la propriété des dispositifs de comptage Linky. La Cour a clairement estimé que ces biens ne pouvaient faire l’objet d’aucune appropriation privative, même provisoire, et ce quelles que soient les garanties prévues au contrat . Faute de pourvoi, cet arrêt est devenu définitif.
13.- Afin de tenir compte de cette censure, l’article 2 du cahier des charges de la concession a été modifié par avenant. Celui-ci stipulait désormais que les ouvrages concédés comprenaient « les compteurs notamment ceux visés par le décret n° 2010-1022 du 31 août 2010 relatif aux dispositifs de comptage sur les réseaux publics d’électricité ». Il précisait toutefois que « sont exclus des ouvrages concédés tous autres dispositifs de suivi intelligent, de contrôle, de coordination et de stockage des flux électriques, d’injection comme de soutirage, qui viendraient à être installés par le concessionnaire sur le réseau concédé pendant la durée du contrat de concession ». Estimant que cette exclusion méconnaissait le caractère public de l’ensemble des ouvrages, les requérants qui avaient eu gain de cause une première fois ont de nouveau contesté la validité de l’avenant. La question posée n’était pas sans intérêt : les dispositifs de comptage Linky ne sont qu’une partie d’un tout appelé « système Linky » : chaque dispositif est « relié au concentrateur par la technologie du courant porteur en ligne dite "CPL", tandis que le concentrateur est relié au système d'information central par la technologie "GPRS" » . Les requérants soutenaient donc que la propriété publique des compteurs ne valait rien si elle était découplée de la technologie permettant de les rendre « communicants ». En tout état de cause, la Cour administrative d’appel de Nancy a jugé les conclusions dont elle était saisie étaient irrecevables . Cette question reste donc pour l’heure sans réponse.
2) La propriété de l’autorité concédante
13.- Le Conseil d’Etat a depuis reconnu que « la gestion des réseaux publics de distribution d’électricité fait en principe l’objet d’une concession par les collectivités territoriales qui en sont les autorités organisatrices et qui sont propriétaires des ouvrages des réseaux en application de l’article L. 322-4 du code de l’énergie » , mais sans désigner expressément l’identité du propriétaire public. Le caractère incontestablement public des dispositifs de comptage Linky n’a ainsi pas empêché qu’une autre question, sous-jacente, ne vienne à se poser : les communes, en tant qu’elles ont transféré leur compétence d’autorité concédante de la distribution publique d’électricité à un syndicat d’énergie, devenu autorité organisatrice des réseaux publics de distribution d’électricité, pouvaient-elles néanmoins revendiquer la propriété des dispositifs de comptage nécessaires à l’exploitation du service public concédé pour fonder, plus ou moins explicitement, leurs délibérations s’opposant au déploiement ?
14.- De nombreuses communes ont soutenu soit qu’elles étaient propriétaires des dispositifs de comptage, soit qu’elles avaient été dépossédées illégalement de cette propriété, faisant naître un abondant contentieux. Pour venir répondre clairement à la question, l e Conseil d’Etat a profité du pourvoi de la commune de Bovel contre l’arrêt annulant une délibération de son conseil municipal refusant le déclassement sur son territoire des compteurs électriques existants et interdisant leur remplacement par les nouveaux dispositifs de comptage Linky. Selon le Conseil d’Etat, il résulte de la combinaison des articles L. 1321-1 du code général des collectivités territoriales (relatif à la mise à disposition de plein droit des biens nécessaires à l’exercice d’une compétence transféré) L. 1321-2 du même code (renvoyant à la loi pour prévoir le transfert en pleine propriété à la collectivité bénéficiaire), L. 322-4 du code de l'énergie (relatif à la propriété du réseau de distribution d’électricité par les collectivités territoriales ou leur groupements) et L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales (définissant l’autorité organisatrice d'un réseau public de distribution) que « la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d'électricité est attachée à la qualité d'autorité organisatrice de ces réseaux. En conséquence, lorsqu'une commune transfère sa compétence en matière d'organisation de la distribution d'électricité à un établissement public de coopération, celui-ci devient autorité organisatrice sur le territoire de la commune et propriétaire des ouvrages des réseaux en cause, y compris des installations de comptage visées à l'article D. 342-1 du code de l'énergie » . Le Conseil d’Etat a ainsi entièrement confirmé l’arrêt d’appel dont il a repris le raisonnement .
15.- En droit commun, l’article L. 1321-1 du Code général des collectivités territoriales prévoit que le transfert d’une compétence d’une commune à un établissement public n’entraîne aucun transfert de propriété mais une simple mise à disposition de plein droit des biens nécessaires à l’exercice de la compétence transférée. Dans ce cadre, les communes restent donc normalement propriétaires des biens mis à disposition du syndicat. Cependant, le droit de la distribution d’énergie est un droit spécial et comme le relevait le rapporteur public Laurent Cytermann dans ses conclusions sur l’arrêt , il convenait d’articuler les dispositions générales du code avec les dispositions spéciales propres à la distribution d’électricité, en particulier l’article L. 322-4 du Code de l’énergie selon lequel « les ouvrages des réseaux publics de distribution, y compris ceux qui, ayant appartenu à Electricité de France, ont fait l'objet d'un transfert au 1er janvier 2005, appartiennent aux collectivités territoriales ou à leurs groupements désignés au IV de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales ».
16.- Afin d’interpréter ces dispositions comme ayant transféré la propriété des ouvrages de réseaux aux syndicats d’électricité, Laurent Cytermann s’est appuyé sur trois arguments cumulatifs reposant sur trois méthodes distinctes d’interprétation d’un énoncé juridique. Tout d’abord, il relevait qu’il s’agissait là de « la lecture la plus naturelle de la lettre du texte ». Autrement dit, il proposait une interprétation purement littérale du texte, celle qui « consiste à déterminer le sens d’un texte ou d’un énoncé en considérant ses propriétés lexicales » . Selon lui « le membre de phrase "désignés au IV de l'article L. 2224-31 du code général des collectivités territoriales" s’applique en facteur commun aux "collectivités territoriales" et à "leurs groupements", sinon l’on ne saurait pas de quelles "collectivités territoriales" il s’agit. Or la désignation au IV de l’article L. 2224-31 du CGCT est celle de l’AODE ». Il entendait également s’appuyer sur une interprétation génétique ou originaliste des textes concernés, c’est-à-dire celle qui « présuppose que le vrai sens (du) texte est celui qu’a voulu lui conférer son auteur au moment de sa rédaction » . En l’espèce, « il ressort clairement que l’intention du législateur en 2004 était de transférer la propriété des ouvrages du réseau de distribution à l’autorité concédante, désignée ès-qualités ». En effet, « dans l’état du droit alors en vigueur sur les AODE, la commune était l’autorité concédante de droit commun, ce qui explique la rédaction initialement centrée sur les collectivités territoriales. Mais la loi du 7 décembre 2006 ayant ensuite exclu le maintien de cette compétence au niveau communal, sans modifier pour autant les dispositions issues de la loi du 9 août 2004 sur le transfert de propriété, ce transfert aux autorités concédantes bénéficie nécessairement aux autorités concédantes telles que définies dans le nouveau cadre ». Enfin, et c’est sans doute le plus important, il entendait s’appuyer sur une interprétation fonctionnelle de la loi, c’est-à-dire celle qui « se détache des propriétés syntaxiques ou lexicales du texte lui-même pour considérer le contexte de son application » . Selon lui, cette lecture « découle de l’économie générale de la loi » dès lors que « le législateur a entendu conforter le rôle et les prérogatives de l’autorité concédante face au concessionnaire (…) en situation de monopole et bénéficiant de moyens et de compétences techniques disproportionnés par rapport à ceux du concédant ». Ainsi, « il ne serait guère cohérent de laisser à la commune une propriété des installations qui serait purement passive, alors qu’elle n’exerce aucun autre rôle en la matière si ce n’est par sa participation au syndicat ou à l’EPCI dépositaire de la compétence ».
17.- L’interprétation ainsi délivrée par le Conseil d’Etat doit beaucoup – comme il est vrai souvent en droit – à des arguments d’opportunité. C’était déjà le cas précédemment devant la Cour puisque dans ses conclusions sur l’arrêt contesté , le rapporteur public, François-Xavier Bréchot, avait qualifié cette lecture des textes, qu’il défendait également, d’opportune en relevant qu’« un tel régime a évidemment le mérite de la simplicité, dès lors qu’il assure une correspondance entre la qualité d’autorité compétente en matière de distribution publique d’électricité et celle de propriétaire de l’ensemble des ouvrages composant le réseau de cette distribution. Il est ainsi de nature à éviter les complications qui pourraient résulter, pour les établissements publics de coopération, de la gestion d’une multitude d’ouvrages qui appartiendraient, selon leur localisation et la date de leur réalisation, soit à lui-même, soit à ses collectivités membres ». Il admettait cependant que, s’agissant de dispositions « pas totalement dénuées d’ambiguïté », d’autres lectures auraient été possibles. Or, la Commune de Bovel avait précisément soulevé une question prioritaire de constitutionnalité devant la Cour administrative d’appel de Nantes en soutenant que le silence des articles L. 322-4 du Code de l’énergie et L. 2224-31 du Code général des collectivités territoriales quant à la propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité porterait atteinte au droit de propriété garanti par la Constitution. Pour autant, la Cour avait refusé de transmettre la question en estimant qu’il résultait « de la seule lecture combinée de ces dispositions que le législateur a précisément fixé le régime de propriété des ouvrages des réseaux publics de distribution d’électricité » . L’arrêt du Conseil d’Etat vient confirmer sur ce point le raisonnement tenu par la Cour pour filtrer la QPC mais il n’est pas interdit de penser que la motivation reste elliptique et qu’en tout état de cause à l’avenir, les communes pourraient s’appuyer sur ce flou pour contester la constitutionnalité d’un tel transfert induit de propriété dénué de toute compensation.
18.- En tout état de cause, il résulte désormais de la solution rendue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt Commune de Bovel que dès lors qu’une commune est membre d’un syndicat d’électricité ayant la qualité d’autorité organisatrice des réseaux publics de distribution d’électricité, il s’en déduit nécessairement que seul ce syndicat est propriétaire des ouvrages de réseaux dont font partie les dispositifs de comptage Linky, rendant la commune incompétente pour réglementer le déploiement des dispositifs de comptage.
B. La clarification des pouvoirs du maire autorité de police face aux dispositifs de comptage
19.- Dans la masse d’actes communaux édictés pour s’opposer au déploiement des dispositifs de comptage Linky, tous n’étaient pas des délibérations de communes se fondant sur leur qualité de propriétaire ; on trouvait également une partie importante d’arrêtés municipaux pris par des maires au titre de leur pouvoir de police générale. La contestation de ces arrêtés devait amener les juges administratifs à s’interroger sur la possibilité pour le maire d’intervenir dans un tel domaine alors que le déploiement est commandé par des textes nationaux au premier rang desquels figure une loi. De ce point de vue, la question était, quoiqu’avec quelques différences, assez proche de celle bien connue de la combinaison des pouvoirs de police en matière d’antennes-relais de téléphonie mobile , à savoir celle de la compétence du maire autorité de police générale face à une réglementation nationale organisant le déploiement du dispositif Linky ; le Conseil d’Etat lui à apporter une réponse identique, habile et ferme.
20.- Quelques jours après l’arrêt Commune de Bovel, le Conseil d’Etat a en effet profité du pourvoi de la commune de Cast contre l’arrêt ayant annulé la décision par laquelle le maire de Cast avait décidé de refuser le déploiement de ces compteurs sur le territoire de la commune. Selon le considérant de principe de la décision, il appartient « aux autorités de l'Etat de veiller, pour l'ensemble du territoire national, non seulement au fonctionnement optimal du dispositif de comptage au vu notamment des exigences d'interopérabilité mais aussi à la protection de la santé publique par la limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques, en mettant en œuvre des capacités d'expertise et des garanties techniques indisponibles au plan local ». Le Conseil d’Etat a rappelé par ailleurs, s’agissant du principe de précaution, que celui-ci « ne saurait avoir ni pour objet ni pour effet de permettre à une autorité publique d'excéder son champ de compétence et d'intervenir en dehors de ses domaines d'attributions ». Dès lors, dans ces conditions, si le maire est habilité à prendre pour la commune, les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, « il ne saurait adopter sur le territoire de la commune des décisions portant sur l'installation de compteurs électriques communicants qui seraient destinées à protéger les habitants contre les effets des ondes émises » . En conséquence, ni les pouvoirs de police générale, ni le principe de précaution n’autorisent les maires à suspendre les dispositifs de comptage sur le territoire de leur commune. Il s’agit là d’une version nouvelle de la jurisprudence Commune de Saint-Denis selon laquelle le législateur ayant organisé une police spéciale des communications électroniques confiée à l’Etat, le maire « ne saurait, sans porter atteinte aux pouvoirs de police spéciale conférés aux autorités de l’Etat, adopter sur le territoire de la commune une réglementation portant sur l’implantation des antennes relais de téléphonie mobile et destinée à protéger le public contre les effets des ondes émises par ces antennes ».
21.- Cette solution ne retire nullement aux maires, comme l’avait reconnu la Cour dans l’arrêt contesté, la faculté de faire usage de leur pouvoir de police générale pour prévenir un trouble à l’ordre public, mais à la condition d’établir un risque particulier que le déploiement ferait courir pour leur commune eu égards aux circonstances locales. En l’espèce, le Conseil d’Etat a relevé que les circonstances invoquées par le maire qui avait constaté dans les premiers jours du déploiement des dispositifs de comptage Linky, neuf erreurs de branchements et quelques « incursions » sans autorisation d’agents de la société Enedis sur des propriétés privées clôturées, ne suffisaient pas pour caractériser l’existence d’un trouble à l’ordre public ou d’un risque pour la sécurité. Ce point est important car il permet de saisir que l’hostilité de certaines communes au déploiement n’est pas liée au dispositif de comptage lui-même mais aux conditions de ce déploiement, qui peut se heurter à certaines particularités physiques des installations électriques. Ainsi, dans certains cas pour accéder au dispositif de comptage afin de le changer, le sous-traitant doit accéder à la propriété de l’usager. Dans ce cas très précis, il doit alors informer clairement l’usager et respecter le droit de propriété ce qui implique que l’usager dûment informé puisse refuser l’accès à sa propriété . Or, dans les faits, certains sous-traitants soit n’informent pas l’usager , soit surmontent le refus en installant le dispositif de force ; ce sont principalement ces incidents qui sont mis en avant.
22.- Reste que la solution adoptée par le Conseil d’Etat est, à bien des égards, habile car remarquablement construite. C’est qu’en effet, contrairement au cas des antennes-relais, le rapporteur public, Laurent Cytermann, rappelait dans ses conclusions que les compteurs Linky « n’entrent pas dans le champ d’application de la police des communications électroniques car (…) ils ne sont pas des installations radioélectriques et (…) font l’objet de la réglementation encadrant l’exposition du public aux champs électromagnétiques ». Il excluait par ailleurs que les textes encadrant le déploiement des compteurs puissent être qualifiés de police administrative spéciale dès lors d’une part que « la définition des obligations d’une entreprise au titre du service public n’est pas l’exercice d’un pouvoir de police », d’autre part que « la finalité sanitaire paraît absente de cette réglementation » : la finalité du dispositif est « d’assurer une meilleure maîtrise de la consommation d’électricité et les prescriptions réglementaires tendent à assurer le bon fonctionnement des compteurs et leur interopérabilité ». Autrement dit, la jurisprudence relative à la combinaison des pouvoirs de police, qui permet de restreindre les pouvoirs de police générale du maire, nécessitait d’identifier une police spéciale au niveau national ayant pour objet le dispositif de comptage Linky, ce dont les textes organisant le déploiement ne pouvaient tenir lieu.
23.- Dans ce cadre, le Conseil d’Etat a donc estimé que ce n’était pas les textes relatifs au déploiement qui formaient une police spéciale. Il a relevé que les dispositifs de comptage sont « soumis aux dispositions de l'article R. 323-28 du code de l'énergie, aux termes duquel « les dispositions techniques adoptées pour les ouvrages des réseaux publics d'électricité ainsi que les conditions de leur exécution doivent satisfaire aux prescriptions techniques fixées par un arrêté conjoint du ministre chargé de l'énergie et du ministre chargé de la santé. / Les prescriptions de cet arrêté visent à éviter que ces ouvrages compromettent la sécurité des personnes et des biens, la sûreté de fonctionnement du système électrique ou la qualité de l'électricité, qu'ils génèrent un niveau de bruit excessif dans leur voisinage et qu'ils excèdent les normes en vigueur en matière d'exposition des personnes à un rayonnement électromagnétique ». Ils sont également soumis « aux dispositions du décret du 27 août 2015 relatif à la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques, qui transpose en droit interne les objectifs de la directive 2014/30/UE du 26 février 2014 relative à l'harmonisation des législations des Etats membres concernant la compatibilité électromagnétique ».
24.- Laurent Cyterman estimait que « l’ensemble de ces textes organise en conformité avec le droit de l’Union européenne une police spéciale des équipements électriques visant à limiter leurs émissions électromagnétiques, à un niveau qui doit assurer la protection des populations ». La notion de police spéciale des équipements électriques n’est pas reprise in extenso dans la décision, mais on saisit que la réglementation nationale existante portant déjà sur les questions de santé publique « par la limitation de l'exposition du public aux champs électromagnétiques », le maire ne peut utiliser ses pouvoirs de police dans ce domaine. C’est de ce point de vue que, assez imprécise, la rédaction adoptée par le Conseil d’Etat permet néanmoins de retirer aux maires, sauf péril imminent, la possibilité de s’opposer au déploiement des dispositifs de comptage Linky pour des raisons liées aux ondes émises. On sait que la jurisprudence Commune de Saint-Denis avait été très critiquée pour le cadre restrictif qu’elle mettait en place pour empêcher la combinaison du pouvoir de police général du maire avec une police spéciale nationale. Certains rappellent désormais que « en l'absence d'exercice par l'État de son pouvoir de police spéciale, ne devrait-on pas réfléchir à redécouvrir l'existant – le pouvoir de police générale du maire en matière de salubrité – au moins le temps que la carence des autorités nationales cesse ? » . Bien plus, certains auteurs ont fait état de leur doute sur l’argument qui consiste à retirer tout pouvoir d’intervention au maire sous prétexte que seul l’Etat posséderait en la matière la capacité de recourir à des expertises et à divers éléments techniques permettant d'apprécier les risques de ces compteurs sur la santé, comme si le domaine des champs électromagnétiques nécessitait des compétences dont seul dispose l’Etat.
25.- Les décisions Commune de Bovel et Commune de Cast, rendues à quelques jours d’écart, signent incontestablement la volonté du Conseil d’Etat de mettre bon ordre dans un contentieux abondant , et on déjà trouvé à s’appliquer . De ce point de vue, la défaite des communes est claire puisque le Conseil d’Etat a confirmé dans l’arrêt Commune de Bovel ce que plusieurs décisions des juges du fond avaient décidé s’agissant des communes qui tentaient de contourner la difficulté en adoptant des délibérations opposées au déploiement mais se présentant comme de simples vœux. Le Conseil d’Etat a précisé qu’aux regard de leur portée, les délibérations et décision contestées faisaient grief car « ne se limitait pas à de simples vœux mais visait à s'opposer au déploiement des compteurs électriques communicants appelés " Linky » . Tout juste peut-on relever que quelques juges administratifs ont ainsi accepté que les délibérations municipales qui se contente de préciser que le déploiement devait s’effectuer en garantissant aux usagers la liberté d’exercer leur choix individuel et sans pression pour refuser ou accepter l’accès à leur logement ou propriété et refuser ou accepter que les données collectées par le compteur soient transmises à des tiers partenaires commerciaux de l’opérateur restaient valides car elles ne sont qu’un simple rappel du droit existant et ne font dès lors pas grief . En tout état de cause, on verra dans un tout autre cadre que les ondes émises par le dispositif ont été questionnées par le juge judiciaire.
II.- Les particuliers contre le déploiement : la prise en compte des ondes émises par les dispositifs de comptage à travers l’électrosensibilité
26.- De nombreux particuliers ont souhaité s’opposer directement au déploiement en assignant la société Enedis devant la juridiction judiciaire, celle-ci étant seule compétente s’agissant d’un service public industriel et commercial . C’est ainsi qu’au cours de l’année 2019, les juges des référés de plusieurs tribunaux de grande instance (TGI) ont été saisis en urgence sur le fondement des articles 808 et 809 du Code de procédure civile. Dans tous les cas, les demandeurs estimaient que l’installation d’un dispositif de comptage Linky à leur domicile, soit qu’il ait eu lieu, soit qu’il doive encore avoir lieu, constituait un danger qu’il convenait de prévenir en ordonnant à la société Enedis de ne pas l’installer. Ces recours ont donné lieu à plusieurs ordonnances de référés dont le dispositif n’a pas toujours été parfaitement similaire mais dont l’analyse permet de tracer les grandes lignes des arguments avancés . De ce point de vue, à côté du rejet des arguments relatifs à la vie privée et à la sécurité (A), la jurisprudence judiciaire, à l’inverse de la jurisprudence administrative, prend en compte pour partie la question des ondes émises (B).
A) Le rejet des arguments relatifs à la vie privée et à la sécurité
1) La question du respect de la vie privée
27.- Un volet important de la contestation du dispositif de comptage Linky a trait à la protection des données personnelles et de la vie privée. En effet, eu égard à ses caractéristiques et à ses finalités, un tel objet connecté doit nécessairement voir son usage encadré afin que les données collectées ne soient pas utilisées à d’autres titre que la mission de service public du gestionnaire de réseau. A cette fin, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) a adopté plusieurs délibérations encadrant la collecte et la mise à disposition des données personnelles largement reprises par deux décrets . Il en ressort notamment que les usagers doivent nécessairement donner leur consentement préalable à la collecte de leur courbe de charge de consommation qui contient leurs informations de consommation personnelle. Il est déjà arrivé, en pratique, que la CNIL doive mettre en demeure un fournisseur d’électricité de respecter ce consentement, ce qui établit l’existence d’un risque pour la vie privée et la vigilance du régulateur indépendant. Pour autant, l’opposition au déploiement s’est très tôt fondée sur le nécessaire respect de la vie privée des usagers, alors même que le Conseil d’Etat avait expressément validé la collecte des données par pas de temps de dix à trente minutes dès lors qu’aucun texte « n’impose que les utilisateurs ou les fournisseurs accèdent en temps continu aux données enregistrées » , c’est-à-dire une collecte plus fine que certains demandeurs reprocheront pourtant au gestionnaire de réseau d’organiser.
28.- Il faut tout d’abord relever qu’indépendamment des actions intentées devant le juge judiciaire par des particuliers, un litige plus atypique était né devant le juge administratif à propos du respect par la société Enedis des dispositions garantissant le respect de la vie privée. En effet, trois municipalités avaient saisi la CNIL des conditions dans lesquelles la société Enedis procède, en sa qualité de gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité, au relèvement, à l’exploitation et au stockage des données à caractère personnel des abonnés que constituent leurs relevés de consommation. Estimant être saisie de plaintes des communes, la CNIL ne leur avait pas donné suite, décision que ces communes ont contesté devant le Conseil d’Etat en excès de pouvoir, se réclamant « de la préoccupation de leurs administrés et de la volonté de les informer des suites données à ces plaintes ». Le Conseil d’Etat a estimé que « eu égard à l’objet de leurs plaintes, les communes requérantes ne sauraient être regardées comme ayant eu un intérêt suffisamment direct pour saisir la CNIL ni, par suite, d’un intérêt leur donnant qualité pour demander l’annulation de son refus d’engager des procédures disciplinaires » .
29.- Si la requête fut ainsi jugée irrecevable, la lecture des conclusions du rapporteur public, Aurélie Bretonneau, permet de prendre connaissance les principales critiques qui étaient soulevées par les requérantes. Sur le fond, elles reprochaient à la CNIL de ne pas avoir engagé de procédure disciplinaire alors que, selon elles, la société Enedis se rendait coupable de plusieurs manquements au regard de la protection des données personnelles collectées. Elles estimaient notamment que le pas de mesure de la courbe de charge était trop faible. Le rapporteur public avait néanmoins estimé que la mise en œuvre en phase de déploiement d’un pas de mesure de 30 minutes par défaut ne justifiait pas de diligenter une procédure de sanction plutôt qu’une régulation souple et qu’en revanche, ce qui est assez intéressant, une erreur manifeste de la CNIL dans le refus de sanctionner aurait pu être caractérisée « au cas où Enedis aurait mis en œuvre un pas de mesure de 10 minutes ou moins ». Elle relevait encore qu’on « touche là encore aux limites de la plainte désincarnée des communes, là où la plainte d’un usager démontrant que des données sont collectés sans ou contre son consentement serait plus convaincante ». Pourtant, lorsque des particuliers ont voulu faire cette démonstration devant le juge judiciaire, ce fut sans succès.
30.- L’argument du respect de la vie privée a en effet systématiquement été invoqué dans les assignations visant la société Enedis, mais sans succès au regard du cadre relativement strict existant. Ainsi, le juge des référés du TGI de Bordeaux a pu relever qu’il existe « une information remise ou tenue à la disposition de l'usager, correspondant aux caractéristiques électromagnétiques du matériel utilisé, à la nature des données recueillies et à leur utilisation par différents acteurs privés ou publics, ainsi que les conditions de cette utilisation » . Pour sa part, le juge des référés du TGI de Toulouse a relevé que la vie privée des consommateurs est respectée dès lors que « les informations transmises par les compteurs ne contiennent pas de données identifiantes ainsi que l'a rappelé la CNIL et que Linky ne connait pas le détail de la consommation de chaque appareil mais uniquement les données de consommation globale en Kwh, le compteur ne transmettant pas de données personnelles » .
31.- De façon plus habile, les demandeurs devant le juge des référés du TGI de Nanterre, invoquaient le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) entré en vigueur le 25 mai 2018 imposant le recueil du consentement de la personne concernée pour le traitement des données recueillies. Ils estimaient en substance que le recueil de ce consentement était insuffisant et qu’à l’inverse les données recueillies étaient trop précises. Le juge a néanmoins estimé que les demandeurs ne démontraient pas l’existence d’une atteinte aux dispositions relatives aux données personnelles, notamment pas que les traitements effectivement mis en œuvre iraient au-delà des enregistrements précités. Globalement, les juges civils estiment que la réglementation existante est suffisante au regard des garanties posées par la loi au respect de la vie privée des usagers. Seule la démonstration d’une fraude massive, impossible en l’état, paraît donc pouvoir justifier une nouvelle saisine sur ce fondement.
2) La question de la sécurité
32.- Un des arguments avancés à l’encontre du dispositif de comptage Linky est tiré des risques qu’il ferait courir pour la sécurité du réseau, notamment le risque d’incendie. Il n’a pourtant, en l’état, jamais été reconnu : ainsi le juge des référés du TGI de Toulouse a relevé dans son ordonnance précitée que « le risque de départ de feu au niveau d’un compteur Linky n’est certes pas nul mais très faible à infime et rien n’indique qu’il soit supérieur au risque inhérent aux compteurs électroniques d’ancienne génération » . Autrement dit, l’existence de possibles départs d’incendie, parfois décrits dans la presse, ne saurait être imputés à la pose des nouveaux dispositifs de comptage en l’état.
33.- Reste que l’argument de la sécurité a été employé de façon plus fine par certains demandeurs selon lesquels le déploiement du dispositif de comptage par la société Enedis s’opérerait sans respecter les règlements sanitaires départementaux, qui comportent tous un article prescrivant que « les modifications conduisant au remplacement ou au renforcement des circuits d'alimentation électrique doivent être conformes aux normes NF C 14.100 et C 15.100 ». Or cette norme imposerait, en cas de changement de compteur, de changer le panneau de bois support du compteur par une platine aux normes, ce qui n’est pas fait à l’occasion du déploiement.
34.- Un tel argument a expressément été rejeté par le juge des référés du TGI de Nanterre. Selon le juge « la preuve d'un changement systématique du tableau de comptage lors de la pose d'un compteur Linky imposé par la norme NF C 14-100 n'est pas rapportée. S'agissant des panneaux bois proscrits pas cette norme, les demandeurs ne justifient ni n'allèguent que l'installation du compteur qui les concerne ou qui doit l'être dans le cadre de l'installation à venir devrait être réalisée sur un panneau bois. En outre cette norme prévoit que les panneaux sur lesquels sont placés les appareils sont d'un modèle agréé par le gestionnaire du réseau de distribution. Aucun manquement évident à une norme relative à la sécurité des biens ou des personnes n'est donc démontré » . L’argumentation est ainsi pour l’heure rejetée, mais elle mériterait sans doute un traitement plus attentif que celui réservé en référé compte-tenu des conditions dans lequel s’opère le déploiement et notamment du recours systématique à des sous-traitants n’éyant pas toujours la connaissance technique requise pour juger du respect de la norme. On ajoutera que cette argumentation n’a pour l’heure pas eu davantage de succès devant le juge administratif puisque récemment, le Tribunal administratif de Rennes a annulé un arrêté municipal enjoignant à la société Enedis et à ses sous-traitants de respecter les dispositions du règlement sanitaire départemental ; cependant, l’annulation n’est justifiée que par la jurisprudence déjà envisagée sur l’impossibilité pour le maire de faire usage de ses pouvoirs de police générale face à une police spécial. Autrement dit, sur le fond, le juge administratif n’a pas pris position sur le respect de la norme NF C 14.100.
B. La prise en compte par les juges de l’exposition aux ondes
1) La question de la légalité de l’exposition aux ondes
35.- L’existence d’une contestation du dispositif de comptage Linky au nom de la protection contre les champs électromagnétiques (non-ionisants) ne doit pas étonner : comme le relève Olivier Cachard, « avec l'essor des réseaux de télécommunication, de transport et de distribution d'énergie, les risques associés à l'exposition aux champs électromagnétiques jadis cantonnée au secteur industriel, se trouvent au cœur de l'activité juridictionnelle et normative » . Reste qu’en la matière, la preuve des effets de l’exposition reste très difficile à rapporter : la plupart du temps, le droit se contente de prescrire le respect de certains seuils, en-deçà desquels l’exposition est réputée inoffensive.
36.-Lorsqu’il avait été saisi de la légalité de l'arrêté précité du 4 janvier 2012 le Conseil d’Etat avait notamment dû statuer sur la conformité de celui-ci au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé garanti par l’article 1er de la Charte de l’environnement et au principe de précaution garanti par son article 5. Il avait jugé qu’il ne ressortait des pièces du dossier aucun « éléments circonstanciés (qui) feraient apparaître, en l'état des connaissances scientifiques, des risques, même incertains, de nature à faire obstacle au déploiement de dispositifs de comptage dont les caractéristiques sont fixées par l'arrêté attaqué ». Il s’agit d’un point essentiel car, comme souvent dans ce type de litige, le juge avait pris la précaution de se référer à l’état des connaissances scientifiques, laissant ainsi ouverte la possibilité d’une appréciation différente en fonction du progrès de ces connaissances. Cela explique notamment que dans tout le contentieux Linky, une bataille d’arguments scientifiques soit à l’œuvre pour essayer de convaincre les différents juges soit que telle étude plutôt que telle autre doit être privilégiée, soit que telle partie d’une même étude plutôt qu’une autre doit être prise en compte.
37.- Ainsi, l’agence nationale de la sécurité sanitaire (ANSES) avait été saisie par la Direction générale de la santé (DGS) pour la réalisation d’une évaluation de l’exposition de la population aux champs électromagnétiques émis par les dispositifs de comptage Linky. Dans un premier avis, l’Agence avait conclu à une faible probabilité que l’exposition aux champs électromagnétiques émis par ces dispositifs engendre des effets sanitaires à court ou long terme. Elle sollicitait néanmoins une campagne de mesures auprès du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) afin de mieux caractériser les expositions au domicile engendrées par le dispositif de comptage Linky. Les résultats de cette campagne de mesure, qui ont mis en évidence des durées d’exposition plus longues que celles initialement attendues sans que les niveaux de champ électromagnétique ne soient cependant plus élevés, ont conduit l’agence a adopté un complément d’information révisant le premier avis .
38.- Les rayonnements émis par les dispositifs de comptage Linky avaient été questionnés en amont dès la mise en cause de l'arrêté précité du 4 janvier 2012. Le Conseil d’Etat avait relevé qu’il ressortait des pièces du dossier « que les rayonnements électromagnétiques émis par les dispositifs de comptage et les câbles n'excèdent ni les seuils fixés par les dispositions du décret du 18 octobre 2006 relatif à la compatibilité électromagnétique des équipements électriques et électroniques, pris pour transposer la directive du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 relative au rapprochement des législations des Etats membres concernant la compatibilité électromagnétique, ni ceux admis par l'Organisation mondiale de la santé », justifiant ainsi que le Gouvernement n’ait pas procéder à une évaluation des risques des effets de ces rayonnements et qu’il n’ait pas à adopter des mesures provisoires et proportionnées . On retrouve ici la référence à la réglementation que le Conseil d’Etat a entendu opposer à l’exercice par les maires de leurs pouvoirs de police générale. De fait, si le constat du respect de la réglementation existante a souvent été opposé aux contestations, il fut néanmoins enrichi par les études de l’ANSES .
39. Ainsi, selon le juge des référés du TGI de Toulouse , le dispositif de comptage Linky, qui « ne communique que quelques secondes par jour , entre minuit et 6h du matin et émet à ce moment-là un champ électromagnétique de 0,8volt/mètre soit bien en-dessous de la limite réglementaire fixé par l’Agence Nationale des Fréquences à 87 volts/mètre » ne semble pas présenter de danger particulier pour la santé. Il s’est notamment appuyé sur les rapports de l’ANSES selon lesquels « le niveau d’émission d’ondes au Linky est très faible de même niveau qu’une plaque à induction, un sèche-cheveux, un réfrigérateur ou un téléviseur » et « les intensités des champs électromagnétiques émis par les communications CPL à proximité des compteurs communicants sont de niveau très faible, qu’il existe une très faible probabilité d’un risque d’effets sanitaires à court ou long terme, que les niveaux d’exposition aux champs électromagnétiques sont très inférieurs aux normes réglementaires ». Il a encore noté que « les mesures réalisées à proximité du compteur communicant mettent en évidence des niveaux de champs électriques et magnétiques très inférieurs aux limites réglementaires définies par la réglementation européenne et reprises par la réglementation française »,
2) L’existence d’un trouble imminent spécifique pour les électrosensibles
40.- Depuis plusieurs années, et notamment à la suite du développement de la téléphonie mobile et au problème des antennes-relais, un consensus se fait jour parmi les scientifiques pour reconnaître l’existence de l’électrohypersensibilité – bien que cela ne soit toujours pas le cas semble-t-il en France. Quoi qu’il en soit sur le plan scientifique ou médical, l’électrohypersensibilité est aujourd’hui pleinement au cœur du contentieux relatif au déploiement des dispositifs de comptage Linky. L’ANSES a récemment rendu à ce sujet un avis dans lequel elle souligne que « les plaintes (douleurs, souffrance) exprimées par les personnes se déclarant EHS correspondent à une réalité vécue et que ces personnes ont besoin d’adapter leur quotidien pour y faire face » nécessitant une « prise en charge sanitaire et sociale » . La question a rebondi récemment au contentieux car une partie des demandeurs qui ont saisi les juges des référés de différents tribunaux de grande instance faisait état de documents médicaux divers attestant – sous une forme ou une autre – qu’ils étaient électrohypersensibles.
41.- C’est le juge des référés du TGI de Toulouse qui, le premier, a donné raison à certains demandeurs enjoignant à la Société Enedis de n’installer aucun appareil dit “Linky” ou autre appareil assimilé ou assimilable à raison de ses caractéristiques dans le domicile des demandeurs ou à l’extérieur de leur appartement ou de leur maison ainsi que « de délivrer une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky, notamment dans les fréquences comprises entre 35 kHz et 95 kHz » étant précisé qu’il est interdit, dans l’attente du litige au fond, à la société Enedis de réclamer aucune somme consécutivement au refus de l’installation de l’appareil litigieux ou au refus de nouveaux courants porteurs en ligne. Selon le juge, « au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de considérer que la pose des compteurs communicants sont de nature à créer un dommage imminent dès lors que les demandeurs établissent être des personnes électrohypersensibles ». Le juge des référés du Tribunal de Tours a estimé de même qu'est démontré l'existence d'un dommage imminent et d'un lien de causalité direct entre la pose du compteur Linky et les pathologies présentées par les demandeurs ayant produit un certificat médical et a enjoint de faire remplacer le Linky ou autre appareil assimilé ou assimilable à raison de ses caractéristiques posé par un compteur classique et « de distribuer à destination du point de livraison une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky notamment les fréquences comprises entre 35 Hz et 95 Hz, y compris en provenance du voisinage du point de livraison objet du différend .
42.- Dans le même temps, le juge des référés du TGI de Bordeaux a pu juger que certains demandeurs justifient d’un trouble manifestement illicite par manquement au principe de précaution, en ce que l’installation d’un compteur Linky s’est faite à leur domicile ou y est envisagée sans la pose d’un filtre les protégeant des champs électromagnétiques. En conséquence, il a enjoint à la société Enedis d’installer d’un tel filtre aux points de livraison définis . De la même manière, le juge des référés du TGI de Foix a ordonné de prévenir la réalisation d'un dommage imminent pour les demandeurs dits électro hypersensibles, en enjoignant, d'une part, à la société Enedis de n'installer aucun appareil « Linky » ou autre appareil assimilé ou assimilable à raison de ses caractéristiques, d'autre part, de procéder à l'installation d'un filtre dans le cas où il serait déjà installé .
43.- A l’inverse, le juge des référés du TGI de Nanterre a débouté les 457 demandeurs qui l’avaient saisi, notamment les personnes électrohypersensibles. Les demandeurs invoquaient, sur le fondement du principe de précaution un trouble manifestement illicite causé à l’environnement. Il a rappelé que « devant le juge des référés, sur le fondement d'un trouble manifestement illicite, le principe de précaution est méconnu s'il est établi qu'il existe un risque manifeste de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé même en l'absence de certitudes compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ». Néanmoins, citant les différentes études scientifiques relatives à l'exposition créée par les dispositifs de comptage Linky et relevant que l’avis de l'ANSES de mars 2018 « relève la difficulté d'appréhension du phénomène, l'absence de critères de diagnostic validés de l'électrohypersensibilité » et qu’il conclut « qu'il n'existe pas de preuves expérimentales solides permettant d'établir un lien de causalité entre l'exposition aux champs électromagnétiques et les symptômes décrits par les personnes se déclarant EHS et à la nécessité d'une prise en charge adaptée et de recherches de qualité », le juge a rejeté les demandes. Selon lui en effet, « en raison d'un nombre d'études scientifiques spécifiques encore insuffisant, des résultats des analyses sanitaires précitées menées par l'ANSES et faute pour les demandeurs de produire des éléments plus amples ou contraires, la preuve d'un risque manifeste de dommage grave et irréversible pour l'environnement ou d'atteinte à l'environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé n'est pas démontrée. En conséquence et sans qu'il soit nécessaire de statuer sur d'autres moyens, les demandeurs ne rapportent donc pas la preuve d'une violation manifeste du principe de précaution et par voie de conséquence de l'existence d'un trouble manifestement illicite.
44.- De toutes les décisions ayant accueilli les prétentions des demandeurs, la société Enedis a annoncé avoir relevé appel. Dans un cas, on dispose d’une première décision rendue au niveau de la Cour d’appel. En effet la société Enedis ayant interjeté appel de l’ordonnance précitée du juge des référés de Toulouse, les intimés l’ont fait assigner en référé devant le premier président de la cour d’appel de Toulouse pour obtenir, sur le fondement de l’article 526 du code de procédure civile , la radiation du rôle de la procédure d’appel en raison de l’inexécution de l’ordonnance. La société Enedis se justifiait en affirmant être dans l’impossibilité d’exécuter l’injonction lui imposant de « délivrer une électricité exempte de tout courant porteur en ligne de type Linky notamment dans les fréquences comprises entre 35 kHz et 95 kHz » dans la mesure où pour s’affranchir de toute émission dans cette bande, il faudrait retirer l’ensemble des matériels “Linky” présents sur le réseau basse tension et ainsi retirer des compteurs chez des usagers étrangers à la procédure, l’exécution de cette injonction ayant alors des conséquences manifestement excessives. En outre, elle refusait également d’installer des filtres car leur pose n’aurait « aucun effet sur le niveau des champs électromagnétiques de l’environnement dans lequel chacun évolue », et qu’il en résulterait pour les demandeurs « une consommation d’électricité supplémentaire » et « un coût d’intervention d’un électricien privé ». Rappelant que, s’agissant d’une ordonnance de référé, la décision du juge des référés était exécutoire à titre provisoire, le premier président de la Cour d’appel de Toulouse a constaté que « la seule inexécution reprochée – et reconnue - porte sur la condamnation de la Société Enedis à délivrer une électricité “propre” aux demandeurs » et que dès lors, à défaut pour (elle) d’avoir posé ou fait poser à ses frais par tout professionnel de son choix chez chacun des 11 demandeurs un filtre CPL » son appel serait radié du rôle .
45.- L’existence de ces décisions qui peuvent paraître contradictoire ne doit pas interdire un certain nombre de remarques. Tout d’abord, s’agissant du fondement, le juge des référés de Toulouse s’est référé uniquement aux conditions du Code de procédure civile pour faire cesser le trouble, alors que les autres juges se sont expressément référés au principe de précaution : c’est sur son fondement qu’ils ont estimé nécessaires, avant tout jugement au fond, de préserver les personnes électrohypersensibles de tout trouble. Le fondement de ces décisions paraît donc relativement incertain. Ensuite, deux types d’injonction existent, selon que les juges prescrivent de n’installer aucun dispositif de comptage et de retirer ceux existants ou qu’ils enjoignent en quelque sorte « simplement » de poser un filtre. Là aussi, la pérennité des mesures provisoires est incertaine car elle diffère selon les juges. Il faut préciser que l’installation d’un filtre « permettant d’éviter la propagation des signaux CPL à l’intérieur des logements » faisait expressément partie des recommandations figurant dans l’avis de l’Anses révisé. De sorte que les juges ayant prescrit cette mesure paraissent avoir souhaité trouver une réponse raisonnable au problème dont ils étaient saisis. En tout état de cause, la décision rendue par le premièrer président de la Cour d’appel de Toulouse permet de saisir qu’en pratique, ces mesures risquent de se heurter à de grandes difficultés. Car en effet, si l’on souhaite éviter toute exposition des personnes électrohypersensibles, alors ni les filtres, ni même le retrait des dispositifs de comptage à leur habitation ne serait suffisant dès lors qu’au regard de la multiplicité d’autres sources extérieures de rayonnement, notamment la présence de concentrateurs, ils demeureront quand même exposés. On peut ajouter que la décision de rejet très motivée du juge des référés du TGI de Nanterre laisse percevoir une bataille juridique qui va se poursuivre sur la question de la preuve d’un rapport de causalité entre les ondes émises par les dispositifs de comptage Linky et les symptômes des personnes électrohypersensibles .
Éléments de conclusions
46.- L’étude du contentieux relatif au déploiement des dispositifs de comptage Linky révèle que celui-ci a d’ores-et-déjà permis de faire avancer le droit, qu’il s’agisse du droit public ou du droit privé. Qualifier d’épopée contentieuse ce phénomène de juridictionnalisation d’une résistance à un objet industriel qui semblait, de prime abord, pouvoir facilement s’imposer, c’est aussi montrer que, même dans un domaine réglementé par des nombreux textes le plus souvent très technique, la vie du droit reste dans les prétoires où s’élaborent et ses développent des stratégies contentieuses qui ont pour finalité de faire évoluer le droit.
47.- L’un des phénomènes les plus intéressants du contentieux en cause, on l’a déjà dit, est celui du nombre de communes ayant tenté de s’opposer au déploiement et ayant persisté malgré les déférés préfectoraux et les nombreuses annulations par le tribunal administratif. De ce point de vue, si rien ne dit que la jurisprudence du Conseil d’Etat à l’été 2019 convaincra définitivement certaines communes en pointe de l’opposition de rendre les armes, elle pourrait surtout avoir pour effet, en pointant le rôle et les compétences des syndicats d’électricité, d’accélérer le mouvement en cours d’interpellation de ces derniers par les usagers, des premiers contentieux ayant déjà été portés devant des tribunaux administratifs.
48.- C’est bien pourtant le juge judiciaire qui pourrait désormais avoir les cartes en main et de ce point de vue, l’activation bien réelle du principe de précaution tout comme la place pour l’heure reconnue aux personnes électrohypersensibles paraissent pouvoir devenir, à condition d’être étayées et de trouver des fondements stables, deux éléments structurant d’un nouveau droit de la responsabilité environnementale. Au terme de cette étude donc, qui risque inévitablement de n’être rapidement plus à jour, tant de décisions étant rendues, on est plus que jamais convaincu que l’avantage d’un tel sujet est d’avoir permis de montrer le droit en mouvement, c’est-à-dire en train de se faire à travers des décisions multiples, parfois contradictoires, mais toutes traversées par des questions de fond qui demeurent pertinentes et qui finiront peut-être par faire évoluer certaines questions ou certaines pratiques.