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L’irrecevabilité de la requête procédant d’une inexacte qualification de la clause relative aux dispositifs de comptage

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La Communauté urbaine du Grand Nancy (CUGN depuis devenue la métropole du Grand Nancy) a conclu en 2011 un nouveau contrat de concession avec les sociétés ERDF (devenue Enedis) et EDF. Six usagers du service public concédé et contribuables locaux ayant contesté des actes détachables du contrat, la Cour administrative d’appel de Nancy avait finalement annulé la délibération approuvant le contrat et la décision de le signer en tant qu'ils portaient sur une convention « dont le cahier des charges comporte, aux articles 2 et 19 concernant la propriété des compteurs, et à l'article 31 concernant la réévaluation de l'indemnité de fin de contrat en cas de résiliation anticipée, des clauses illégales » (CAA Nancy, 12 mai 2014, M. Mietkiewicz et autres, n° 13NC01303 et suivants). Faute de pourvoi, cet arrêt est devenu définitif. Afin d’en tirer les conséquences, un avenant à la concession, modifiant les articles 2, 19 et 31 du cahier des charges, a été conclu en 2015.

Cinq des usagers à qui la Cour avait précédemment donné raison ont entendu contester la validité de cet avenant, en application de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne (CE, 4 avril 2014, Département de Tarn-et-Garonne, n° 358994). Celle-ci trouvait à s’appliquer à un avenant qui a été signé postérieurement à cette jurisprudence, quand bien même il vient modifier un contrat conclu antérieurement (CAA Douai, 3 mai 2018, Mme Claudine Marcy, n° 15DA01301). Ils contestaient néanmoins également à titre subsidiaire en propre la validité de l’article 1er de l’avenant, relatif aux dispositifs de comptage Linky, en tant que cette clause était, selon eux, réglementaire. L’argumentation de la requête tendait à remettre en cause le maintien de l’exclusion des « autres dispositifs de suivi intelligents, de contrôle, de coordination et de stockage des flux électriques, d’injection comme de soutirage » des ouvrages concédés ainsi qu’à faire censurer le mode de calcul de l’indemnité de sortie du contrat. Le Tribunal administratif de Nancy ayant rejeté la requête qu’il a estimée irrecevable, les requérants ont relevé appel du jugement sans toutefois maintenir leurs conclusions à titre subsidiaire.

Dans la décision commentée, la Cour administrative d’appel de Nancy a jugé les conclusions dont elle était saisie irrecevables. En effet, relevant un défaut d’intérêts des requérants susceptibles d’être lésés de façon suffisamment directe et certaine par l’avenant en litige (A), la Cour a opéré, s’agissant de la clause relative aux dispositifs de comptage, une interprétation restrictive de la nouvelle voie de droit ouverte par la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne (B).

A) Le défaut d’intérêts des requérants susceptibles d’être lésés de façon suffisamment directe et certaine par l’avenant en litige

En application de la jurisprudence Département de Tarn-et-Garonne, il est nécessaire que les tiers au contrat qui entendent en contester la validité devant le juge du contrat puissent démontrer qu’ils sont susceptibles d'être lésés dans leurs intérêts de façon suffisamment directe et certaine par la passation ou les clauses du contrat : les conditions d’appréciation de l’intérêt pour agir sont ainsi plus sévères dans le cadre de ce recours que dans le cadre antérieur (celui du recours pour excès de pouvoir contre les actes détachables du contrat). En effet, comme le relevait, dans ses conclusions sur la décision commentée, le rapporteur public, J.-J. Louis, la jurisprudence Tarn et Garonne « consiste à rechercher un équilibre entre le droit au recours et l’impératif de sécurité juridique ; entre la volonté d’ouvrir le contentieux et le soin porté à ce qu’il ne soit pas porté une atteinte excessive aux relations contractuelles en cours ». Dès lors, l’exigence que le requérant justifie d’être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par le contrat est « une composante essentielle de l’équilibre entre la légalité et la stabilité des relations contractuelles, qui ne doivent pas être placées sous la menace permanente d’un recours contentieux ».

Précisément en l’espèce, cela impliquait, pour les requérants, de démontrer que l’avenant querellé les lésait de façon certaine et directe en leur qualité d’usagers du service public de la distribution d’électricité. A l’appui de cet intérêt à agir, ils se prévalaient notamment de leur qualité de « requérant ayant obtenu l’annulation des actes détachables de la passation du précédent contrat de concession ». Toutefois, la Cour a entendu rappeler à la fois que la qualité de partie à « une instance contentieuse ayant donné lieu à une décision juridictionnelle, à la suite de laquelle sont intervenues, indépendamment de son exécution, de nouvelles décisions administratives, ne confère pas en elle-même un intérêt pour agir à l’encontre de ces nouvelles décisions » et que « les usagers du service public de distribution d’électricité n’ont, en cette seule qualité, intérêt à contester un avenant conclu par la personne publique responsable du service que si celui-ci emporte des effets sur l’organisation ou le fonctionnement de ce service public ». Ainsi, la Cour a rejeté tout intérêt à agir automatique au profit des requérants, que ce soit en leur qualité d’usagers du service public ou même en tant qu’ils avaient déjà obtenu l’annulation d’actes détachables du contrat antérieur et avaient donc, par leur démarche contentieuse, étaient directement à l’origine du nouvel avenant, dont ils souhaitaient nénamoins s’assurer de la légalité.

C’est une fois ces précisions faites que la Cour a recherché si les requérants pouvaient se prévaloir, au regard des clauses en question, d’un intérêt lésé. Selon la Cour, les clauses dont la légalité était contestée « qui ont trait, d’une part, au périmètre des ouvrages concédés, d’autre part, aux obligations financières entre les parties en fin de contrat, n’emportent par elles-mêmes aucun effet sur l’organisation et le fonctionnement du service public de la distribution et de la fourniture d’électricité » et demeurent « sans incidence par elles-mêmes sur le tarif de l’électricité payé par les usagers, lequel est déterminé au niveau national par une décision de la commission de régulation de l’énergie ». Dès lors, en leur qualité d’usagers du service public, les requérants ne peuvent se prévaloir d’un intérêt susceptible d’être lésé de façon suffisamment directe et certaine par l’avenant querellé. Elle a tout de même tenu à ajouter, « eu égard au caractère aléatoire que revêt le déploiement d’autres dispositifs », que la clause relative aux dispositifs de comptage ne peut affecter de façon significative les finances ou le patrimoine du concédant. De même, « eu égard au caractère incertain d’une rupture anticipée du contrat », l’éventualité que l’indemnité de fin de contrat puisse excéder le montant réel du préjudice réellement subi par le concessionnaire à l’issue du contrat, est « trop hypothétique pour suffire à établir que les finances ou le patrimoine (du concédant) s’en trouverait affectés de façon significative ». Ce raisonnement ne paraît pas pleinement satisfaisant en droit.

B) Une interprétation restrictive s’agissant de la clause relative aux dispositifs de comptage

L’argumentation retenue par la Cour au sujet de la clause relative à l’indemnisation du concessionnaire paraît difficile à contester, quand bien même on peut toujours estimer qu’une telle clause, si elle était mal rédigée, pourrait, in fine, se traduire par un trop perçu au profit du concessionnaire si une mise en concurrence devait un jour exister dans le secteur de la distribution publique d’électricité.

En revanche, l’argumentation retenue s’agissant de la clause relative aux dispositifs de comptage paraît excessivement restrictive, outre qu’elle semble totalement méconnaître la portée de la critique juridique soutenue par les requérants. Car si cette clause est relative au fonctionnement et à l’organisation du service, peu importe sa portée sur les finances du concédant. Une telle clause serait, en effet, en tout état de cause réglementaire et pourrait donc faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir classique. De ce point de vue, il semble intéressant de relever que, dans ses conclusions sur la décision commentée, J.-J. Louis a recherché si la clause en cause pouvait être qualifiée de réglementaire en concluant que non par application d’un arrêt du Conseil d’Etat ayant déclaré non réglementaire les clauses d'une convention de concession autoroutière relatives à la réalisation des ouvrages « qu'il s'agisse de leurs caractéristiques, de leur tracé, ou des modalités de cette réalisation » (CE, 9 février 2018, Val d’Europe agglomération, n° 404982). Mais, d’une part cette décision porte spécifiquement sur les concessions autoroutières (ou les recours disponibles contre ce type de clause est moins important en raison de la possibilité de contester en amont les déclarations d’utilité publique). D’autre part, la clause décidant du champ des ouvrages exclus de la concession n’est pas liée aux ouvrages eux-mêmes mais au patrimoine de la concession, sujet tout autre.

On ajoutera enfin que la Cour administrative d’appel de Nancy avait déjà semblé hésitante sur le caractère véritable de la clause en question. En effet, dans l’arrêt précité M. Mietkiewicz et autres, elle s’était – fort curieusement - contentée d’en relever l’illégalité sans l’annuler en propre, annulant uniquement la délibération autorisant à signer le contrat et la décision de le signer et « oubliant » de se prononcer sur la nature de la clause. Pourtant, dans ses conclusions, son rapporteur public à l’époque, J.-M. Favret, avait estimé que « les clauses de la convention litigieuse relatives aux compteurs Linky (avaient) assurément un caractère réglementaire, puisqu’elles concernent le fonctionnement du service de distribution de l’électricité » et conclu, au regard de leur illégalité, à leur annulation. De sorte que l’argumentation de la Cour pour convaincre que les clauses ne sont pas relatives au fonctionnement du service de distribution de l’électricité et dénier ainsi tout intérêt lésé aux requérants paraît largement superficielle.

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