Obligation de consulter la CRE sur les projets de règlements relatifs à l'accès aux réseaux publics d'électricité
Afin de mettre en œuvre les schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie prévus aux articles L. 222-1 et suivants du Code de l’environnement, l’article L. 321-2 du Code l’énergie prévoit l’élaboration, par RTE en accord avec les gestionnaires des réseaux publics de distribution et après avis des autorités organisatrices de la distribution concernés, de schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables.
L’article L. 342-1 du Code de l’énergie prévoit que le raccordement destiné à desservir une installation de production à partir de sources d'énergie renouvelable qui s'inscrit dans un schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables comprend à la fois les ouvrages propres à l'installation et une quote-part des ouvrages créés en application de ce schéma. Autrement dit, chaque producteur doit acquitter une quote-part des ouvrages collectifs réalisés dans le cadre du schéma afin d’assurer une péréquation des coûts des investissements réalisés sur les réseaux publics d’électricité. L’article D. 321-10 du Code de l’énergie prévoit cependant que ne s’inscrivent pas dans le schéma régional de raccordement au réseau des énergies renouvelables les raccordements d'installations d'une puissance installée inférieure ou égale à 100 Kva. Les producteurs dont les installations ont une puissance inférieure ou égale au seuil de 100 Kva sont ainsi exonérés du paiement de la quote-part.
C’est dans ce cadre que le décret n° 2016-434 du 11 avril 2016 portant modification de la partie réglementaire du code de l’énergie relative aux schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables, qui créé une procédure d'adaptation des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables, est venu modifier la rédaction des dispsoitions de l’article D. 321-10. D’une part il modifie la façon de calculer le seuil d’exonération de la quote-part en disposant que celui-ci s’applique désormais aux groupes d’installation et non plus aux installations prises isolément, ce qui en facilite le franchissement. D’autre part, il soumet les installations franchissant le seuil de 100 Kva au respect de l’ensemble des dispositions de la partie réglementaire du code de l’énergie relatives aux missions du gestionnaire de réseau transport en matière de raccordement des énergies renouvelables.
C’est afin de contester ces modifications que les requérants, qui projetaient de transformer les toitures de certains bâtiments qu’ils utilisent pour leur activité d’élevage en centrales photovoltaïques, ont déposé un recours pour excès de pouvoir contre le décret. C’est ce recours que le Conseil d’Etat devait juger dans la décision commentée. Le principal moyen soulevé par les requérants contre le décret était relatif à sa légalité externe : il aurait été édicté irrégulièrement dès lors que la CRE n’avait pas été consultée préalablement en application des dispositions de l’article L. 134-10 du code de l’énergie.
L’article L. 134-10 du Code de l’énergie dispose que la CRE « est préalablement consultée sur les projets de dispositions à caractère réglementaire relatifs à l'accès aux réseaux publics de transport et de distribution d'électricité, aux ouvrages de transport et de distribution de gaz naturel et aux installations de gaz naturel liquéfié et à leur utilisation. Elle est également consultée sur le projet de décret en Conseil d'Etat fixant les obligations d'Electricité de France et des fournisseurs bénéficiant de l'électricité nucléaire historique et les conditions de calcul des volumes et conditions d'achat de cette dernière ». Signalons qu’à cette liste, l’article 12 de la loi n° 2017-1839 du 30 décembre 2017 est venu récemment ajouter les projets de dispositions à caractère réglementaire relatives à l'utilisation des installations de stockage souterrain de gaz naturel.
Le Conseil d’Etat devait décider si le décret contesté, en tant qu’il modifiait des dispositions réglementaires relatives aux raccordements des installations de production d’électricité, était relatif « à l’accès aux réseaux publics de transport et de distribution d’électricité » au sens de ces dispositions. Il n’était pas contesté que la CRE n’avait pas était consultée préalablement à l’édiction de ce décret, quand bien même elle l’avait précédemment été de deux projets de décret dont l’objet était relativement similaire, à savoir les décrets n° 2012-533 du 20 avril 2012 et n° 2014-760 du 2 juillet 2014. Dans ses délibérations du 21 février 2012 et du 30 janvier 2014, la CRE s’était d’ailleurs déclarée compétente pour être consultée sur ces textes en affirmant sobrement que « le projet de décret a des effets sur l’accès aux réseaux et entre, donc, dans le champ de compétence de la CRE (nous soulignons) ». Elle considérait ainsi qu’une réglementation affectant le raccordement au réseau devait être regardée comme relatif à l’accès aux réseaux en tant qu’elle avait des effets sur celui-ci.
Afin de justifier non pas l’absence de consultation en l’espèce, mais bien l’absence d’obligation pour le gouvernement de procéder à une telle saisine – qui aurait donc constitué en 2012 et 2014 en l’exercice d’une simple faculté - le ministre recourait à un argument textuel et faisait valoir en défense que le Code de l’Energie opérait une distinction claire entre les dispositions relatives à l’accès aux réseaux et celles relatives au raccordement aux réseaux. Dans ses conclusions sur l’arrêt, Y. Benard relevait pourtant que « ces deux ensembles ne sont pas hermétiques l’un à l’autre, notamment en ce qui concerne les références au coût du raccordement ». Cela apparaît inévitable : car le si le raccordement au réseau est une opération technique, elle bénéficie d’une définition juridique précise et d’un encadrement clair de la prise en charge de son coût. L’article L. 342-1 du Code de l’énergie précise que le raccordement des utilisateurs – à savoir, selon l’article 2 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009, toute personne physique ou morale « alimentant un réseau de transport ou de distribution ou desservie par un de ces réseaux » - aux réseaux publics comprend « la création d’ouvrages d’extension, d’ouvrages de branchement en basse tension et le cas échéant le renforcement des réseaux existants ». A bien des égards, le raccordement apparaît comme la principale opération garantissant, dans les faits, l’effectivité du droit d’accès aux réseaux publics d’électricité que le gestionnaire de réseau à l’obligation d’assurer dans le cadre de sa mission de service public selon l’article L. 111-91 du Code de l’énergie. Ce que Y. Bernard confortait dans ses conclusions en précisant que le droit à l’accès « doit être lu comme incluant, implicitement mais nécessairement, la possibilité de se raccorder » avec pour conséquence qu’accès et raccordement « ne sont pas exclusifs l’un de l’autre ».
Le Conseil d’Etat est allé en ce sens en estimant que le texte contesté, qui modifie notamment « le périmètre de facturation et le partage des coûts de (…) raccordement » a « des effets sur les modalités d’accès aux réseaux publics d'électricité des producteurs ». Il a ainsi confirmé le raisonnement qui avait été celui de la CRE dans ses délibérations précitées de 2012 et 2014 et en conséquence il a jugé que le décret aurait dû obligatoirement lui être soumis pour avis à la CRE avant d’être édicté. Il a par ailleurs estimé que l’omission de cette consultation avait été susceptible d’exercer, en l’espèce, une influence sur le contenu du décret attaqué et l’a par conséquent annulé.