Illégalité des offres conditionnelles tenant compte d'une procédure de passation mise en œuvre par une autre autorité concédante
Par un avis d'appel public à la concurrence, la commune de Limoux avait lancé une procédure de passation d'une délégation du service public pour la distribution d'eau potable d'une durée de sept ans.Trois sociétés ont déposé une offre.
Parallèlement à cette procédure, le syndicat intercommunal à vocation unique (SIVU) de la station d'épuration du Limouxin avait lancé une procédure de passation de la délégation pour le service public de l'assainissement sur le territoire de ses onze communes membres, dont faisait partie la commune de Limoux.
En cours de négociation, celle-ci a adressé un courrier par lequel elle sollicitait des candidats, conjointement avec le SIVU de la station d'épuration du Limouxin, une offre financière pour le service de l'eau potable dans l'hypothèse de l'attribution simultanée à un même candidat des deux contrats de délégation de service public de distribution de l'eau potable et de l'assainissement.
C'est dans ce cadre qu’une candidate évincée, classée en deuxième position, a saisi le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Montpellier afin qu'il annule les décisions se rapportant à la procédure de passation de la délégation du service public de distribution d'eau potable de la commune de Limoux. Le juge des référés a fait droit à cette requête en relevant notamment que la commune ne pouvait "sans méconnaître l'objet même de la concession en cause, prendre en compte, pour opérer le choix du délégataire, des éléments étrangers à ce contrat afin de permettre aux candidats d'optimiser leur proposition financière par une mutualisation de moyens se rattachant à un autre contrat de délégation de service public dont la procédure de passation a été engagée par une autre personne publique" (TA Montpellier, Ordonnance, 17 janvier 2017, n° 1606090).
C'est de cette ordonnance que le Conseil d'Etat était saisi par la voie de la cassation et qu'il a confirmé par la décision commentée. Signalons que la société requérante a également obtenu, par une décision du même jour, la confirmation par le Conseil d'Etat de l'annulation, pour des motifs différents de ceux mentionnés dans la décision rapportée, de la procédure de passation de la délégation par affermage du service public de distribution de l'assainissement engagée par le SIVU (CE, 24 mai 2017, n° 407264).
Jugeant contraire aux prescriptions de l'ordonnance du 29 janvier 2016 de solliciter des offres conditionnées par des éléments figurant dans une procédure de passation distincte (I), le Conseil d'Etat a adopté une solution très motivée venant encadrer la liberté des personnes publiques dans le cadre de la procédure de passation des contrats de concession (II).
I - L'impossibilité de solliciter des offres conditionnées par des éléments figurant dans une procédure de passation distincte
En sollicitant des candidats à l'attribution des deux contrats relatifs, d'une part, à la gestion du service public de la distribution d'eau potable et, d'autre part, à la gestion du service public de l'assainissement qu'ils produisent une offre finale pour le cas où ils seraient attributaires des deux contrats, la commune, comme le SIVU, mettaient en oeuvre une logique rationnelle tendant à obtenir de l'attributaire son meilleur prix. Pour autant, en droit, cette demande inédite n'allait pas sans poser problème.
Si l'article 46 de l'ordonnance du 29 janvier 2016 précise que les autorités concédantes peuvent organiser "librement une négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires", il ajoute que cette négociation ne peut porter que "sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation". De façon plus précise, l'article 47, alinéa 1, de la même ordonnance prévoit que "le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution".
Selon le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier, en introduisant des éléments financiers relatifs à un second contrat, la commune prenait en compte des éléments étrangers au contrat objet de la procédure de passation et méconnaît ainsi les dispositions de l'article 47. C'est ce raisonnement que critiquait la commune en cassation sur le terrain de l'erreur de droit en alléguant que la demande se rattachait bien à l'objet de la concession dès lors, d'une part, qu'elle cherchait à appréhender les véritables conditions d'exécution du contrat et, d'autre part, à obtenir la meilleure offre compte tenu des économies réalisées par les candidats si, in fine, ils étaient titulaires de deux activités complémentaires. Ce n'est pas le raisonnement qu'a suivi le Conseil d'Etat. Confirmant et développant la solution retenue par le premier juge, il a jugé "qu'une autorité concédante ne peut modifier en cours de procédure les éléments d'appréciation des candidatures ou des offres en remettant en cause les conditions de la mise en concurrence initiale" et "qu'elle ne peut non plus, sans méconnaître l'objet de la concession qu'elle entend conclure et l'obligation de sélectionner la meilleure offre au regard de l'avantage économique global que présente pour elle cette offre, demander aux candidats de lui remettre une offre conditionnelle tenant compte d'une procédure de passation mise en oeuvre par une autre autorité concédante ou prendre en compte, pour choisir un délégataire, des éléments étrangers à ce contrat (nous soulignons)". Ce faisant, le Conseil d'Etat a donné plus d'ampleur aux prescriptions de l'article 47 de l'ordonnance en jugeant à la fois qu'elles interdisaient, pour choisir l'attributaire du contrat de concession, de prendre en compte des éléments étrangers au contrat mais, également, de demander aux candidats de remettre une offre conditionnelle.
En l'espèce, il en a tiré pour conséquence que le courrier adressé conjointement avec le SIVU aux candidats leur demandant, de tenir compte, pour leur ultime offre, de "l'unicité de facturation des services de l'eau potable et de l'assainissement" dans l'hypothèse de l'attribution simultanée des deux contrats au même candidat, constituait une demande d'offre conditionnelle "tenant compte d'une procédure de passation mise en oeuvre par une autre autorité concédante, portant sur la délégation d'un service public dont tant l'objet que le périmètre géographique étaient différents du service public en cause", faisant ainsi entrer des éléments étrangers au service public concédé. Il a ainsi confirmé l'annulation de la procédure de passation.
II - Une solution motivée encadrant la liberté des personnes publiques
La lecture des conclusions du rapporteur public, G. Pellissier, permet d'éclairer le raisonnement tenu par le juge dans la décision commentée. Ce dernier a en effet mis en avant trois raisons justifiant le refus de la possibilité d'introduire des éléments non seulement étrangers au contrat, mais également conditionnés à l'attribution d'un autre contrat pour apprécier les offres remises dans le cadre de la procédure de passation d'un contrat de concession.
En premier lieu, une telle pratique aboutirait à bouleverser les mécanismes d'attribution des contrats. En effet, "une offre conditionnelle dont la réalisation ne dépend pas de la volonté des parties rend impossible la conclusion de la procédure, puisque si la meilleure offre est ainsi subordonnée à ce que le candidat obtienne un autre contrat, son acceptation ne sera tout au plus qu'une promesse de contrat ou un contrat affecté d'une clause résolutoire, ce qui revient au même". Ce faisant, il mettait en avant le caractère aléatoire de l'appréciation des offres au regard du nouveau critère, puisque celui-ci dépend du résultat d'une procédure de passation distincte, engagée par une autorité concédante tierce. Car si l'attributaire du premier contrat n'est finalement pas retenu pour le second contrat, l'examen des offres devrait théoriquement recommencer, ce que l'ordonnance du 29 janvier 2016 ne permet pas.
En deuxième lieu, une telle pratique conduirait à rompre le principe d'égalité entre les candidats dès lors qu'elle tend à privilégier les offres des candidats à l'attribution des deux contrats : ils pourront "tenir compte d'économies d'échelle, désavantageant mécaniquement les candidats qui ne se présenteront qu'à l'attribution d'un seul contrat, alors même que leur candidature et leur offre seraient parfaitement régulières". Autrement dit, accepter cette pratique conduirait à donner un avantage économique à certains opérateurs en capacité de candidater sur les deux types de contrat et, compte tenu de leur structure, de réaliser des économies d'échelles.
En troisième lieu, cette possibilité se heurterait à des obstacles pratiques pour les candidats. Comme le relevait G. Pellissier, "la seule manière de répondre à ces demandes sans se disqualifier dans l'une des deux consultations est de baisser les deux offres proportionnellement, au risque d'être moins bien noté que ceux qui auront tenu compte de la mutualisation sur l'une seulement de leurs offres". Pour éviter ces problèmes, la seule alternative serait, pour les autorités concédantes, de décider par avance de désigner le même candidat, ce qui violerait évidemment tant la lettre que l'esprit de l'ordonnance du 29 janvier 2016, puisque la procédure serait purement factice.
C'est donc à la lumière de ces explications à la fois très pratiques et très complètes que le Conseil d'Etat a décidé d'interdire la possibilité pour l'autorité concédante de solliciter des offres conditionnées à des éléments figurant dans une autre procédure de passation donc étrangers à la procédure concernée.
Une telle jurisprudence ne vise cependant pas à revenir sur la réelle marge de manoeuvre dont disposent les personnes publiques au stade de la détermination de l'objet de leur contrat de concession. Ainsi, la personne publique qui entend confier à un opérateur économique la gestion de services dont elle a la responsabilité n'est jamais obligé de conclure autant de conventions qu'il y a de services distincts, sauf à "donner à une délégation un périmètre manifestement excessif" ou à "réunir au sein de la même convention des services qui n'auraient manifestement aucun lien entre eux" (CE, 21 septembre 2016, n° 399656). Comme le relevait G. Pellissier dans ses conclusions sur ce dernier arrêt, l'appréhension de l'objet de la délégation de service public est "globale et seule l'inclusion d'activités sans aucun rapport avec les services publics délégués pourrait être censurée, cette dernière contrainte étant encore plus légère depuis que l'ordonnance du 29 janvier 2016 permet aux personnes publiques de concéder des services qui n'ont pas nécessairement à recevoir la qualification de service public". Autrement dit, l'encadrement par la décision commentée des critères de choix des offres n'interdit nullement à une personne publique d'envisager, en amont, de concéder par un même contrat deux activités qu'elle estime complémentaires et de pouvoir ainsi bénéficier des avantages financiers liés à leur regroupement au sein d'un seul et même contrat faisant l'objet d'une seule procédure de passation.
En définitive, l'interprétation donnée par le Conseil d'Etat des articles de l'ordonnance du 29 janvier 2016 relatifs au choix des offres peut s'autoriser d'excellentes raisons pratiques et n’a ni pour objet, ni pour effet de limiter la liberté des autorités concédantes de décider de l'objet de leur contrat de concession.