Validation de la nouvelle méthode de fixation des TRV
Aujourd’hui, coexistent sur le marché français de la fourniture d’électricité des tarifs réglementés de vente pour les petits consommateurs (dits tarifs bleus), fixés par arrêté ministériel, que seuls les opérateurs dits « historiques » (la société EDF et les entreprises locales de distribution) peuvent appliquer dans le cadre d’un monopole légal, et des offres de marché que l’ensemble des opérateurs, y compris les fournisseurs dits « alternatifs », peuvent proposer.
La persistance de tarifs réglementés de vente au montant fixé par l’Etat pour les petits consommateurs (alors que les tarifs jaunes et verts des gros consommateurs n’existent désormais plus) est une exigence politique visant à garantir le pouvoir d’achat des ménages ; elle a longtemps été un frein au développement d’une concurrence effective dans ce secteur, ce que le législateur, fortement incité par le droit de l’Union européenne, a tenté d’endiguer en permettant d’assurer la « contestabilité » des tarifs réglementés par les offres de marché. Dans cette optique, le système de l’Accès Régulé à l'Electricité Nucléaire Historique (ARENH), mis en place par la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité, permet aux fournisseurs alternatifs d’acquérir auprès de la société EDF, à un tarif régulé, une part de l’électricité d’origine nucléaire. Afin de faciliter l’ouverture à la concurrence de ce marché, le législateur a par ailleurs prévu, dans cette même loi, que les tarifs réglementés de vente de l’électricité seront progressivement calculés selon une méthode dite d’empilement des coûts.
Par une requête en date du 30 décembre 2014, la société Direct Energie, fournisseur alternatif, a sollicité du Conseil d’Etat l’annulation du décret du 28 octobre 2014. Elle visait en particulier la nouvelle rédaction de l’article 3 du décret de 2009, qui mettait en place la méthode de calcul par empilement des coups en disposant que « pour chaque catégorie tarifaire mentionnée à l'article 2, le niveau des tarifs réglementés de vente de l'électricité est déterminé, sous réserve de la prise en compte des coûts de l'activité de fourniture de l'électricité aux tarifs réglementés d'Electricité de France et des entreprises locales de distribution, par l'addition du coût de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément d'approvisionnement, qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale de l'activité de fourniture ». C’est la fameuse méthode de calcul dite par empilement des coûts. En outre, par un mémoire distinct, la société requérante a soulevé une question prioritaire de constitutionnalité visant la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des dispositions de l’article L. 337-5 du Code de l’énergie.
Le cœur du litige était constitué par la validité de la nouvelle méthode de fixation des tarifs réglementés de vente de l’électricité, alors même que le cadre législatif de cette fixation a successivement évolué depuis la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité. Au moment de l’édiction du décret contesté, c’est-à-dire avant le vote de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, l’article L. 337-5 du Code de l’énergie en vigueur, sur la base duquel ce décret a été édicté, prévoyait que les tarifs réglementés de vente d'électricité étaient définis « en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures, en fonction des coûts liés à ces fournitures (nous soulignons ) ». L’article L. 337 -6 précisait pour sa part que jusqu’au 31 décembre 2015 au plus tard, les tarifs devaient être « progressivement établis en tenant compte de l'addition du prix d'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, du coût du complément à la fourniture d'électricité qui inclut la garantie de capacité, des coûts d'acheminement de l'électricité et des coûts de commercialisation ainsi que d'une rémunération normale ». La loi du 17 août 2015 a depuis modifié l’article L. 377-5 pour préciser que ces tarifs sont définis en fonction de catégories fondées sur les caractéristiques intrinsèques des fournitures « en fonction des coûts mentionnés à l'article L. 337-6 ». Autrement dit, le législateur a désormais fait le choix d’énumérer les coûts devant être pris en compte dans la fixation des tarifs réglementés de vente sans référence aux coûts liés aux fournitures.
Néanmoins, dans sa rédaction antérieure, applicable à l’instance, l’article L. 337-5 imposait une logique de couverture des coûts des fournisseurs historiques et il posait des problèmes de compatibilité avec l’article L. 337-6 qui, lui, imposait clairement la nouvelle méthode par empilement des coûts. Dans sa délibération du 24 septembre 2014 portant avis sur le projet de décret, la Commission de régulation de l’énergie avait elle-même noté que le Code de l’énergie ne prévoyait pas la façon dont devaient s’articuler les dispositions de l’article L. 337-5 et celles de l’article L. 337-6. Ainsi, comme l’a relevé le rapporteur public, E. Bokdam-Tognetti, dans ses conclusions sur la décision commentée, le sort qu’il convenait de réserver aux moyens soulevés par la société requérante dépendait « en large part, de la lecture que (le Conseil d’Etat adopterait) des articles L. 337-5 et L. 335-6 du code de l’énergie et de leur combinaison ». Précédemment, le juge des référés du Conseil d’Etat avait déjà eu l’occasion d’estimer que, jusqu’au 31 décembre 2015, la méthode d’empilement des coûts et le principe de couverture des coûts complets des opérateurs historiques devaient être appliqués de manière cumulative (CE, Ordonnance, 7 janvier 2015, ANODE, n° 386076). Or, pour la société requérante, la méthode mise en place ne respectait pas le principe de couverture des coûts complet des opérateurs historiques.
Soucieux d’opérer une lecture à la fois génétique et fonctionnelle de la loi, c’est-à-dire conforme tout à la fois à l’intention supposée du législateur et à l’objectif poursuivi par le texte de la loi, le Conseil d’Etat a tout d’abord rappelé qu’à travers ces dispositions, le législateur a « entendu organiser, sur une période transitoire de cinq ans s’achevant au plus tard le 31 décembre 2015, une convergence tarifaire propre à résorber l’écart structurel qui existait alors, pour des raisons historiques qui tenaient à l’économie générale du marché de l’électricité en France, entre le niveau des tarifs réglementés de l’électricité et les coûts, plus élevés à l’époque, de fourniture de l’électricité distribuée à un tarif de marché ». Autrement dit, l’objectif de la loi NOME était d’opérer un rapprochement progressif entre les tarifs réglementés de vente et les tarifs dits libres. La décision commentée a confirmé, sur ce point, l’analyse développée dans la décision Société Poweo (CE, 24 avril 2013, Société Poweo, n° 352242).
Bien plus, selon le Conseil d’Etat, « en prévoyant la prise en compte des coûts de l'activité de fourniture de l'électricité aux tarifs réglementés par les fournisseurs historiques, le législateur a, dans le but à la fois de ne pas fausser la concurrence sur le marché de détail de l’électricité et de ne pas imposer aux fournisseurs historiques une vente à un tarif inférieur à leur coût de revient, exclu que les tarifs réglementés soient fixés à un niveau artificiellement bas, inférieur aux coûts comptables complets de la fourniture de l’électricité à ces tarifs, incluant les frais financiers (nous soulignons) ». Ainsi précisé, l’objectif que s’était assigné le législateur était également celui que devait poursuivre le pouvoir réglementaire dans la détermination de la méthode de fixation des tarifs réglementés de vente de l’électricité. Il imposait la prise en compte des coûts comptable complets de l’opérateur EDF et des ELD pour la fourniture d’électricité.
Le décret contesté a fixé à son article 2 l’achèvement de la période transitoire prévue par le législateur au 31 octobre 2014. Il a procédé à la réécriture de l’article 3 du décret de 2009 qui prévoyait avant que « la part fixe et la part proportionnelle de chaque option ou version tarifaire sont chacune l'addition d'une part correspondant à l'acheminement et d'une part correspondant à la fourniture qui sont établies de manière à couvrir les coûts de production, les coûts d'approvisionnement, les coûts d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution et les coûts de commercialisation, que supportent pour fournir leurs clients Electricité de France et les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946, ainsi qu'une marge raisonnable (nous soulignons) ».
En prévoyant la prise en compte d’une marge raisonnable dans le calcul des tarifs, le décret de 2009 dans sa rédaction initiale faisait application d’une règle figurant dans la loi. En effet, les dispositions du dernier alinéa du II de l’article 4 de la loi du 10 février 2000 prévoyaient que les tarifs réglementés de vente de l’électricité couvrent « matérialisant le principe de gestion du service public aux meilleures conditions de coûts et de prix mentionné à l'article 1er, les tarifs règlementés de vente d'électricité couvrent l'ensemble des coûts supportés à ce titre par Electricité de France et par les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 (nous soulignons) ». En application de ces dispositions, le Conseil d’Etat avait déjà jugé que les ministres, à l’époque compétents pour fixer les tarifs réglementés de vente de l’électricité, étaient « tenus de répercuter dans les tarifs qu'ils fixent, au moins une fois par an, les variations, à la hausse ou à la baisse, des coûts moyens complets de l'électricité distribuée par Electricité de France et les distributeurs non nationalisés » et qu’il appartenait ainsi aux ministres à la fois de permettre au moins la couverture des coûts moyens complets des opérateurs afférents à la fourniture de l'électricité à ce tarif, tels qu'ils peuvent être évalués à (la date de fixation des tarifs) », ainsi que de « prendre en compte une estimation de l'évolution de ces coûts sur l'année à venir, en fonction des éléments dont ils disposent à cette même date » et « d'ajuster le tarif s'ils constatent qu'un écart significatif s'est produit entre tarif et coûts, du fait d'une sous-évaluation du tarif, au moins au cours de l'année écoulée » (CE, 1er juillet 2010, Société Poweo, n° 321595). Néanmoins, la loi NOME est venue abroger ces dispositions du dernier alinéa du II de l’article 4 de la loi du 10 février 2000.
Tirant les conséquences de cette abrogation, dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a précisé que si les frais financiers d'EDF doivent être pris en compte dans l'évolution des tarifs, le législateur n’a « pas entendu (…) garantir un niveau de rémunération des capitaux propres engagés ». Comme l’a relevé le rapporteur public, l’article L. 337-5 n’impose pas « la couverture intégrale des coûts comptables complets incluant une marge d’EDF » : il fait simplement « peser une contrainte minimale de prise en compte de ces coûts dans la fixation des tarifs, consistant en pas plus – mais pas moins non plus – que l’interdiction de fixer les tarifs réglementés de vente à un niveau qui imposerait manifestement à EDF de vendre durablement à perte son électricité ». Ainsi, le Conseil d’Etat a retenu une interprétation souple du principe de couverture des coûts en considérant qu’il n’implique pas nécessairement de retenir l’ensemble des coûts complets constatés dans la comptabilité des fournisseurs, mais simplement la prise en compte du niveau de ces coûts, ce qui, comme le relevait le rapporteur public « peut se faire de bien des façons ». La conciliation des articles L. 337-5 et L. 337-6 aboutit nénamoins à ce que la méthode de calcul par empilement des coûts soit insuffisante en elle-même si l’autorité administrative ne prend pas en compte également le niveau du coût de fourniture des opérateurs historiques afin d’éviter toute sous-évaluation des tarifs réglementés de vente.
C’est sur cette base que les moyens développés par la société requérante ont été rejetés par le juge.