Continuité de la fourniture du gaz et de l’électricité après les offres de marchés transitoires
L’ordonnance du 10 février 2016 vient garantir la continuité de la fourniture des consommateurs d'électricité et de gaz pour lesquels les tarifs réglementés de vente ont disparu au 1er janvier 2016 qui n'auraient pas souscrit une offre de marché au 30 juin 2016.
L’article 172 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte est venu autoriser le gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires pour compléter la transposition des directives 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et 2009/73/CE concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel. Ces directives prévoient l’organisation d’un marché unique de l’énergie au sein de l’Union en partant du constat que « les libertés que le traité garantit aux citoyens de l’Union (…) ne peuvent être effectives que dans un marché entièrement ouvert qui permet à tous les consommateurs de choisir librement leurs fournisseurs et à tous les fournisseurs de fournir librement leurs produits à leurs clients ». Dès lors, afin de permettre la liberté de choix du fournisseur et, autant que faire se peut, la libre fixation des prix par le marché, la transposition de la directive impose une disparition progressive des tarifs réglementés de vente de gaz et d’électricité (Voir C. Le Bihan Graf, « Les tarifs réglementés à l’épreuve de la libéralisation des marchés de l’énergie : bilan et perspectives », Energie - Environnement - Infrastructures, 2015, n° 4, p. 21). Toutefois, le droit de l’Union européenne permet aux Etats membres de conserver des tarifs règlementés de vente dans un objectif de protection des consommateurs finals. Cette faculté est cependant étroitement encadrée selon la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (Voir CJUE, 20 avril 2010, Federutility e.a. aff. C-265/08).
Aujourd’hui coexistent toujours sur le marché français de la fourniture d’électricité des tarifs réglementés de vente, fixés par arrêté ministériel, que seuls les opérateurs dits « historiques » (la société EDF et ENGIE ainsi que les entreprises locales de distribution) peuvent appliquer dans le cadre d’un monopole légal, et des offres de marché que l’ensemble des opérateurs, y compris les fournisseurs dits « alternatifs », peuvent proposer. Si tous les consommateurs peuvent librement choisir leur fournisseur, en pratique, les contrats souscrits aux tarifs réglementés représentent encore l’écrasante majorité du marché de l’électricité (Voir l’observatoire des marchés de détail de l’électricité et du gaz du troisième trimestre 2014, www.cre.fr). Rappelons enfin que si la fourniture d’énergie est une activité libre de marché, la fourniture d’électricité ou de gaz aux tarifs règlementés de vente est un service public local.
Cependant, la loi n° 2010-1488 du 7 décembre 2010 portant nouvelle organisation du marché de l'électricité dite loi NOME pour l’électricité et la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation pour le gaz, sont intervenues afin de poursuivre la libéralisation du marché de l’énergie, en organisant la disparition des tarifs réglementés de vente au 1er janvier 2016 pour les clients non résidentiels. Ainsi, l’article L. 337-9 du Code de l’énergie prévoit que les tarifs réglementés de vente d'électricité ont cessé d'exister pour les clients ayant une puissance électrique souscrite supérieure à 36 kVA tandis que l’article L. 445-4 du même code prévoit que les tarifs réglementés de vente de gaz ont cessé d'exister pour les clients consommant annuellement plus de 30 MWh de gaz naturel, hormis les syndicats de copropriétaires ou propriétaires uniques d'un immeuble à usage principal d'habitation consommant annuellement moins de 150 MWh.
Un dispositif transitoire a cependant été prévu selon lequel, à défaut d’avoir souscrit un nouvel abonnement en offre de marché à la date de résiliation de son contrat au tarif réglementé de vente, le consommateur est réputé avoir accepté les conditions contractuelles d’un nouveau contrat qui lui aura été adressé par son fournisseur initial trois mois avant la suppression du tarif réglementé. Ce contrat « transitoire », d’une durée maximale de six mois, peut être résilié à tout moment sans frais, étant précisé qu’il s’applique tant aux consommateurs de gaz qu’aux consommateurs d’électricité. Le Conseil d’Etat a précisé que les acheteurs publics peuvent bénéficier du dispositif transitoire pour l’alimentation de leurs sites pour lesquels le tarif réglementé de vente disparaît, mais pas pour les autres sites pour lesquels des marchés de fourniture doivent être conclus (CE, Avis,16 septembre 2014, n° 389174).
Par sa délibération en date du 28 mai 2015, la Commission de régulation de l’énergie invitait le gouvernement à mettre en œuvre une large campagne d’information auprès des consommateurs pour les informer de la disparition des tarifs réglementés de vente et à mettre en place des mesures concernant la situation des consommateurs inactifs, ou les consommateurs actifs qui ne parviennent pas à se voir proposer une offre de marché. Elle précisait que le gouvernement pourrait examiner la faisabilité de la mise en place d’un dispositif de fournisseur de dernier recours ou de fournisseur par défaut, dans des conditions compatibles avec le droit européen et avec des dispositions incitant les consommateurs inactifs à rechercher une offre de marché. Le 1er décembre 2015, elle avait publié son rapport sur le fonctionnement des marchés de détail français d’électricité et du gaz naturel pour les années 2014 et 2015. Elle y annoncait la désignation d’un fournisseur par défaut pour les cas où le consommateur n’aurait souscrit aucun contrat d’abonnement à l’échéance de l’offre transitoire le 30 juin 2016. C’est l’objet de l’ordonnance du 10 février 2016 qui vise à assurer la continuité de la fourniture du gaz et de l’électricité au-delà du 30 juin 2016 pour les consommateurs. Ce faisant l’ordonnance poursuit notamment l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent (Décision n° 2015-470 QPC du 29 mai 2015).
Elle prévoit qu’au 1er janvier 2016, à défaut d'avoir conclu un nouveau contrat avec un fournisseur de son choix et sauf opposition de sa part, le consommateur est réputé avoir accepté les conditions contractuelles du nouveau contrat que lui propose le fournisseur d’électricité ou de gaz naturel désigné par la Commission de régulation de l'énergie. C’est en effet la Commission de régulation de l’énergie qui doit organiser une mise en concurrence des fournisseurs selon un cahier des charges qu’elle rédige. Ce cahier de charges peut prévoir un allotissement sous certaine condition et doit prévoir les conditions contractuelles de vente applicables. Il prévoit également le prix facturé et le cas échéant les formules d’évolution des prix. L’ordonnance prévoit un prix majoré de 30 % par rapport aux prix usuellement pratiqués par les fournisseurs afin d’inciter les consommateurs à souscrire une offre de marché. Ce faisant, le dispositif utilise une technique d’encouragement et peut, dans une certaine mesure, être envisagé comme un nouvel exemple de la fonction promotionnelle du droit (N. Bobbio, « La fonction promotionnelle du droit », in Essais de théorie du droit, Paris : LGDJ, 1998, p. 65).
La Commission de régulation de l’énergie doit sélectionner les fournisseurs en fonction du montant unitaire qu'ils s'engagent à reverser à l'Etat pour chaque mégawattheure vendu et calculer le montant du versement dû par chaque fournisseur sélectionné sur la base du montant unitaire proposé dans l'offre retenue et de la consommation des consommateurs bénéficiaires de l'offre, en tenant compte des volumes livrés et ayant donné lieu à encaissement, selon les modalités déterminées dans le cahier des charges.
Les fournisseurs désignés doivent adresser aux clients concernés les conditions contractuelles qui leur sont applicables et les informer de leur droit d’opposition à ce contrat pour souscrire une offre de marché. Le contrat est conclu pour une durée d'un an tacitement reconductible, mais le consommateur peut résilier le contrat à tout moment sans qu'il y ait lieu à indemnité. A l'issue de la première année du contrat, le fournisseur est libre de faire évoluer les conditions du contrat à l'exception des modalités de résiliation ; ce projet de modification est communiqué au consommateur ainsi que l’information lui précisant qu'il peut souscrire une offre de marché chez le fournisseur de son choix. Ce projet est également soumis à la Commission de régulation de l’énergie qui peut s’y opposer. Celle-ci, dont les attributions et le rôle ne cessent de croître, apparaît ainsi comme la pierre angulaire du dispositif.
Afin de garantir une continuité de la fourniture dans tous les cas, il est également prévu que les consommateurs qui n’auraient pas pu rentrer au 1er juillet 2016 dans le périmètre du fournisseur retenu lors de la mise en concurrence voient leur contrat transitoire prolongé jusqu'à l'aboutissement d'une nouvelle procédure de mise en concurrence. La continuité est ainsi assurée dans tous les cas.
Enfin la loi prévoit l'obligation du fournisseur initial de donner accès à l'ensemble des fournisseurs alternatifs, bénéficiant d'une autorisation de fourniture, aux données des clients auxquels s'applique l'offre de marché transitoire de 6 mois. C’est un point capital, car les opérateurs « historiques » disposent en la matière de données importantes, issues du monopole, qui leur assurent un avantage évident sur le marché. De ce point de vue, l’ordonnance prend acte de la décision de l’autorité de la concurrence du 9 septembre 2014 qui ordonnait à GDF Suez (désormais ENGIE) d'accorder à ses concurrents un accès à une partie des données de son fichier historique.
En synthèse, l’ordonnance commentée vient mettre en place un mécanisme de fournisseur par défaut régulé par la Commission de régulation de l’énergie pour éviter que la suppression des tarifs réglementés de vente pour les consommateurs non résidentiels puisse entrainer l’interruption de la continuité de la fourniture du gaz ou de l’électricité. Elle vise ainsi à éviter que le passage d’une activité de service public à une activité libre de marché s’agissant de la fourniture d’énergie ne puisse aboutir à la méconnaissance du principe de continuité du service public.