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Cabinet d'avocat à Paris

Conciliation du droit de grève avec l’objectif de préservation de l’ordre public économique

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Figurant au livre VI du Code de l’énergie, contenant les dispositions relatives au pétrole, aux biocarburants et bio liquides, les dispositions des articles L. 671-2 et L. 671-3 du Code de l'énergie ont peu attiré l’attention. Issues de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, elles prévoient les conditions dans lesquelles les entreprises soumises à la réglementation des prix peuvent ou non interrompre leur activité de distribution, dans le secteur du gros comme du détail, dans les collectivités relevant de l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités d'outre-mer de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin, de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna.

C’est à l’occasion de l’examen de la constitutionnalité de ces dispositions que le Conseil constitutionnel a été amené, dans une décision du 11 décembre 2015, à concilier, pour la première fois, l’exercice du droit de grève avec l’objectif de préservation de l’ordre public économique.

L’article L. 671-2 du Code de l'énergie rend obligatoire l’édiction, par le représentant de l’Etat dans les collectivités concernées, d’un plan annuel de prévention des ruptures d’approvisionnement qui garantit « en cas d'interruption volontaire de son activité par toute entreprise du secteur de la distribution de gros, la livraison de produits pétroliers pour au moins un quart des détaillants de son réseau de distribution ». Le plan contient la liste des détaillants concernés, qui ont l’obligation de ne pas cesser leur activité. En cas de refus d’approvisionner les détaillants de son réseau de distribution mentionné dans le plan par une entreprise du secteur de la distribution en gros, le représentant de l’Etat peut procéder à sa réquisition. De même, lorsque les points de vente figurant dans le plan font l'objet d'une interruption de leur activité à la suite d'une décision concertée des entreprises de distribution de détail, le représentant de l'Etat peut procéder à leur réquisition dans les conditions prévues à l'article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales. L’article L. 671-3, qui ne concerne que les entreprises du secteur de la distribution en gros de produits pétroliers, punit d’une amende de 50 000 euros le non-respect par l’une d’elles du plan de prévention des ruptures d'approvisionnement. A travers ces dispositions, le législateur vise ainsi à garantir l’approvisionnement d’au moins un quart des détaillants du réseau de distribution et leur ouverture pour fournir les clients dans les collectivités d’outre-mer.

C’est dans ce cadre que le syndicat réunionnais des exploitants de stations-service et plusieurs sociétés ont introduit une requête devant le Tribunal administratif de Saint-Denis contestant l’arrêté du préfet de la Réunion du 2 février 2015 rendant public le plan de prévention des ruptures d’approvisionnement. A cette occasion, ils ont posé une question prioritaire de constitutionnalité relatives aux dispositions des articles L. 671-2 et L. 671-3 du Code de l’énergie. Par une ordonnance en date du 10 juillet 2015, le Tribunal administratif avait renvoyé au Conseil d’Etat la question en jugeant que les moyens tirés de la méconnaissance, par ces dispositions, des principes constitutionnels du droit de grève et de la liberté d’entreprendre posaient une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux (TA Saint-Denis, Ordonnance, 10 juillet 2015, Syndicat réunionnais des exploitants de stations-service (SRESS) et autres, n° 1500462). Dans un arrêt Syndicat réunionnais des exploitants de stations-service et autres (CE, 30 septembre 2015, Syndicat réunionnais des exploitants de stations-service et autres, n° 391841), le Conseil d’Etat a transmis la question au Conseil constitutionnel aux conclusions contraires de son rapporteur public. Néanmoins, du fait des griefs portés par les requérants, le Conseil constitutionnel a décidé de restreindre l’objet de la question aux deuxième et troisième phrases du deuxième alinéa et au quatrième alinéa de l'article L. 671-2 du code de l'énergie.

Le Conseil constitutionnel a ainsi relevé qu’en « adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu prévenir les dommages pour l'activité économique de certaines collectivités d'outre-mer pouvant résulter de l'interruption concertée de l'activité de distribution de produits pétroliers par les entreprises de distribution de détail ». Selon le juge constitutionnel, le législateur a ainsi « poursuivi un motif d'intérêt général de préservation de l'ordre public économique ». Une telle formulation conduit ainsi à concilier le droit de grève dans le secteur privé à une exigence constitutionnelle récente et encore faiblement déterminée.

Depuis l’arrêt Dehaene, le Conseil d’Etat oppose régulièrement le droit de grève à l’ordre public (Voir dernièrement CE, 11 juin 2010, Syndicat Sud de la RATP, n° 333262). De façon générale, d’autres motifs d’intérêt général que la continuité du service public peuvent conduire à restreindre le droit de grève. Ainsi de la nécessité d'assurer la protection de la santé et de la sécurité des personnes et des biens selon le Conseil constitutionnel (Décision n° 80-117 DC du 22 juillet 1980). La notion d’ordre public économique réfère néanmoins à d’autres types de considération : sa reconnaissance est « liée au développement de la législation encadrant les relations économiques » (P. Delvolvé, « L'ordre public immatériel », RFDA, 2015, p. 890). Ayant justifié la finalité de la mesure au nom de l’objectif de préservation de l'ordre public économique, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il n’en résultait pas d’atteintes disproportionnées à la liberté d’entreprendre ou de limitations excessives au droit de grève au regard de l’objectif poursuivi.

Selon lui, cela résulte de quatre données. En premier lieu il a relevé que le plan de prévention des ruptures d'approvisionnement n'est applicable que dans des collectivités d'outre-mer où le secteur des produits pétroliers est soumis à une réglementation des prix. En deuxième lieu, il a relevé que le plan de prévention des ruptures d'approvisionnement impose également aux entreprises du secteur de la distribution de gros d'assurer la livraison de produits pétroliers aux détaillants de leur réseau de distribution qui figurent dans la liste arrêtée par le plan. En troisième lieu, il a relevé qu’à travers la prescription posée dans les dispositions contestées imposant que le plan de prévention des ruptures d'approvisionnement comprenne au moins un quart des détaillants, « le législateur a confié au représentant de l'État le soin de veiller à ce que ce plan soit adapté aux contraintes propres de la collectivité d'outre-mer concernée ». Enfin, en quatrième lieu, il a relevé que l'interdiction d'interrompre leur activité ne s'applique pas aux détaillants figurant au plan de prévention des ruptures d'approvisionnement lorsque cette interruption est justifiée par la grève de leurs salariés ou par des circonstances exceptionnelles. On retrouve ainsi l’idée que la loi veille ainsi à ne pas porter atteinte au droit de grève des salariés dans les entreprises concernées. Comme le relève le commentaire aux cahiers, c’est « de ce régime encadrant les conditions dans lesquelles un détaillant de produits pétroliers peut être tenu de ne pas interrompre son activité en dépit d’un mouvement concerté d’interruption de l’activité des détaillants de la collectivité » que le Conseil constitutionnel déduit l’absence de limitation excessive au droit de grève ou d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

 

 

 

 

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