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La continuité du service public du gaz naturel

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L’article L. 111-68 du Code de l’énergie garantit la détention par l’Etat de « plus du tiers » du capital de la société anonyme GDF-Suez, acteur clé du secteur du gaz tant s’agissant du transport du gaz naturel que de sa distribution par le biais de sa filiale, GRDF, et de sa fourniture.

Aux termes de l’article 7 VI de la loi n° 2014-384 du 29 mars 2014 visant à reconquérir l’économie réelle, « dans les sociétés anonymes dans lesquelles la loi prévoit que l'Etat doit atteindre un seuil minimal de participation en capital, inférieur à 50 %, cette obligation est remplie si ce seuil de participation est atteint en capital ou en droits de vote. La participation de l'Etat peut être temporairement inférieure à ce seuil à condition qu'elle atteigne le seuil de détention du capital ou des droits de vote requis dans un délai de deux ans ». Ces dispositions, issues d’un amendement parlementaire, ont pour finalité de généraliser la mise en place de droits de vote double aux entreprises minoritairement détenues par l’Etat. Dans les faits ce texte ne trouve à s’appliquer qu’à la seule GDF-Suez. Les droits de vote double au bénéfice de l’Etat devraient être mis en œuvre dans le courant de l’année 2016. Dès lors, la condition de détention « de plus du tiers » du capital de GDF-Suez par l’Etat devra s’apprécier tant en capital qu’en droit de vote. Il sera donc possible pour l’Etat d’envisager de céder des actions de la société au-delà des 33,6 % actuellement détenue. La promotion des droits de vote double doit prévenir les offres publiques d’achat « rampantes » pour favoriser l’actionnariat de long terme. Elle va permettre la poursuite de la cession des parts que détient l’Etat dans le capital de GDF-Suez, sans pour autant entraîner une perte de contrôle.

La Fédération CFE-CGC Energie et la Fédération nationale des syndicats des salariés des mines et de l'énergie CGT, qui ont saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir visant à l’annulation de l’arrêté du 25 juin 2014 fixant le prix et les modalités d'attribution d'actions de la société GDF Suez, ont déposé une question prioritaire de constitutionnalité à l’occasion de ce litige. Elles entendaient contester ainsi la conformité au principe de continuité du service public des dispositions de la seconde phrase de l’article 7 VI de la loi du 29 mars 2014. En effet, la possibilité laissée à l’Etat de descendre temporairement sa participation au capital de la société GDF Suez en dessous du tiers pour une période de deux ans laissait à penser aux requérantes que l’Etat ne pourrait pas – pendant cette période où il ne disposerait plus d’une minorité de blocage – s'opposer aux projets de fusion ou d'offre publique d'achat ou encore aux cessions d'actifs. Le Conseil d’Etat a néanmoins refusé de faire droit à cette argumentation en estimant qu’il n’y avait pas lieu de renvoyer la question posée au Conseil constitutionnel.

Alors que le législateur a consacré l’existence d’un service public de l’électricité, décomposé en plusieurs activités, s’agissant du secteur du gaz naturel, il a adopté une démarche légèrement différente. Il n’existe en effet aucune définition du service public du gaz et le législateur s’est contenté de lister les activités de ce secteur qui se voient assigner des obligations de service public. L’article L.111-1 du Code de l’énergie distingue ainsi quatre types d’activité « obéissant à des règles d'organisation et soumises à des obligations différentes » : les activités de transport et de distribution d’une part et les activités de production et de fourniture d’autre part, ces dernières s’exerçant au sein du marché concurrentiel tout en restant soumises à des obligations de service public. Il faut y ajouter l’activité de stockage souterrain, propre au secteur du gaz. L’article L. 121-32 du Code de l’énergie, complété par le décret n° 2004-251 du 19 mars 2004 relatif aux obligations de service public dans le secteur du gaz, énumère les obligations de service public qui s’appliquent à l’ensemble des activités du secteur du gaz et qui ont trait principalement à la sécurité, à la continuité et à la qualité.

Le service public du gaz a connu de nombreuses évolutions liées à son ouverture partielle à la concurrence. En la matière, le législateur a dû tenir compte de l’alinéa 9 du Préambule de la Constitution de 1946 qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ». Depuis une décision du 26 juin 1986 (Décision n° 86-207 DC du 26 juin 1986), le Conseil constitutionnel distingue les services publics dits « constitutionnels » dont la nécessité découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle et les services publics nationaux laissés à l’appréciation du législateur ou du pouvoir réglementaire. Le Conseil constitutionnel avait précisé à propos de la transformation d’Electricité de France et de Gaz de France en sociétés anonymes « qu'en maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public Electricité de France et Gaz de France dans les conditions prévues par les lois du 8 avril 1946, du 10 février 2000 et du 3 janvier 2003 susvisées, le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux ; qu'il a garanti, conformément au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, la participation majoritaire de l'Etat ou d'autres entreprises ou organismes appartenant au secteur public dans le capital de ces sociétés ; que l'abandon de cette participation majoritaire ne pourrait résulter que d'une loi ultérieure » (Décision n° 2004-501 DC du 5 août 2004). Ce faisant, le Conseil constitutionnel a reconnu que ces deux entités étaient chargées, non de services publics dits constitutionnels, donc non privatisables par le législateur, mais de services publics nationaux. Le législateur est ainsi libre de privatiser ces entreprises à la condition de retirer la qualification de service public national à l’activité ou aux activités qu’elles gèrent. Le Conseil d’Etat était allé dans le même sens à l’occasion d’un avis au gouvernement (CE, Avis du 11 mai 2006, n° 372040). La loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie a finalement autorisé la privatisation de Gaz de France.

Le législateur a néanmoins prévu un mécanisme assurant un contrôle de l’Etat sur les décisions stratégiques de l’entreprise. D’une part l’article L. 111-68 du Code de l’énergie prévoit l’impossibilité pour l’Etat de posséder moins d’un tiers du capital de GDF-Suez. On sait désormais qu’en application de la première phrase de l’article VI de la loi du 29 mars 2014 précitée cette obligation est remplie si ce seuil de participation est atteint en capital ou en droits de vote. D’autre part l’article L. 111-69 du même code précise que « En vue de préserver les intérêts essentiels de la France dans le secteur de l'énergie, notamment d'assurer la continuité et la sécurité d'approvisionnement en énergie, un décret prononce la transformation d'une action ordinaire de l'Etat au capital de GDF-Suez en une action spécifique régie, notamment en ce qui concerne les droits dont elle est assortie, par les dispositions de l'article 10 de la loi n° 86-912 du 6 août 1986 relative aux modalités des privatisations ». Cela fut fait par le décret n° 2007-1790 du 20 décembre 2007 instituant une action spécifique de l'Etat au capital de Gaz de France SA.

La continuité et la sécurité sont deux finalités au cœur des services publics existant dans les secteurs de l’énergie, qu’il s’agisse du gaz ou de l’électricité. Ainsi, le Conseil d’Etat a pu juger que « la garantie de l’approvisionnement sur l’ensemble du territoire national constitue l’objet du service public de l’électricité, qui doit répondre notamment, dans des considérations de sécurité suffisantes, aux besoins essentiels des consommateurs » (CE, 12 avril 2013, fédération force ouvrière énergie et mines, n° 329570). Dans cette même décision, relative au droit de grève de certains agents d’EDF, il se référerait également « aux besoins essentiels du pays ». C’est dire le caractère régalien conservé tant par le service public de l’électricité que, dans une moindre mesure, par celui du gaz ; dans les deux cas, une pluralité d’acteurs publics et privés interviennent, mais c’est la loi qui organise les conditions de rationalisation du service public. Le Conseil constitutionnel avait déjà été amené à se prononcer sur un moyen tiré de la méconnaissance du principe de continuité du service public dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité (Décision n° 2011-134 QPC du 17 juin 2011).

En l’espèce, afin de récuser le caractère sérieux de la question, le Conseil d’Etat adopte une approche particulièrement abstraite, du service public, mettant l’accent sur les dispositifs prévues par des textes, davantage qu’une approche organique plus soucieuse du contrôle direct par une personne publique, en l’occurrence l’Etat, de GDF-Suez. Il relève en effet que les diverses obligations de service public définies par le législateur s'imposent à l’entreprise GDF-Suez comme à l'ensemble des autres opérateurs du secteur gazier et que ce respect est garanti par un système de contrôle et de sanction prévus notamment à l'article 31 de la loi du 3 janvier 2003. Il relève en outre – et cette fois ci de manière particulière à GDF-Suez – l’existence d’une action spécifique au bénéfice de l’Etat qui lui permet « de s'opposer, en particulier, aux décisions de cession d'actifs ou de certains types d'actifs de la société ou de ses filiales ou d'affectation de ceux-ci à titre de garantie qui seraient de nature à porter atteinte aux intérêts essentiels de la France dans le secteur de l'énergie relatifs à la continuité et la sécurité d'approvisionnement en énergie ; que sont concernées les décisions de l'entreprise ou de ses filiales relatives aux canalisations de transport de gaz naturel, aux actifs liés à sa distribution, à son stockage souterrain, ainsi qu'aux installations de gaz naturel liquéfié ». Enfin, le juge fait état plus généralement des pouvoirs exceptionnels ou de ceux du code de la défense permettant de procéder « à toute réquisition de personnes, de biens et de services ».

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