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Contrôle de l’établissement des servitudes pour des travaux d’électrification

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L’arrêt Société civile du Domaine des Bormettes permet d’apprécier le contrôle opéré par le juge administratif sur l’établissement des servitudes relatives à l’exécution de travaux de renforcement du réseau public de distribution d’électricité.

La requérante avait contesté l’arrêté du préfet du Var du 13 mai 2011 portant établissement de servitudes d’ancrage, d’appui de passage, d’élagage et d’abattages d’arbres sur la commune de La Londe-Les-Maures afin de renforcer le réseau moyenne tension, en application de la loi du 15 juin 1946, au profit de la société ERDF, gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité sur le territoire de cette commune. Par un jugement en date du 15 mars 2013, le Tribunal administratif de Toulon avait rejeté cette requête (TA Toulon, 13 mars 2013, n° 1102014). C’est ce jugement dont la requérante avait relevé appel.

Les articles L. 323-3 et suivants du Code de l’énergie, codifiant l'article 12 de la loi du 15 juin 1906 sur les distributions d'énergie prévoient que les travaux nécessaires à l’entretien des ouvrages de distribution (ou de transport) peuvent être déclarés d’utilité publique par l’autorité administrative. Cette déclaration permet, dans un second temps, l’établissement de servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire sur des propriétés privées. L’ensemble de cette procédure permet au gestionnaire de réseau, ou à l’autorité concédante lorsqu’elle exerce la maîtrise d’ouvrage de travaux sur le réseau, de pouvoir intervenir en passant sur des propriétés privées lorsque c’est la solution qui apparaît la meilleure sur le plan technique, principalement pour procéder à des travaux de raccordement au réseau.

C’est précisément l’établissement de servitudes qui était contesté en l’espèce. L’arrêté litigieux avait été édicté sur le fondement des dispositions de l’article 35 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, aujourd’hui codifiées aux dispositions de l’article L. 323-5 du Code de l’énergie. Elles prévoient que « Les servitudes d'ancrage, d'appui, de passage, d'abattage d'arbres et d'occupation temporaire s'appliquent dès la déclaration d'utilité publique des travaux ». L’article L. 323-9 du Code de l’énergie renvoie à un décret en Conseil d’Etat le soin de fixer « les conditions d'établissement des servitudes auxquelles donnent lieu les travaux déclarés d'utilité publique et qui n'impliquent pas le recours à l'expropriation ». C’est le décret n° 70-492 du 11 juin 1970 qui précise à la fois la forme et la procédure applicable aux demandes d’utilité publique ainsi que les conditions d’établissement des servitudes. Ces procédures sont plus ou moins allégées selon la puissance des lignes concernées. L’établissement des servitudes ne peut intervenir qu’après la déclaration d’utilité publique des travaux.

L’article 12 du décret du 11 juin 1970 précise qu’« En vue de l’établissement des servitudes, le demandeur notifie les dispositions projetées aux propriétaires des fonds concernés par les ouvrages. En ce qui concerne les lignes électriques, et en vue de l’application des dispositions de l’article 20 du présent décret, les propriétaires des fonds sont tenus de faire connaître au demandeur, dans les quinze jours de la notification prévue ci-dessus, les noms et adresses de leurs exploitants pourvus d’un titre régulier d’occupation ».

La détermination des servitudes devant affecter les propriétés privées suppose l’établissement d’un plan de détail de l’ouvrage avec un piquetage sur le terrain permettant de connaître très précisément l’emprise sur chaque parcelle. Ces dispositions impliquent que la déclaration d’utilité publique, voire ces informations, soient notifiées aux propriétaires concernés. Selon la société civile requérante cependant, ces dispositions devaient s’entendre comme ne permettant pas au porteur du projet d’engager des démarches tendant à l’institution des servitudes préalablement à la déclaration d’utilité publique des travaux. La Cour a rejeté ce moyen en estimant que rien n’y fait obstacle « dès lors que les personnes intéressées ne sont privées de ce fait d’aucune des garanties attachées à l’une ou à l’autre de ces procédures successives » et en relevant en l’espèce qu’aucun obstacle n’avait été mis à la recherche d’un accord amiable avec les propriétaires concernés. Elle confirme ainsi que les procédures d’établissement des servitudes doivent permettre aux propriétaires de connaître le tracé envisagé pour pouvoir faire connaitre leur opinion, sans pour autant paralyser l’action administrative. Ainsi, le gestionnaire de réseau qui recherche un accord amiable matérialisée par une convention conclue sur le fondement du décret n°67-886 du 6 octobre 1967, peut procéder à une information préalable des propriétaires concernés sur les servitudes envisagées.

La société requérante contestait, par la voie de l’exception, la légalité de la déclaration d’utilité publique des travaux en cause. Le juge administratif est régulièrement saisi de requêtes contestant la déclaration d’utilité publique de travaux sur les réseaux publics d’électricité (qu’il s’agisse du transport ou de la distribution). En la matière, le juge accepte d’opérer son contrôle du bilan coûts-avantages. En l’espèce, la Cour a rappelé « qu’un projet relatif à l’établissement ou la modification d’une ligne électrique ne peut légalement être déclaré d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’il comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’il présente ».

Elle a également relevé l’intérêt public qui s’attachait à l’opération envisagée, qui visait à enfouir le réseau afin d’« assurer la sécurisation de la distribution d’énergie, prévenir le risque d’incendie de forêt et diminuer l’impact visuel et environnemental des infrastructures ». L’association requérante ne contestait pas cet intérêt public mais mettait l’accent sur l’existence d’une solution technique alternative moins préjudiciable à leurs propriétés. La Cour a néanmoins refusé d’apprécier l’opportunité du tracé retenu, se contentant de relever qu’il n’était pas établi « que le tracé retenu par la déclaration d’utilité publique, impliquant l’enfouissement de la ligne existante sur des parcelles boisées appartenant à la requérante, présenterait des inconvénients d'une importance telle qu'ils retirent à l’opération de travaux prévue son caractère d'utilité publique ».

Faisant application d’une jurisprudence constante (Voir dernièrement CE, 14 novembre 2014, Commune de Neuilly-Plaisance et autres, n° 363005), le juge a ainsi refusé de se prononcer sur l’avantage comparé de solutions techniques alternatives. Ce faisant, l’arrêt témoigne, une nouvelle fois, de la limite du contrôle du bilan coûts-avantages opéré par le juge sur la déclaration publique de travaux d’électrification.

 

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