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Cabinet d'avocat à Paris

Clarification de la nature juridique des travaux effectués sur les ouvrages de réseau

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Un véhicule ayant heurté un poteau électrique situé devant la maison d’habitation de la requérante, la société ERDF a fait procéder au remplacement de ce poteau dont la nouvelle implantation est plus proche de ladite maison d’habitation. Estimant que l’installation de ce nouveau poteau lui portait préjudice, la requérante a saisi le Tribunal administratif de Montpellier de conclusions à fin d’indemnisation et de conclusions à fin d’injonction en vue de faire déplacer le poteau litigieux. 

 

Par un jugement en date du 5 juillet 2013 (TA Montpellier, 5 juillet 2013, Mme Germaine Landry, n° 1202163), le Tribunal administratif de Montpellier avait rejeté la requête. C’est de ce jugement qu’était saisi la Cour administrative d’appel de Marseille. L’intérêt principal de la décision commentée réside dans le refus de la Cour de reconnaître la compétence du juge administratif pour juger des conclusions tendant à la réparation de dommages causés par les travaux litigieux, en estimant qu’il ne s’agit pas de travaux publics, quand bien même ils auraient pour objet un ouvrage public.

Les conclusions de la requérante tendaient à voir engager la responsabilité de la société ERDF pour faute à raison de dégradations imputées aux travaux d’implantation du nouveau poteau électrique sur sa parcelle, travaux qui avaient été réalisés pour cette société par un sous-traitant.

1) En première instance, le Tribunal administratif de Montpellier avait estimé, après avoir pris en compte un rapport d’expertise émettant l’hypothèse « que le désordre dont il est ainsi demandé réparation serait la conséquence des travaux exécutés », que la requérante n’apportait pas d’éléments susceptible de démontrer que les dégâts subis par la gouttière de sa maison auraient été causés par les travaux exécutés à la demande de la société ERDF. Autrement dit, il avait examiné et rejeté la requête au fond sans s’interroger sur la qualification des travaux en cause. Dans la décision commentée, la Cour a en revanche recherché si les travaux litigieux avaient le caractère de travaux publics. On rappellera que les travaux publics sont ceux effectués sur un bien immeuble pour une personne publique dans un but d'intérêt général ou par une personne publique dans le cadre d'une mission de service public. En l’espèce, la Cour a jugé que les travaux litigieux « ont été réalisés postérieurement au 1er janvier 2008, date depuis laquelle la société ERDF exerce son activité de gestionnaire du réseau de distribution d’électricité ; qu’ils n’étaient pas réalisés pour le compte d’une personne publique ; qu’ils n’étaient pas non plus réalisés par une personne publique ; que dès lors, bien que portant sur un ouvrage public, ils n’avaient pas le caractère de travaux publics ».

Ce faisant, la Cour a tiré toute les conséquences du statut de la société ERDF. En effet, en application de l'article 15 de la directive 2003/54/CE, transposé par la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, modifiée sur ce point par l’article 23 de la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006 relative au secteur de l'énergie, la société ERDF, filiale de la société EDF, a été créée au 1er janvier 2008 sous la forme d’une société anonyme afin d’assurer la gestion des réseaux publics de distribution d’électricité dans sa zone de desserte exclusive. Par conséquent, c’est bien pour le compte d’une entreprise privée qu’étaient réalisés les travaux litigieux. Le fait que ces travaux portent néanmoins sur un ouvrage public, ainsi qu’on va le voir, est jugé classiquement indifférent pour leur qualification (CE, 11 mai 1962, Dame Ymain, Rec., p. 316 ; CE, 30 mars 1987, Société civile pour l'équipement du Littoral de Saint-Cyprien, n° 68024). Ainsi, la Cour a jugé que les conclusions mettaient en cause la responsabilité d’une « entreprise privée en raison de travaux exécutés dans son propre intérêt par un sous-traitant privé » et, à ce titre, elles devaient être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente.

2) En statuant ainsi, la Cour a appliqué aux travaux réalisés par la société ERDF un raisonnement similaire à celui développé par la jurisprudence s’agissant des travaux réalisés par la société France Telecom. En effet, devant statuer sur la juridiction compétente pour connaître d’un litige portant sur accident produit par un câble que des ouvriers d’une société travaillant pour le compte de la société France Telecom étaient occupés à tendre, le Tribunal des conflits avait jugé que les travaux en cause « réalisés postérieurement à l’intervention de la loi du 26 juillet 1996 relative à l’entreprise France Télécom, qui a transformé l’établissement public en société, n’étaient pas réalisés pour le compte d’une personne publique ; qu’ils n’étaient pas non plus réalisés par une personne publique et ne portaient pas sur un ouvrage public ; qu’il n’avaient dès lors pas le caractère de travaux publics ». Il en avait conclu que le litige relevait de la compétence de la juridiction judiciaire (TC, 6 avril 2009, M. Pragnère et société Garage du Faucigny c/société Construction de lignes téléphoniques, n° 3679). Le raisonnement du Tribunal des conflits reposait ainsi sur une interprétation de la volonté du législateur lors de la création de la société France Telecom. Sur ce point néanmoins, le parallèle avec la société ERDF ne saurait, loin s’en faut, être total.

En effet, au-delà de la question de la qualification des travaux réalisés par la société France Telecom, la jurisprudence a interprété la loi n° 96-660 du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France Télécom comme excluant la qualification d'ouvrage public pour les biens de France Télécom après sa transformation en société anonyme (CE avis, 11 juillet 2001, Adelée, n° 229486, Droit administratif, 2002, n° 36, note C. Lavialle ; TC, 5 mars 2012, Société Generali, n° 3826). Comme en atteste la décision commentée, tel n’est pas le cas en matière de distribution publique d’électricité. En effet, les réseaux publics de distribution d’électricité ne sont nullement la propriété du gestionnaire de réseau auquel est concédée localement leur exploitation, mais de l’autorité concédante. Dès lors, les ouvrages qui constituent ces réseaux ont la nature d’ouvrage public (CE, 29 avril 2010, M. et Mme Beligaud, n° 323179 ; pour les installations de production d’électricité détenues par la société EDF voir TC, 12 avril 2010, Société ERDFc/ Epoux Michel, n° 3718).

Il est ainsi nécessaire de dissocier la qualification des travaux réalisés sur les réseaux publics de distribution d’électricité pour le compte de la société ERDF, et la nature juridique des ouvrages constituant les réseaux publics de distribution d’électricité, qui demeurent, comme le confirme la décision commentée, des ouvrages publics relevant à ce titre d’un régime juridique de droit public.

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