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Validation du transfert unilatéral des colonnes montantes électriques au réseau public de distribution d’électricité

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Rendu par le Tribunal administratif d’Amiens, le jugement ERDF vient apporter une contribution décisive aux questionnements relatifs au statut juridique des colonnes montantes d’électricité.

 

Selon la définition donnée par P. Sablière, les colonnes montantes sont « les canalisations collectives qui desservent, en eau, en gaz, en électricité, chaque étage d’un immeuble et sur lesquelles sont branchées les dérivations individuelles desservant chaque logement » (Article précité). Dans ce cadre, les colonnes montantes électriques visent à alimenter chaque étage de l’immeuble en électricité. A ce titre, elles représentent un élément clé du service public de la distribution d’électricité bien qu’en droit, elles ne fassent pas systématiquement partie du réseau public de distribution mais peuvent appartenir aux propriétaires des immeubles concernés.

Au regard de l’ancienneté de plusieurs de ces colonnes et du coût de leur maintenance et de leur renouvellement, plusieurs litiges sont nés entre des propriétaires ou copropriétaires d’immeubles et le gestionnaire de réseau désigné par la loi et responsable de l’exploitation du service public de la distribution d’électricité qui lui est concédé localement.

E, l’espèce, l’Office public de l’habitat de l’Aisne avait décidé, sur le fondement du cahier des charges du contrat de distribution publique d’électricité conclu par la société ERDF, gestionnaire du réseau public de distribution d’électricité sur le territoire de cet Office, de lui transférer unilatéralement, par une délibération en date du 5 février 2013, l’ensemble des colonnes montantes dont il pourrait être propriétaire. Concrètement il s’agissait de procéder à l’intégration unilatérale de ces colonnes au réseau public de distribution d’électricité.

C’est cette délibération que la société ERDF avait contesté par la voie d’un recours pour excès de pouvoir introduit devant le Tribunal administratif d’Amiens. Parallèlement à cette requête, la société ERDF avait également sollicité la suspension de la délibération, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative. Cette seconde requête avait été rejetée par le juge des référés du Tribunal administratif d’Amiens (TA Amiens, 5 juin 2013, ERDF, n° 1301241).

Le Tribunal valide l’acte d’abandon unilatéral en relevant que les stipulations de l’article 15 du cahier des charges de la concession de distribution publique d’électricité prévoyant la faculté d’abandon sont à la fois claires et réglementaires. En tant que telle, elles sont donc invocables par les usagers (CE, 21 décembre 1906, Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli, Rec., p. 962) et les propriétaires intéressés peuvent s’en prévaloir. Pour ce qui concerne la nature juridique de l’acte d’abandon adopté par l’Office de l’Aisne, le juge confirme qu’il s’agit bien d’un acte administratif, mais il n’est ni règlementaire, ni individuel. Il s’agit donc d’un acte sui generis.

En estimant que l’abandon n’est soumis à aucune condition de fond, « tenant en particulier à l’état de l’ouvrage », le Tribunal vient rejeter le principal argument de la société requérante ainsi que le cœur du litige : car la faculté d’abandon unilatéral de colonnes montantes qui seraient massivement à renouveler ou, à tout le moins, à entretenir, est susceptible de transférer au gestionnaire de réseau des charges sans aucun contrepartie et pourrait générer un enrichissement sans cause au bénéfice des propriétaires concernés, voire du concédant, propriétaire des ouvrages intégrant la concession. C’est la raison pour laquelle le Tribunal prend soin de relever que les stipulations de l’article 15 sont claires, c’est-à-dire sans équivoque, et qu’elles étaient forcément connues de la société requérante. Ainsi, la délibération litigeuse est bien « susceptible de modifier unilatéralement la situation juridique d’Electricité réseau distribution de France et les conditions d’exécution des concessions de distribution d’électricité qui lui ont été confiées, en intégrant dans ces concessions de nouveaux ouvrages et en lui faisant supporter en tant que concessionnaire la charge de leur entretien et de leur renouvellement ». Néanmoins, ces modifications en vont pas jusqu’à imposer la mise en œuvre de mesures transitoires au nom du principe de sécurité juridique.

Le juge estime ainsi que les propriétaires peuvent, par une simple décision unilatérale qui n’est soumise à aucune obligation de fond – les obligations de forme dépendant des organismes ou copropriétés concernés – transférer au gestionnaire de réseau l’obligation de maintenance et de renouvellement des colonnes montantes électriques. Et cette décision n’a pas à être précédée d’un « état des lieux contradictoire » ou du « versement préalable d’une juste indemnité ».

Le Tribunal justifie sa décision en relevant que « l’obligation d’entretien et de renouvellement qui incombe ainsi au concessionnaire du seul fait d’une décision unilatérale du propriétaire trouve sa contrepartie dans l’abandon à son profit des droits antérieurement détenus par le propriétaire et poursuit l’objectif d’intérêt général, eu égard notamment aux risques que peuvent présenter de tels équipements en cas de défaut d’entretien, d’intégrer dans la concession l’ensemble des équipements concourant à la livraison de l’énergie électrique jusqu’au branchement individuel » Le raisonnement du juge tend à adopter une lecture fonctionnelle ou finaliste des textes réglementaires et des stipulations en cause, en jugeant que ces dernières sont inspirées par un objectif d’intérêt général, celui d’intégrer au réseau public de distribution d’électricité l’ensemble des équipements qui permettent l’acheminement de l’énergie électrique jusqu’à l’installation électrique privative de chaque abonné. La notion d’objectif d’intérêt général confirme la volonté du juge de raisonner de manière finaliste. Elle laisse en effet entendre que l’ensemble de la réglementation depuis la loi de nationalisation de 1946 est basée sur un objectif commun qui serait l’intégration au réseau public de distribution de l’ensemble des ouvrages permettant la distribution publique d’électricité, lesquels ouvrages concernent essentiellement les colonnes montantes. Elle peut également être envisagée comme une référence à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Celui-ci estime en effet « qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » (Décision n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009, Rec., p. 140). Or, si la faculté d’abandon est expressément stipulée au contrat de concession, son exercice sans obligation préalable est susceptible de limiter la liberté d’entreprendre du gestionnaire de réseau. En justifiant ce dispositif par référence à l’intérêt général, le juge paraît, au moins en partie, contourner cette difficulté.

Il réserve par ailleurs une voie de droit ouverte à la société concessionnaire en cas de préjudice consécutif à l’abandon. Elle peut rechercher « la responsabilité quasi-délictuelle du propriétaire à raison des préjudices qu’il estimerait être la conséquence de manquements par ce dernier aux obligations d’entretien et de remplacement des colonnes montantes qui lui incombaient jusqu’à ce qu’il en fasse abandon ». Cette voie de droit, si elle peut permettre au concessionnaire d’être indemnisé d’une partie de la charge qui lui incombera suite au transfert de l’obligation de maintenance et de renouvellement des colonnes montantes, nécessitera néanmoins la preuve par celui-ci d’une faute des propriétaires précédents.

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