Précisions sur l’encadrement du pouvoir de sanction du CoRDiS par le juge
Alors que le comité de règlement des différends et des sanctions de la Commission de régulation de l'énergie CoRDiS a récemment fait usage pour la première fois du pouvoir de sanction dont la loi l’a doté (Voir Décision du CoRDiS de la CRE en date du 11 juin 2018 portant sanction à l’encontre de la société Enedis en application de l’article L. 134-28 du code de l’énergie), la décision commentée vient apporter d’utiles précisions sur l’encadrement dont ce pouvoir fait l’objet.
Par un courrier en date du 25 juin 2014, l’association UFC-Que Choisir a saisi le CoRDiS d’une demande de sanction à l’encontre de la société ENEDIS (ERDF à l’époque), en application de l’article L. 134-25 du code de l’énergie. Par une décision en date du 17 mars 2017 le membre désigné par le président du CoRDiS en application de l’article R. 134-30 du code de l’énergie a refusé de donner suite à cette demande. C’est dans ce cadre que, par une requête en date du 17 mai 2017, l’association requérante a demandé au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
La saisine du CoRDiS par l’association requérante contenait des moyens de droit et des considérations de fait afin d’établir divers manquements de la société Enedis à ses obligations d’indépendance à l’égard de sa société mère, Electricité de France (EDF). Si le Conseil d’Etat a finalement rejeté sa requête, il en a profité pour préciser au fond deux points sur le régime applicable au groupe EDF au titre de la séparation des différentes activités qu’il gère à travers es filiales. En premier lieu, les articles L. 111-65 et L. 111-66 du code de l'énergie n’imposent aux sociétés gestionnaires de réseaux de distribution d'inclure dans leurs statuts une clause interdisant le cumul entre la responsabilité de la gestion des activités de distribution et la gestion des activités de production ou de fourniture, pourvu que le respect d'une telle interdiction soit assuré en pratique. En second lieu, il résulte des articles L. 111-84 et L. 111-86 du code de l'énergie que l'interdiction des subventions croisées en tant que telle ne vaut que pour l'exercice simultané, au sein d'une entité unique, d'activités de transport, de distribution et de fourniture et trouve sa traduction dans les obligations de séparation comptable.
Au-delà, c’est sur des aspects de forme et de procédure que l’on aimerait ici s’arrêter. En effet, bien que le Conseil d’Etat se soit déjà reconnu compétent pour juger de la légalité d’une décision du CoRDiS refusant de donner suite à une demande de sanction, la décision commentée vient apporter d’utiles précisions à la fois sur le cadre procédural dans lequel officie le CoRDiS lorsqu’il instruit une demande de sanction (II)et sur le contrôle que le juge de l’excès de pouvoir est susceptible d’opérer sur la décision finalement rendue (I).
I. Précisions sur la compétence et le contrôle du juge administratif
L’article L. 134-25 du Code de l’énergie prévoit à son aliéna 1 que le CoRDiS « peut soit d'office, soit à la demande du ministre chargé de l'énergie, de l'environnement, du président de la Commission de régulation de l'énergie, d'une organisation professionnelle, d'une association agréée d'utilisateurs ou de toute autre personne concernée, sanctionner les manquements mentionnés aux titres Ier et II du présent livre et aux livres III et IV qu'il constate de la part des gestionnaires de réseaux publics de transport ou de distribution d'électricité, des gestionnaires de réseaux fermés de distribution d'électricité, des opérateurs des ouvrages de transport ou de distribution de gaz naturel ou des exploitants des installations de stockage de gaz naturel ou des installations de gaz naturel liquéfié ou des exploitants de réseaux de transport et de stockage géologique de dioxyde de carbone ou des utilisateurs de ces réseaux, ouvrages et installations, y compris les fournisseurs d'électricité ou de gaz naturel, dans les conditions fixées aux articles suivants (nous soulignons) ».
En droit, si les litiges relatifs aux décisions et mesures conservatoires prises par le CoRDiS en matière de règlement des différends, c’est-à-dire sur le fondement de l’article L. 134-19 du code de l’énergie, ressortissent à la compétence de la Cour d’appel de Paris selon l’article L. 134-24 du code de l’énergie, s’agissant du pouvoir de sanction du CoRDiS, il ressort de l’article L. 134-34 du code de l’énergie que le Conseil d’Etat est compétent, en premier et en dernier ressort, pour statuer sur un recours de plein contentieux formé par un organisme sanctionné. La juridiction administrative est ainsi expressément compétente pour statuer sur les décisions du CoRDiS mettant en œuvre son pouvoir de sanction. Le Conseil d’Etat s’était également reconnu compétent pour juger de la légalité d’une décision par laquelle un membre désigné par le CoRDiS refusait de donner suite à une demande de sanction de la société EDF par suite d’un différend portant sur l’application du dispositif d’obligation d’achat d’électricité (CE, 7 février 2018, Société Ateliers de construction mécanique de Marigny, n° 399683).
Dans la décision commentée, il a choisi de réaffirmer sa compétence par un considérant de principe relevant qu’il appartient au CoRDiS, « investi par les dispositions de l’article L. 134-25 du code de l’énergie d’un pouvoir de sanction qu’il peut exercer de sa propre initiative ou à la suite d’une plainte, de décider, lorsqu’il est saisi par un tiers de faits de nature à motiver la mise en œuvre de ce pouvoir, et après avoir procédé à leur examen, des suites à donner à la plainte », étant précisé qu’il « dispose, à cet effet, d’un large pouvoir d’appréciation et peut tenir compte de la gravité des manquements allégués au regard de la législation ou de la réglementation que la Commission est chargée de faire appliquer, du sérieux des indices relatifs à ces faits, de la date à laquelle ils ont été commis, du contexte dans lequel ils l’ont été et, plus généralement, de l’ensemble des intérêts généraux dont la Commission a la charge ».
Ce faisant, le Conseil d’Etat a dupliqué pour l’adapter au CoRDiS un considérant déjà utilisé pour d’autres autorité administrative indépendantes disposant d’un pouvoir de sanction telle l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (CE, Section, 30 novembre 2007, M. Michel Tinez et autres, n° 293952), l'Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes (CE, 4 juillet 2012, Association française des opérateurs de réseaux et services de télécommunications, n° 334062) ou encore la La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CE, 19 juin 2017, M. Jean-Paul Fabre, n° 398442).
Cela étant dit, le Conseil d’Etat a également fait le choix de préciser la portée du contrôle qu’il est susceptible d’exercer sur les décisions adoptées par le CoRDiS au titre de son pouvoir de sanction. Ainsi, tant la décision que peut prendre le CoRDiS que celle que peut prendre celui de ses membres qui a été chargé de l’instruction de l’affaire de refuser de donner suite à une saisine ont « le caractère d’une décision administrative que le juge de l’excès de pouvoir peut censurer en cas d’erreur de fait ou de droit, d’erreur manifeste d’appréciation ou de détournement de pouvoir ». Autrement dit, il confirme que son contrôle sur la qualification juridique des faits opéré par le membre du CoRDiS demeurera restreint à l’erreur manifeste d’appréciation afin de respecter le large pouvoir d’appréciation de l’autorité de poursuite. Evidement, il ne se place pas là dans le cas d’une décision de sanction contestée devant lui par l’intéressé, puisqu’on a vu qu’il était alors ainsi en plein contentieux. Cela vise les décisions de sanction ou de « relaxe » ou encore comme en l’espèce de refus de donner suite à une demande de sanction lorsque l’auteur de la saisine initiale estime la décision illégale.
II. Précisions sur la procédure de sanction suivie devant le CoRDiS
Indépendamment du contrôle qu’il peut effectuer sur la décision du CoRDiS qui lui été déférée, les moyens soulevés par les requérants devaient conduire le Conseil d’Etat a précisé trois points importants sur la procédure suivie devant le CoRDiS.
1) En premier lieu, le Conseil d’Etat a rappelé que la décision par laquelle le CoRDIS décide qu'il n'y a pas lieu à mettre en demeure ou à notifier des griefs ne présentant pas le caractère d’une sanction et ne pouvant conduire à une sanction, les stipulations de l’article 6 paragraphe 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, qui imposent principalement le respect du principe d’impartialité aux différentes juridictions amenées à trancher des litiges en droit interne et donc à leurs membres, ne lui sont pas applicables. Comme le relevait en effet le rapporteur public, M.-G. Merloz, dans ses conclusions sur la décision commentée, la décision refusant de donner suite à une demande de sanction ne peut « être regardée comme une accusation, selon la définition constante qu’en donne la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir "la notification officielle, émanant de l’autorité compétente, du reproche d’avoir accompli une infraction pénale", définition qui dépend également de l’existence ou non de "répercussions importantes sur la situation du suspect" ». Il allait même plus loin en relevant que le volet pénal des stipulations de l’article 6 paragraphe 1 est « réservé à l’accusé, excluant son application, comme en l’espèce, à l’auteur d’une plainte », ce que le Conseil d’Etat n’a pas expressément consacré dans sa décision car cela n’était pas nécessaire en l’espèce.
2) Pour autant, et indépendamment de l’applicabilité de ces stipulations, le principe d’impartialité, fait partie des principes généraux du droit (CE, 29 avril 1949, Bourdeaux, n° 82790, Rec., p. 188 ; CE, 20 avril 2005, Karsenty et autres, n° 261706), ce qui lui donne un champ d’application plus large : il trouve naturellement à s’appliquer au CoRDiS au regard de son pouvoir de sanction. C’est la raison pour laquelle, en deuxième lieu, le Conseil d’Etat a tenu à préciser « au demeurant, et en tout état de cause », c’est-à-dire par un obiter dictum, que la circonstance que ce soit le même membre du CoRDIS qui, « après avoir été chargé de l'instruction de la plainte, décide, au vu de cette instruction, qu'il n'y a pas lieu de donner suite à la saisine ne saurait, par elle-même, traduire un manquement au principe d’impartialité ». Il traduit ainsi une jurisprudence constante selon laquelle l’impartialité impose une séparation effective entre les fonctions de poursuite et d’instruction, d’une part, et la fonction de sanction d’autre part (S’agissant du CSA, voir CE 17 décembre 2018, Comité de défense des auditeurs de radio solidarité, n° 416311. A contrario pour l’Agence nationale de l’habitat voir CE, 21 décembre 1978, Agence nationale de l’habitat, n° 424520). L’avantage de la rédaction du considérant de la décision commentée sur ce point est de donner une portée très large au principe d’impartialité ainsi interprété, portée dépassant le seul CoRDiS.
3) Un autre point important de la décision commentée résulte, en troisième lieu, de la volonté du juge administratif de rappeler que les manquements pour lesquels le CoRDiS peut infliger des sanctions dont limitativement prévus par le Code et de proscrire ainsi toute lecture extensive des compétences de ce dernier. Il a donc tenu à rappeler que le CoRDiS n’est compétent pour sanctionner, à la demande d’une association agréée d’utilisateurs, « que les manquements mentionnés aux titres Ier et II du livre Ier et aux livres III et IV du code de l’énergie ». Ainsi en l’espèce, le membre désigné par le président du CoRDiS n’a commis aucune erreur de droit en ne recherchant pas si les pratiques dénoncées constituaient un abus de position dominante prohibé par l’article L. 420-2 du code de commerce. Cette interprétation, parfaitement juste en droit mais très littérale, tranche avec les conclusions du rapporteur public Y. Benard sur l’arrêt précité Société Ateliers de construction mécanique de Marigny lorsqu’il avait mis en garde e contre une lecture « trop stricte des pouvoirs de sanction du CoRDiS » qui pourrait « obérer sa capacité à faire respecter efficacement le droit d’accès et d’utilisation du réseau et serait donc contraire à l’objectif d’efficacité de l’action administrative ». Clairement, dans la décision commentée, le Conseil d’Etat revient à une lecture orthodoxe des pouvoirs de sanction du CoRDiS.
Que ce soit sur la procédure suivie devant le CoRDiS ou sur le contrôle de ses décisions en matière de sanction, la décision commentée constitue une nouvelle étape dans l’ébauche, par le Conseil d’Etat, d’une jurisprudence en devenir sur cette autorité de régulation en plein essor.