La confirmation du monopole des sociétés Enedis et EDF au regard du droit de l’Union
Par une délibération du 15 février 1993, le conseil municipal de la ville de Lyon avait approuvé un contrat de concession pour le service public de la distribution de l’énergie électrique d’une durée de vingt ans. C’est ce contrat qu’une délibération du 19 novembre 2012 autorisait le maire de Lyon a prolongé par avenant pour une durée de cinq ans avec les sociétés Enedis et EDF.
Cette prolongation intervenait dans un contexte d’attente du transfert de la compétence d’autorité concédante à ce qui allait devenir la Métropole du grand Lyon, laquelle est intervenue en vertu de l’article 4 de l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la création de la métropole de Lyon : la métropole s’est substituée à la ville de Lyon à compter du 1er janvier 2015 pour exercer la compétence d’autorité organisatrice de la distribution publique d’électricité. Elle intervenait également après que la chambre régionale des comptes eut pointé, dans un rapport, plusieurs dysfonctionnements, notamment une carence du pouvoir de contrôle de la ville de Lyon sur ses concessionnaires (Rapport d’observations définitives du 22 novembre 2011).
Se prévalant de ses qualités d’usager du service public de la distribution d’électricité et d’élu au conseil municipal de la commune de Lyon, la requérante avait sollicité du Tribunal administratif de Lyon l’annulation de la délibération approuvant l’avenant au contrat de concession, ainsi que la décision de signer cet avenant. Cette requête fut finalement rejetée par le Tribunal (TA Lyon, 31 décembre 2015, M. Daniel Fintz / Mme Marguerite-Marie Chichereau, n° 1300440-1303542). C’est de cette décision qu’était saisie la Cour administrative d’appel de Lyon par l’effet dévolutif de l’appel. Il lui appartenait donc de statuer à nouveau sur les moyens de droit soulevés par la requérante parmi lesquels figurait en bonne place des questions de droit de l’Union européenne. En effet, ce recours était, à notre connaissance, le dernier de la vague contentieuse qui, au tournant des années 2000 avait vu de nombreux requérants chercher à obtenir la remise en cause de deux des monopoles les mieux gardés de la République : le monopole de la société Enedis pour la distribution d’électricité dans sa zone de desserte exclusive, soit 95 % des réseaux de distribution du territoire métropolitain continental dont fait partie la commune de Lyon, laquelle était autorité concédante avant que cette compétence ne soit transférée, à compter du 29 janvier 2014, à la Métropole de Lyon en application des dispositions de l’article L. 3641-1 du code général des collectivités territoriales, et le monopole de la société EDF pour la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente dans la même zone.
La requérante ayant fait flèche de tout bois, la décision commentée porte sur des nombreux aspects du régime juridique des concessions de distribution publique d’électricité. Pour l’essentiel, la Cour a choisi de confirmer nettement le double monopole des sociétés Enedis et EDF (I) et facilement valider la durée choisie pour prolonger la concession litigieuse (II).
En contestant des actes détachables de l’avenant à la concession de la ville de Lyon, la requérante excipait de l’incompatibilité des dispositions législatives des articles L. 111-52 et L. 121-5 du code de l’énergie avec le droit de l’Union européenne Elle se fondait notamment sur les grands principes du droit de l’Union européenne : tels qu’interprétés par la Cour de justice de l’Union, les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui consacrent la liberté d’établissement et de prestation de services, impliquent le respect des règles de non-discrimination, d’égalité de traitement et de transparence (CJCE, 7 décembre 2000, Telaustria et Telefonadress, affaire C-324/98). Selon la requérante, à raison de cette incompatibilité, l’avenant n’avait pu être valablement conclu sans publicité ni mise en concurrence préalable. Le sort du litige dépendait donc en partie d’une question de pur droit nécessitant l’interprétation du droit de l’Union européenne.
L’article L. 111-52 du Code de l’énergie prévoit que la société Enedis et les entreprises locales de distribution sont désignées gestionnaires des réseaux publics de distribution d’électricité dans leur zone de desserte exclusive ce qui impose aux autorités organisatrices de la distribution publique d'électricité de leur concéder l’exploitation des réseaux dont elles sont propriétaires. De la même façon, l’article L. 121-5 du Code de l’énergie prévoit que la société EDF est désignée pour assurer la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente dans sa zone de desserte exclusive, laquelle est identique à la première. C’est ce qui explique que les cahiers des charges des concessions locales aient un double objet dès lors qu’ils concèdent à la fois le service public de la distribution et de la fourniture d’électricité aux tarifs réglementés de vente, qu’ils sont cosignés ou réputés tels par les deux sociétés et surtout qu’ils sont, en pratique, dispensés de toute mesure de publicité et mise en concurrence avant leur passation du fait de ce monopole législatif.
Dans la décision commentée, la Cour a confirmé que les dispositions législatives des articles L. 111-52 et L. 121-5 du code de l’énergie attribuent aux sociétés Enedis et EDF des droits exclusifs au sens de l’article 106 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Selon ce dernier, « 1. Les États membres, en ce qui concerne les entreprises publiques et les entreprises auxquelles ils accordent des droits spéciaux ou exclusifs, n'édictent ni ne maintiennent aucune mesure contraire aux règles des traités, notamment à celles prévues aux articles 18 et 101 à 109 inclus. / 2. Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie (Nous soulignons) ».
Afin de confirmer la validité de ces droits exclusifs, la Cour a procédé en deux temps. Dans un premier temps, elle a considéré que les deux services concernés étaient des services d’intérêt économique général au sens de l’article 106 précité dès lors que « l’exclusivité trouve sa justification dans les sujétions que la loi impose à ces sociétés », à savoir pour la société Enedis « d’assurer la continuité de la distribution d’électricité, "produit de première nécessité", en application de l’article L. 121-1 du code de l’énergie, ainsi que la construction et l’entretien d’un réseau de distribution fiable » et pour la société EDF « de favoriser la maîtrise de la demande, de concourir à la cohésion sociale au moyen de la péréquation nationale des tarifs, de mettre en œuvre la tarification spéciale dit "produit de première nécessité" et de maintenir la fourniture d’électricité ». Ainsi, on se trouve bien selon la Cour dans une logique de service d’intérêt économique général, laquelle suppose que ceux qui l’assurent se voient imposés des obligations de service public. On ne discutera pas ici du bienfondé de l’argumentation de la Cour, identique à celui du jugement de première instance et dont on peut avoir une lecture critique (On se permet de renvoyer à J-S Boda, La confirmation en trompe-l'œil du monopole de la société ERDF pour la distribution publique d'électricité, Énergie - Environnement - Infrastructures n° 3, Mars 2016, comm. 22). On se contentera de rappeler que, incontestable en droit, revêtue de l’autorité de la chose jugée, l’argumentation de la Cour n’est pas pour autant infaillible, tant s’en faut, s’agissant en particulier de la lecture qu’elle a eu de la consistance du service public de la fourniture d’électricité aux tarifs règlementés de vente. Cela offre d’ailleurs un bien maigre moyen de cassation à la requérante si, d’aventures, elle souhaitait poursuivre une procédure qui n’a déjà que trop duré.
Dans un second temps, il s’agissait pour la Cour de déterminer si l’application des règles du Traité à ces activités pourrait faire échec à la bonne exploitation du service. C’est en effet uniquement dans ce cas que l’Etat membre peut s’affranchir de ces règles, c’est-à-dire en l’espèce ne prévoir aucune procédure de publicité et mise en concurrence pour la passation des concessions de distribution publique d’électricité et de leurs avenants. Selon la Cour, l’application des règles fondamentales du traité ainsi que de l’obligation de transparence, serait de nature à faire échec à l’accomplissement des missions confiées aux deux sociétés françaises « en permettant à des entreprises insusceptibles d’offrir les garanties techniques ou financières nécessaires d’obtenir la concession ». Il n’est à la vérité pas certain du tout que ce point soit plus clair que l’autre. Quoi qu’il en soit la Cour a ajouté que les dispositions de l’article 24 de la directive 2009/72/CE du 13 juillet 2009 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité, qui imposent que les contrats de concession de la distribution d’électricité aient une durée déterminée, n’impliquent pas pour autant d’obligation de mise en concurrence préalable.
Dès lors, c’est bien la compatibilité des monopoles dont disposent les sociétés Enedis et EDF (et incidemment les Entreprises locales de distribution) au droit européen qui est réaffirmée dans la lignée de la jurisprudence existante en la matière (TA Nancy, 9 avr. 2013, n° 1101956 et s., Michel Mietkiewicz, CAA Paris, 25 févr. 2013, n° 12PA00593, Claustre). Et la Cour a entendu préciser qu’elle avait pu en décider ainsi « sans qu’il soit besoin de saisir la Cour de justice de l’Union européenne d’une question préjudicielle », c’est-à-dire car cette interprétation résulte clairement du Traité. En conséquence, la passation de l’avenant litigieux n’avait pas à être précédée de mesures de publicité et de mise en concurrence.
On peut donc penser que le monopole des sociétés Enedis et EDF est désormais à l’abri des velléités contentieuses de remise en cause. Seule une volonté politique traduite dans la loi semble pouvoir y mettre fin. Pour autant, la décision commentée permet également de rappeler que les autorités concédantes doivent justifier précisément la durée des concessions qu’elles concluent.