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Le difficile calcul de la péréquation assurée par le Fonds de péréquation de l’électricité

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Le service public de la distribution d’électricité est assuré, en métropole, par la société Enedis et les entreprises locales de distribution (ELD) qui disposent, dans leur zone de desserte exclusive, du monopole de l’exploitation des réseaux publics de distribution d’électricité sous le régime de la concession.

Créé par l’article 33 de la loi du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz, le Fonds de péréquation de l’électricité a pour objet de compenser l’hétérogénéité des conditions d’exploitation des réseaux publics de distribution d’électricité entre les différentes concessions présentes sur le territoire national. Prévu aux articles L. 121-29 et suivants du Code de l’énergie, il vise ainsi à assurer la couverture de certains coûts des concessions les moins rentables – en pratique celles qui se situent en zone rurale.

Le Tarif d’utilisation des réseaux publics de distribution d’électricité (TURPE), qui vise à couvrir, selon l’article L. 341-1 du Code de l’énergie, « l'ensemble des coûts supportés par les gestionnaires de ces réseaux dans la mesure où ces coûts correspondent à ceux d'un gestionnaire de réseau efficace », est calculé en pratique pour couvrir l’intégralité des charges auxquelles la société Enedis, principal gestionnaire de réseaux, fait face dans le cadre de l’exploitation de l’ensemble de ses concessions. Autrement dit, le TURPE est ajusté pour assurer la couverture des coûts du principal gestionnaire de réseaux et pas des ELD. La conséquence est que, d’une ELD à l’autre, la rémunération assurée par le TURPE peut aboutir à créer des déficits ou des excédents. Précisément, le FPE constitue un mécanisme de correction permettant de couvrir les coûts des ELD pour lesquelles le TURPE ne permet pas de couvrir l’ensemble des coûts d’exploitation.

C’est le décret n° 2004-66 du 14 janvier 2004 relatif au fonds de péréquation de l'électricité, désormais codifié aux articles R. 121-44 et suivants du Code de l’énergie dans leur rédaction issue du décret n° 2017-847 du 9 mai 2017 relatif à la péréquation des charges de distribution d'électricité, qui définit les modalités de calcul des contributions et des dotations versées au titre de ce fonds selon que l’exploitation des réseaux de distribution d’électricité par le gestionnaire de réseaux est bénéficiaire ou déficitaire. L’article 12 du décret prévoit ainsi que les gestionnaires de réseaux dont les charges excèdent les recettes reçoivent une contribution du fonds ; à l’opposé, les gestionnaires de réseaux dont les recettes excèdent les charges sont contributeurs. Le solde de contribution ou de dotation est calculé par application de formules dont l’objet est de permettre « d'une part, d'ajuster la contribution au fonds de péréquation des gestionnaires dont l'écart entre recettes et charges excède une proportion déterminée des recettes, d'autre part, d'assurer l'équilibre des opérations effectuées par le fonds de péréquation de l'électricité ». La compensation versée par le fonds aux gestionnaires en déficit n’est ainsi jamais égale à la différence entre ses recettes et ses charges : elle n’est que partielle. A cette fin, l’article R. 121-57 du Code de l’énergie prévoit trois coefficients qui interviennent dans le cadre du calcul des coûts compensés – précisons que la part des recettes des gestionnaires de réseaux destinée à la rémunération des investissements en est exclue. Alors que le coefficient alpha vise à déterminer la contribution due par les gestionnaires de réseaux excédentaires, le coefficient béta permet de limiter cette contribution au-delà d’un certain seuil et le coefficient epsilon (parfois nommé gamma par certains arrêtés) permet lui de limiter les contributions versées aux bénéficiaires. C’est le niveau de ces coefficients – qui sont déterminés par arrêté pour assurer une pondération du mécanisme de compensation - qui a généré le contentieux ayant abouti à la décision commentée. En effet, certaines ELD estiment la compensation qu’elles reçoivent du Fonds trop faible au regard de leur déficit.
C’est dans ce cadre que les ELD requérantes avaient sollicité – et obtenu – du Conseil d'État l'annulation des arrêtés relatifs aux coefficients à appliquer à la formule de péréquation pour les années 2012, 2013 et 2014 (CE, 27 juillet 2015, n° 363984, Sociétés SRD et Geredis : JurisData n° 2015-018062). En conséquence de cette décision, a été édicté le 15 juillet 2016 deux arrêtés, l’un relatif aux coefficients à appliquer rétroactivement pour les années 2012, 2013 et 2014, l’autre à appliquer à la même formule pour l’année 2015. Ce sont ces arrêtés que les ELD requérantes ont, dans un second temps, demander au Conseil d’Etat d’annuler en tant qu’ils fixaient la valeur des coefficients alpha, bêta et epsilon. En faisant droit à leur demande dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a poursuivi sa tentative initiale d’encadrer un calcul complexe en faveur de la péréquation (I) en censurant des coefficients trop défavorables à Enedis (II).

I. La tentative d’encadrer un calcul complexe en faveur de la péréquation

Dans la décision Sociétés SRD et Geredis de 2015, le Conseil d’Etat se penchait pour la première fois sur le mécanisme du FPE. Les ELD requérantes avaient entendu contester le niveau selon elles très faible du coefficient epsilon, ne permettant qu’une couverture dérisoire de leur coût. Le Conseil d’Etat leur avait donné raison en encadrant la marge d’appréciation du pouvoir réglementaire dans la fixation de ce coefficient.

Il avait en effet estimé, en se référant à l’intention du législateur que si la valeur du coefficient epsilon pouvait être inférieure à 1 (à 1 la compensation est assurée en totalité et plus epsilon est inférieur à 1, plus la compensation est partielle) « la part des coûts nécessairement supportés par un gestionnaire de réseau de distribution efficace, eu égard aux particularités du réseau exploité ou de sa clientèle, qui n'est pas déjà couverte par les tarifs, doit être prise en charge par le fonds, à moins que cette prise en charge ne conduise à prélever sur les gestionnaires contributeurs la totalité, y compris leur marge commerciale raisonnable, de l'excédent de leurs recettes sur leurs propres charges d'exploitation ». En conséquence, il avait censuré les arrêtés contestés dès lors qu’ils fixaient le coefficient epsilon à des valeurs très faibles qui n’étaient pas « justifiées par le souci de n'inclure que les coûts nécessairement supportés par un gestionnaire de réseau de distribution efficace eu égard aux particularités du réseau exploité ou de sa clientèle ou par la volonté d'éviter que la prise en charge de ces coûts ne conduise à prélever sur les gestionnaires contributeurs la totalité de l'excédent de leurs recettes sur leurs propres charges d'exploitation ».

Cette solution avait semblé restreindre la marge de manœuvre du pouvoir réglementaire dans la détermination de la pondération de la compensation des coûts d’exploitation supportés par les ELD déficitaires. Comme l’avait relevé le rapporteur public, E. Bokdal-Tognetti, si la loi « n’instaure pas un droit à compensation intégrale de tous les coûts supportés ni même d’une part significative de ceux-ci sans considération de leur nature et de leur montant », pour autant, les coefficients utilisés ne sauraient « aboutir à ne compenser qu’une part peu significative du total des coûts » sans justification appropriée. Il pouvait s’en déduire naïvement la nécessité, pour le pouvoir réglementaire, de revoir substantiellement le niveau du coefficient epsilon dans les décisions prises postérieurement à cette annulation contentieuse – et notamment les décisions ayant une portée rétroactive venant se substituer aux arrêtés annulés. Tel ne fut pourtant pas le cas, ce qui explique le nouveaux contentieux introduit par les sociétés requérantes qui mettaient en cause non seulement la valeur supposée faible du coefficient epsilon, mais également le niveau du coefficient alpha.

Le Conseil d’Etat était ainsi amené à statuer pour la première fois sur l’équilibre général du calcul de la contribution, et ce d’autant plus que, comme l’avait déjà noté E. Bokdal-Tognetti dans ses conclusions précitées, l’imbrication entre les trois coefficients rend indivisible le jugement à porter sur leur valeur. De sorte que si la décision commentée constitue bien un deuxième regard du Conseil d’Etat sur le mécanisme du FPE, c’est d’un regard plus vaste qu’il s’agit. Il devait forcément en ressortir des précisions sur l’office du pouvoir réglementaires lorsqu’il fixe les fameux coefficients.

II. Des coefficients trop défavorables à Enedis

Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a constaté que pour fixer la valeur des trois coefficients alpha, bêta et epsilon pour les années 2012 à 2015 le pouvoir réglementaire avait d’abord calculé le besoin brut de financement du fonds de péréquation de l’électricité, correspondant à la somme des soldes des gestionnaires bénéficiaires, avant de calculer le coefficient bêta « de telle sorte que la contribution de la société Enedis représente 97 % des dotations du fonds, correspondant à la part de cette société dans les recettes d’acheminement de l’électricité perçues par l’ensemble des gestionnaires de réseaux », et le coefficient alpha « de telle sorte que la contribution de l’entreprise locale de distribution contributrice dont l’écart entre les recettes et les charges était le plus faible au titre de l’année considérée n’excède pas 90 % de cet écart ». Autrement dit le calcul avait pour finalité principale de faire peser l’essentiel de l’effort de péréquation sur la société Enedis.

Or, ce coefficient n’a pas pour objet d’opérer une répartition entre les différents gestionnaires de réseaux, mais uniquement d’éviter que les gestionnaires de réseaux excédentaires, quels qu’ils soient, ne doivent verser une contribution excessive. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’Etat a jugé qu’en « calculant le coefficient bêta de telle sorte qu'il permette de fixer la part de la contribution de la société Enedis dans le total des contributions à hauteur de sa part dans le total des recettes d'acheminement, et non d'ajuster la contribution au fonds de péréquation des gestionnaires contributeurs dont l'écart entre recettes et charges excède une proportion déterminée des recettes » le pouvoir réglementaire avait commis une erreur de droit. Il a ajouté que ces modalités de calcul erronées, « combinées à celles d'alpha, sont susceptibles, ainsi que cela s'est produit pour les années 2012, 2014 et 2015, de conduire à attribuer au coefficient alpha une valeur supérieure à 1 et, par voie de conséquence, à prélever sur la société Enedis, seul gestionnaire contributeur dont l'écart entre les recettes et les charges se trouve alors inférieur au produit de ses recettes et de bêta, une somme supérieure à l'excédent de ses recettes sur ses charges d'exploitation ». L’annulation prononcée ne l’est plus à raison de la faiblesse de epsilon (laquelle demeurait d’ailleurs très nette), mais du détournement des coefficients alpha et surtout béta visant à faire peser l’essentiel du financement du fonds sur la société Enedis – ce qui permettait, à l’inverse, d’épargner la contribution de certaines ELD largement excédentaires. Cette solution semblait en réalité déjà contenues dans celle de 2015 : si l’arrêt du Conseil d’Etat n’était pas totalement claire sur l’ordre de préférence éventuel existant entre les différents coefficients, dans ses conclusions précitées, E. Bokdal-Tognetti avait évoquait un « garde-fou essentiel », à savoir que la formule de calcul ne pouvait aboutir « au motif du nécessaire équilibre du fonds, à prélever sur les entreprises de distribution contributrices au fonds plus que l’excédent de leurs recettes résultant du TURPE et des tarifs de vente aux clients non éligibles sur leurs charges d’exploitation ».

Rapprochée de la décision de 2015, la décision commentée témoigne ainsi de l’extrême complexité du calcul de la péréquation assurée par le FPE au regard de la nécessité de concilier des exigences multiples. Mais elle est également l’illustration des limites du système de péréquation existant dans la distribution publique d’électricité, qui résultent de la coexistence de petites ELD multiples aux conditions d’exploitation très hétérogènes à côté du géant Enedis. C‘est la raison pour laquelle l’article 165 de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte est venu modifier le cadre de cette péréquation en permettant aux ELD d’opter pour un système de péréquation fondé sur l’analyse de leurs charges réelles d’exploitation.

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