La fin modulée des tarifs réglementés de vente
Par une décision du 15 décembre 2014, le Conseil d’Etat, avait sursis a statuer sur la demande de l’association ANODE tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2013-400 du 16 mai 2013 modifiant le décret n° 2009-1603 du 18 décembre 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel et renvoyé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne.
Par la décision commentée, le Conseil d’Etat a tiré toutes les conséquences de la décision de la Cour en date du 7 septembre 2016 (CJUE, 7 septembre 2016, ANODE c/ Premier ministre, Affaire C-121/15) et a jugé qu’il résulte de l'interprétation de la directive 2009/73/CE concernant les règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel donnée par la CJUE que les articles L. 445-1 à L. 445-4 du code de l'énergie, en imposant à certains fournisseurs de proposer au consommateur final la fourniture de gaz naturel à des tarifs réglementés, constituent une entrave à la réalisation d'un marché du gaz naturel concurrentiel prévue par cette directive.
Rappelant que cette entrave ne saurait être admise qu'à la triple condition qu'elle réponde à un objectif d'intérêt économique général, qu'elle ne porte atteinte à la libre fixation des prix que dans la seule mesure nécessaire à la réalisation de cet objectif et notamment durant une période limitée dans le temps et, enfin, qu'elle soit clairement définie, transparente, non discriminatoire et contrôlable, le Conseil d’Etat a jugé en l’espèce que, contrairement à ce qui était soutenu, le décret du 16 mai 2013 réglementant les tarifs du gaz naturel n'a pas pour objectif de garantir la sécurité des approvisionnements de la France en gaz naturel, une harmonisation des prix sur l'ensemble du territoire national ou un prix raisonnable de la fourniture du gaz naturel. Dès lors l'entrave à la réalisation d'un marché du gaz concurrentiel que constitue cette réglementation tarifaire ne poursuit donc aucun objectif d'intérêt économique général
En conséquence, le décret du 16 mai 2013 modifiant le décret n° 2009‑1603 du 18 décembre 2009 relatif aux tarifs réglementés de vente de gaz naturel est annulé.
Cette décision, qui annonce la fin des tarifs réglementés de vente d’énergie (le secteur de l’électricité étant dans une configuration globalement comparable, on voit mal qu’il en aille autrement), est également intéressante sur le plan du contentieux administratif.
En effet, le Conseil d’Etat a précisé que la faculté de moduler dans le temps les effets d'une annulation contentieuse ne peut, s'agissant d'une annulation résultant d'une méconnaissance du droit de l'Union européenne, être utilisée qu'à titre exceptionnel et en présence d'une nécessité impérieuse.
En effet, dans son arrêt "Association France Nature Environnement" du 28 juillet 2016 (Affaire C-379-15), la Cour de justice de l'Union européenne a précisé qu'une juridiction nationale peut, lorsque le droit interne le permet, exceptionnellement et au cas par cas, limiter dans le temps certains effets d'une déclaration d'illégalité d'une disposition du droit national qui a été adoptée en méconnaissance d'une directive, à la condition qu'une telle limitation s'impose par une considération impérieuse et compte tenu des circonstances spécifiques de l'affaire dont elle est saisie, lorsqu'elle est convaincue, ce qu'elle doit démontrer de manière circonstanciée, qu'aucun doute raisonnable n'existe quant à l'interprétation et l'application des conditions posées par sa jurisprudence à une telle limitation.
En l'espèce, le Conseil d’Etat a relevé que l'annulation du décret du 16 mai 2013 relatif aux tarifs réglementés du gaz naturel avait en principe pour conséquence de faire revivre rétroactivement les dispositions du décret du 18 décembre 2009, dans sa rédaction antérieure à sa modification par le décret attaqué, jusqu'à leur abrogation par le décret du 30 décembre 2015 relatif à la codification de la partie réglementaire du code de l'énergie. Or, eu égard aux incertitudes graves qu'une annulation rétroactive ferait naître sur la situation contractuelle passée de plusieurs millions de consommateurs et de la nécessité impérieuse de prévenir l'atteinte au principe de sécurité juridique qui en résulterait, le Conseil d’Etat a jugé, à titre exceptionnel, que les effets produits par le décret attaqué sont, sous réserve des actions contentieuses déjà engagées à la date de la présente décision, regardés comme définitifs.