Constitutionnalité des servitude au profit des ouvrages d'acheminement d’électricité
L’association « Avenir Haute Durance » et de nombreux autres requérants (qu’il s’agisse d’association, de communes ou de particuliers) ont sollicité du Conseil d’Etat l’annulation de l’arrêté du 6 octobre 2014 portant déclaration d’utilité publique, en vue de l’institution de servitudes, des travaux de construction d’une ligne électrique aérienne à 250 000 volts, entre les postes de l’Argentière-La-Bessée et de Serre-Ponçon dans le département des Hautes-Alpes. Il s’agit ainsi d’une déclaration d’utilité publique préalable à la construction d’une ligne de transport d’électricité.
A l’occasion de ce recours, une question prioritaire de constitutionnalité fut déposée devant le Conseil d’Etat qui concernait les articles L. 323-3 à L. 323-11 du Code de l’énergie qui réglementent la traversée des propriétés privées par les ouvrages de transport et de distribution d’électricité.
Les deux principaux moyens des requérants visaient la méconnaissance, par les dispositions contestées, de l’article 7 de la Charte de l’environnement qui prévoit notamment le « droit de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement » et du droit de propriété.
Le Conseil constitutionnel a écarté le premier moyen en rappelant que dans les cas les plus importants, prévus par le Code de l’environnement, la déclaration d'utilité publique des travaux nécessaires à l'établissement et à l'entretien des ouvrages de la concession de transport ou de distribution d'électricité doit être précédée d'une étude d'impact et d'une enquête publique. Dans les autres cas, ainsi qu’il l’a relevé, une consultation du public est organisée, garantissant formellement le respect de la Charte.
S’agissant du moyen le plus sérieux, qui avait motivé, on l’a vu, le renvoi de la question par le Conseil d’Etat, à savoir la méconnaissance du droit de propriété, le Conseil constitutionnel a repris sa jurisprudence traditionnelle distinguant la protection de ce droit au titre de l’article 2 ou 17 de la Déclaration de 1789. Dans sa décision du 14 octobre 2011 (Décision n° 2011-182 QPC du 14 octobre 2011), il avait déjà jugé que le droit accordé à l'État d'établir une servitude de passage et d'aménagement pour assurer la continuité des voies de défense contre l'incendie, la pérennité des itinéraires constitués, ainsi que l'établissement des équipements de protection et de surveillance des forêts » n'entraînait pas une privation de propriété au sens de l'article 17 de la Déclaration de 1789. Il a confirmé dans la décision commentée que les dispositions de l’article L. 323 4° n'entraînent pas une privation de propriété mais uniquement une limitation apportée à l'exercice du droit de propriété. Or cette limitation, en facilitant la réalisation des infrastructures de transport et de distribution de l'électricité, poursuit selon le Conseil un but d’intérêt général. Une telle justification apportée à ces dispositions (qui s’étend aux autres alinéas de l’article L. 323 du Code de l’énergie), doit être rapprochée de la qualification, par le Conseil d’Etat, de service public s’agissant de la production d’électricité nucléaire par la société EDF, dès lors que celle-ci a été jugée répondre « aux besoins essentiels du pays » (CE, 12 avril 2013, Fédération FO Energie et Mines et autres, n° 329570). Résumant la façon dont l’institution de ces servitudes est encadrée par les dispositions du Code de l’énergie, le Conseil a estimé que l'atteinte portée au droit de propriété était proportionnée à l'objectif poursuivi.
Cependant, indépendamment de cette justification constitutionnelle du dispositif critiqué, le Conseil constitutionnel a émis une réserve qui, pour paraitre formelle, n’en a pas moins son importance. Il a en effet précisé que l’institution de servitude pourrait s’apparenter à une privation du droit de propriété, protégé par l’article 17 de la Déclaration de 1789, « si la sujétion ainsi imposée devait aboutir, compte tenu de l'ampleur de ses conséquences sur une jouissance normale de la propriété grevée de servitude, à vider le droit de propriété de son contenu ». Ce faisant, il a expressément permis aux juges du fond de juger au cas par cas si, de par leur ampleur (et dans les faits elle peut être particulièrement importante), les servitudes en cause constituent une privation de propriété, avec pour conséquence l’obligation de recourir à la procédure d’expropriation.