Incidences de l'illicéité d'une indemnité de résiliation stipulée dans un contrat public
L’arrêt société Leasecom vient apporter des précisions de première importance sur les conséquences de l’illicéité d’une clause de résiliation insérée dans un contrat conclu par une personne publique.
Le tribunal de grande instance de Marseille avait conclu avec la société Leasecom un contrat de location de quinze photocopieurs à compter du 1er janvier 2004, pour une durée de douze trimestres, moyennant un loyer trimestriel de 7 765,72 euros. Néanmoins, par une décision en date du 27 juin 2005, le greffier en chef du tribunal de grande instance a procédé à la résiliation de ce contrat à compter du 31 décembre 2005. La société Leasecom a alors demandé au Tribunal administratif de Marseille de condamner l’Etat à lui payer la somme de 40 866,33 euros TTC majorée des intérêts à taux légal au titre de l’indemnité de résiliation du contrat.
Le Tribunal administratif de Marseille a fait droit à cette demande par application de la clause du contrat fixant l’indemnité de résiliation anticipée pour motif d’intérêt général (TA Marseille, 28 juin 2011, société Leasecom, n° 0707048). Saisi de ce jugement, la Cour administrative d’appel de Marseille l’a annulé en estimant que la résiliation à laquelle il avait été procédé ne pouvait s’interpréter comme une résiliation anticipée ouvrant droit, aux termes du contrat, au versement de l’indemnité contractuelle stipulée en cas de résiliation (CAA Marseille, 11 juin 2013, Garde des sceaux ministre de la justice c/ société Leasecom, n° 11MA03607). Cet arrêt a été cassé par le Conseil d’Etat, ce dernier jugeant que la Cour avait fait une inexacte interprétation de la clause de résiliation (CE, 5 novembre 2014, société Leasecom, n° 371130).
C’est dans ce cadre que, saisie de nouveau du litige sur renvoi du Conseil d’Etat, la Cour administrative d’appel de Marseille a alors estimé que l’indemnité de résiliation sollicitée par la société Leasecom en application du contrat était « supérieure à la rémunération qu’elle aurait reçue si elle avait continué à mettre le matériel à la disposition du tribunal de grande instance, alors que, dans l’hypothèse d’une résiliation, la société Leasecom est en mesure de vendre ou de louer le matériel et donc d’en tirer un revenu supplémentaire ». Elle en a tiré pour conséquence que cette indemnité était manifestement disproportionnée par rapport au montant du préjudice effectivement subi par la société. Elle a dès lors écarté l’application de la clause du contrat et rejeté la requête (CAA Marseille, 8 juin 2015, Garde des sceaux ministre de la justice ; société Leasecom, n° 14MA04874).
En vertu d’une jurisprudence constante, les personnes publiques ne peuvent jamais être condamnées à payer une somme qu'elles ne doivent pas (CE, 19 mars 1971, sieurs Mergui, n° 79962). Dans la décision Société Leasecom, faisant application de ce principe, le Conseil d’Etat a confirmé la règle selon laquelle « la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d’intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant ; que, si l’étendue et les modalités de cette indemnisation peuvent être déterminées par les stipulations contractuelles, l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités fait toutefois obstacle à ce que ces stipulations prévoient une indemnité de résiliation qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation ». Cette solution, qui avait clairement été posée en 2011 (CE, 4 mai 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, n° 334280).
Elle avait connu une précision par la suite dans l’arrêt Commune de Douai en 2012 (CE, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788) : le Conseil d’Etat avait en effet précisé qu’en cas de résiliation anticipée d’une délégation de service public, « le délégataire est fondé à demander l'indemnisation du préjudice qu'il subit à raison du retour anticipé des biens à titre gratuit dans le patrimoine de la collectivité publique ». Mais il avait rappelé le mode de calcul de l’indemnité, à savoir si l'amortissement de ces biens a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, l’indemnité est égale à leur valeur nette comptable inscrite au bilan alors que si la durée d’utilisation des biens était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat. Surtout, le Conseil d’Etat a rappelé que si les parties peuvent déroger à ces principes, « l'indemnité mise à la charge de la personne publique au titre de ces biens ne saurait en toute hypothèse excéder le montant calculé selon les modalités précisées ci-dessus ».
L’indemnité de résiliation qui peut être stipulée au contrat est ainsi strictement encadrée par la jurisprudence : d’une part l’indemnité venant couvrir les biens de retour non amortis ne peut être supérieure à la formule de calcul comptable présentée par le Conseil d’Etat ; d’autre part, si les autres préjudices pouvant naitre de la résiliation peuvent être indemnisée, c’est à la stricte condition qu’aucune disproportion manifeste n’en résulte pour la personne publique (pour une application, voir CAA Nancy, 12 mai 2014, M. Mietkiewicz et autres, n° 13NC01303 et suivants). Il faut noter que si la solution rappelée par la décision s’explique par la volonté de protéger le patrimoine des personnes publiques, elle a aussi une visée pragmatique. En effet, puisqu’une personne publique ne peut renoncer à son pouvoir de résiliation unilatérale pour motif d'intérêt général (CE, 6 mai 1985, Association Eurolat Crédit Foncier de France, n° 41589), il ne faut pas lui permettre de stipuler une clause qui reviendrait, dans les faits, à l’empêcher de résilier un contrat.
En l’espèce, dans la décision commentée, le contrat stipulait que le bailleur avait droit, en cas de résiliation anticipée, à une indemnité égale à tous les loyers dus et à échoir jusqu’au terme de la durée initiale de location, majorée de 10 %. C’est cette clause que la Cour administrative d’appel avait jugé illicite dès lors que l’indemnité demandée par la société en application du contrat « est supérieure à la rémunération qu’elle aurait reçue si elle avait continué à mettre le matériel à la disposition du tribunal de grande instance, alors que, dans l’hypothèse d’une résiliation, la société Leasecom est en mesure de vendre ou de louer le matériel et donc d’en tirer un revenu supplémentaire ». Comme l’a relevé le Conseil d’Etat, la Cour a ainsi pu exactement en déduire qu’il existait une disproportion manifeste entre cette indemnité et le « préjudice résultant, pour la société Leasecom, des dépenses qu’elles avait exposées et du gain dont elle avait été privée, dès lors que la société ne justifiait pas de charges particulières ou de l’impossibilité de vendre ou de louer ce matériel ».
En conséquence l’illicéité de la clause est confirmée par le Conseil d’Etat.
Comme le relevait G. Pellissier dans ses conclusions, l’intérêt du litige se situait dans la question des conséquences contentieuses du constat de l’illicéité d’une clause d’indemnisation. Précisément, la société requérante soutenait que la Cour administrative d’appel ayant écarté l’application de l’indemnité fixée par la clause de résiliation, elle devait fixer elle-même l’indemnité de résiliation à laquelle elle avait droit.
C’est là que le Conseil d’Etat a innové en donnant un véritable mode d’emploi contentieux des conséquences de l’illicéité d’une clause de résiliation. Il a jugé que « si, dans le cadre d’un litige indemnitaire, l’une des parties ou le juge soulève, avant la clôture de l’instruction, un moyen tiré de l’illicéité de la clause du contrat relative aux modalités d’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation anticipée, il appartient à ce dernier de demander au juge la condamnation de la personne publique à l’indemniser du préjudice qu’il estime avoir subi du fait de la résiliation du contrat sur le fondement des règles générales applicables, dans le silence du contrat, à l’indemnisation du cocontractant en cas de résiliation du contrat pour un motif d’intérêt général ». Autrement dit, si l’illicéité de la clause de résiliation vient en débat, soit du fait du juge, soit du fait d’une partie, le cocontractant doit, dans ce cas, présenter expressément des conclusions tendant à la condamnation de l’administration au paiement de dommages et intérêts calculés non plus sur le fondement du contrat, mais sur celui des règles générales applicables à la résiliation du contrat. Et « dans l’hypothèse où le juge inviterait les parties à présenter leurs observations (…) sur le moyen soulevé d’office et tiré de l’illicéité de la clause d’indemnisation du contrat, le cocontractant de la personne publique peut, dans ses observations en réponse soumises au contradictoire, fonder sa demande de réparation sur ces règles générales applicables aux contrats administratifs ».
Ainsi, l’apport principale de la décision Société Leasecom est de préciser qu’en cas d’illicéité de la clause de résiliation, le cocontractant, qui a le droit à l’indemnisation de son préjudice, ne peut rester inerte et doit modifier le terrain juridique sur lequel il se place pour solliciter la réparation de son préjudice. En l’espèce, la Cour a rejeté les conclusions indemnitaires de la société Leasecom après avoir écarté l’application de la formule d’indemnisation stipulée au contrat. Le Conseil d’Etat a relevé que la société s’est « exclusivement prévalue, au soutien de ses conclusions indemnitaires, de la clause de résiliation prévue par le contrat » alors même qu’elle avait été informée que l’arrêt à intervenir était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office tiré de l’illicéité de cette clause. Dès lors, « en l’absence de toute demande de la société tendant à l’indemnisation des conséquences de la résiliation anticipée du contrat sur le fondement des règles générales applicables aux contrats administratifs », c’est à bon droit que la Cour a rejeté les conclusions indemnitaires.