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Cabinet d'avocat à Paris

Le contrôle des recommandations de la CRE

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La loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité a reconnu aux consommateurs le droit de choisir le fournisseur d’électricité de leur choix. Théoriquement, l’exercice de ce droit aurait dû conduire le consommateur à conclure deux contrats : l’un avec le fournisseur d’électricité de son choix et l’autre pour l’accès au réseau public de distribution d’électricité avec le gestionnaire de ce réseau (soit la société Enedis - ex ERDF - pour 95 % des réseaux présents sur le territoire métropolitain).

Néanmoins, dans un souci de simplification, l’article L. 332-3 du code de l’énergie permet aux consommateurs finals de conclure un contrat unique portant à la fois sur la distribution et la fourniture d’électricité. Parallèlement, l’article L. 111-92 du même code prévoit la conclusion, entre chaque fournisseur et le gestionnaire du réseau public de distribution concerné, d’un contrat relatif à l'accès au réseau pour l'exécution des contrats conclus par ce fournisseur avec des consommateurs finals ayant exercé leur droit de choisir leur fournisseur. En exécution de ce contrat le fournisseur collecte la part due au gestionnaire de réseau, à savoir le tarif d’utilisation des réseaux publics d’électricité (TURPE), qu’il lui reverse ensuite.

Afin d’aménager les conséquences des frais de gestion que la conclusion de ce contrat faisait peser sur elle, la société Poweo Direct Energie à souhaiter conclure avec la société ERDF un contrat dit « de prestation de services » prévoyant que cette dernière verserait, pour une durée limitée, à la société Poweo Direct Energie une rémunération couvrant ces frais de gestion tant que cette société n’aurait pas atteint le seuil de 1 750 000 clients finals ayant souscrit un contrat unique. Ce contrat ayant été négocié, la société Poweo Direct Energie a souhaité le soumettre pour avis à la CRE avant sa conclusion. Aux termes de l’article L. 131-1 du Code de l’énergie, fixant les missions de la CRE, celle-ci doit notamment veiller « à ce que les conditions d'accès aux réseaux de transport et de distribution d'électricité et de gaz naturel n'entravent pas le développement de la concurrence ». L’article L. 131-2 du même code la charge également de surveiller notamment « les transactions effectuées entre fournisseurs, négociants et producteurs, les transactions effectuées sur les marchés organisés (…) ». C’est dans ce cadre, et après avoir sollicité un avis préalable de l’autorité de la concurrence, que, par une délibération en date du 26 juillet 2012 portant communication relative à la gestion de clients en contrat unique, la CRE a considéré qu’au regard tant des principes généraux du droit de la concurrence que du Code de l’énergie, le dispositif prévu pouvait être valablement conclu. Par surcroit, elle ajoutait que des contrats analogues pourraient être conclus avec des fournisseurs dans des situations comparables et précisait que les dépenses correspondantes étaient de nature à entrer dans le périmètre du TURPE.

S’étant heurtée à un refus de bénéficier d’un contrat de prestation de services analogue dès lors qu’elle ne remplissait pas les conditions susmentionnées, la société Engie, nouveau fournisseur alternatif d’électricité, a demandé à la CRE de retirer sa délibération du 26 juillet 2012 (demande que le Conseil d’Etat interpréta comme une demande d’abrogation). Par une délibération en date du 10 décembre 2014, la CRE a rejeté cette demande en relevant que ladite délibération était « dépourvue de tout caractère décisoire ». La société GDF Suez a alors saisi le Conseil d’Etat d’un recours pour excès de pouvoir tendant à l’annulation des délibérations du 10 décembre 2014 et 26 juillet 2012.

Face aux actes de droit souple, l’office du juge de l’excès de pouvoir a été clairement fixé par le Conseil d’Etat : il lui appartient « d’examiner les vices susceptibles d’affecter la légalité de ces actes en tenant compte de leur nature et de leurs caractéristiques, ainsi que du pouvoir d’appréciation dont dispose l’autorité de régulation ». Un tel contrôle devait en l’espèce conduire à vérifier si la CRE avait méconnu la loi par sa délibération du 26 juillet 2012. En effet, si la société requérante demandait l’annulation du refus d’abroger cette délibération, c’est en tant que celle-ci ne lui permettait pas de bénéficier du contrat de prestation unique alors que, selon elle, la loi devait s’appliquer de la même façon à l’ensemble des fournisseurs.

Dans ses conclusions, R. Victor, relevait qu’il était impossible de justifier que le fournisseur puisse supporter seul la charge des dépenses liées aux tâches de gestion administrative et financière effectuées, par l’effet de la loi, pour le compte du gestionnaire de réseau dans le cadre du contrat unique. Dans le cas contraire, cela reviendrait selon lui « à autoriser une forme d’enrichissement sans cause du gestionnaire du réseau ». C’est ce raisonnement que le Conseil d’Etat a suivi en tout point : en permettant à certains consommateurs de conclure un contrat unique portant à la fois sur la distribution et la fourniture d’électricité la loi n’avait pas pour but de modifier les responsabilités respectives des fournisseurs et distributeurs envers le consommateur d’électricité. Il n’est donc pas possible que les frais de gestion liés au contrat unique soient mis à la charge des fournisseurs. En conséquence, en validant le caractère transitoire du contrat conclu, alors qu’il devrait être permanent et en avalisant le critère du nombre de clients ayant souscrit un contrat unique inférieur à 1 750 000 dans sa délibération, la CRE a restreint la faculté voulue par le législateur en permettant que certains fournisseurs doivent assumer les coûts de gestion liés à la souscription des contrats uniques.

Cette solution était prévisible : le Conseil d’Etat s’est en effet réapproprié une solution déjà dégagée par la jurisprudence judiciaire en la matière. La Cour d’appel de Paris avait déjà jugé « qu’en instituant le contrat unique, le législateur a entendu simplifier le dispositif de souscription des contrats en dispensant le client final de conclure directement et parallèlement à son contrat de fourniture d’électricité un contrat d’accès au réseau avec le gestionnaire du réseau public de distribution » et que cela ne pouvait avoir pour effet de faire supporter au seul fournisseur l’intégralité d’un risque (CA Paris, Pole 5, 29 septembre 2011, ERDF c/ Direct Energie, n° 2010/24020). Si une réappropriation de ce type est assez classique (Voir pour les réseaux privés d’électricité CE, 9 octobre 2015, Union nationale des entreprises d'électricité et de gaz, n° 370057), elle prend ici une dimension curieuse, voire déroutante, dès lors que l’arrêt précité de la Cour d’appel de paris ne faisait que confirmer l’analyse développée dans une décision du Cordis (Décision du 22 octobre 2010), soit l’organe de règlement des conflits institué au sein de la CRE, statuant – déjà – sur un litige opposant les sociétés ERDF et Direct Energie.

Quoi qu’il en soit, le Conseil d’Etat a annulé la délibération rejetant la demande d’abrogation de la délibération du 26 juillet 2012. Ce faisant, il a clairement illustré son souhait de resserrer le contrôle opéré sur l’activité normative de la CRE.

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