BODA
Cabinet d'avocat à Paris

Validité des réseaux privés de distribution d'électricité

Rate this item
(0 votes)

Aux termes de l’article L. 134-1 du Code de l’énergie, la Commission de régulation de l’énergie (CRE) précise les règles concernant les conditions de raccordement aux réseaux publics de transport et de distribution d’électricité. Une telle compétence s’inscrit dans la mission de régulation de la CRE.

C’est dans ce cadre que la CRE a édicté la délibération du 25 avril 2013 portant décision sur les règles d’élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement aux réseaux publics de distribution d’électricité et le suivi de leur mise en œuvre. Précisons d’emblée qu’une telle délibération a pour objet les opérations de raccordement dont les gestionnaires de réseaux publics de distribution sont maîtres d'ouvrage, à l’exclusion des opérations de raccordement dont les autorités concédantes assurent la maîtrise d’ouvrage comme le contrat de concession du service public de la distribution d’électricité peut le prévoir.

Par une requête en date du 10 juillet 2013, l’Union nationale des entreprises d'électricité et de gaz, syndicat professionnel regroupant plusieurs entreprises locales de distribution, à savoir des distributeurs autre que la société ERDF, a sollicité l’annulation de cette délibération. Le second moyen formulé par le syndicat requérant mettait en cause le fond même de la délibération attaquée et posait une question peu abordée, celle des réseaux privés de distribution d’électricité. En effet, le paragraphe 4 de l’annexe 1 à cette délibération est relatif aux « principes applicables aux raccordements indirects des installations de production aux réseaux publics de distribution d'électricité ». Il précise notamment, ce qui a attiré l’attention des requérants, que « dans ce qui suit, le réseau auquel est raccordé ou doit être raccordé une installation de production indirectement raccordée à un réseau public de distribution d'électricité est qualifié de réseau privé de distribution d'électricité ». Il prévoit l’existence d’une convention de raccordement conclue entre le gestionnaire de réseau public de distribution, le demandeur et le gestionnaire du réseau privé.

La notion de réseau privé de distribution d’électricité demeure à ce jour relativement incertaine en droit, bien qu’elle apparaisse dans quelques textes et que la jurisprudence y ait déjà fait référence. Selon le Conseil d’Etat, aucune disposition législative ou décrétale ne fait « obstacle à ce que le raccordement d’une installation de production aux réseaux publics de distribution d’électricité s’opère par l’intermédiaire de la mise à disposition du producteur demandeur du raccordement des installations de raccordement au réseau public d’un autre producteur ». Il en conclut que la CRE pouvait préciser les règles concernant les conditions de raccordement indirect des installations de production aux réseaux publics de distribution d’électricité. De plus, selon lui, les dispositions de l’article 28 de la directive du 13 juillet 2009 relatives aux réseaux fermés de distribution ne sont pas applicables aux hypothèses de « réseaux privés de distribution d’électricité » visées par la délibération.

Sur ce point, les conclusions prononcée par F. Aladjidi permettent de saisir que le Conseil d’Etat a entendu se réapproprier la jurisprudence judiciaire en la matière. En effet, celle-ci a déjà dû statuer sur un pourvoi visant un arrêt de la Cour d’appel de Paris relatif à un litige opposant la société ERDF à une société exploitant deux installations de productions d’électricité sur un site industriel au sujet du raccordement indirect d’une installation de production d’électricité au réseau public de distribution d’électricité. La société ERDF faisait notamment valoir que le raccordement au réseau public d'une installation de production d'électricité appartenant à une entreprise, par l'intermédiaire des installations d'une entreprise juridiquement distincte, constituait une opération de distribution d'électricité, activité réservée, tant par l'article 18 de la loi du 10 février 2000 que par l'article 24 de la directive 2009/72 du 13 juillet 2009 à des gestionnaires de réseau désignés par l'Etat, auxquels est concédée une zone de desserte exclusive.

Cependant, la Cour avait jugé qu’« en mettant ses installations de raccordement au réseau public à la disposition d'un producteur d'électricité tiers, la société FET n'accomplit pas une opération de distribution d'électricité au sens de la directive 2009-72 du 13 juillet 2009 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité, qui définit en son article 2, 5° la distribution comme le transport d'électricité sur des réseaux de distribution à haute, à moyenne et à basse tension aux fins de fourniture à des clients, mais ne comprenant pas la fourniture ». Ainsi, selon la Cour, le fait pour une société de mettre son raccordement au réseau public à la disposition d’un producteur ne constitue pas une opération de distribution d’électricité. La Cour avait néanmoins cassé l’arrêt en considérant qu’en devenant usager du réseau public, le producteur indirectement raccordé devait respecter les dispositions du décret du 23 avril 2008 et conclure à cet effet une convention avec le gestionnaire de réseau (Cass. Com., 12 juin 2012, ERDF c/ Sté Fibre excellence Tarascon, n° 11-17.344). Par cet arrêt, la Cour de cassation confirmait tant l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 7 avril 2011 (CA Paris, 7 avril 2011, n° 2009/22783) que la décision du comité de règlement des différends et des sanctions de la CRE (Cordis) qui avait relevé qu’aucun texte « ne subordonne le rachat de l’électricité produite dans le cadre du régime légal de l’obligation d’achat à un raccordement direct des installations de production à un réseau public de distribution » (Décision du 2 octobre 2009, JORF n° 0291 du 16 décembre 2009, texte n° 70). Pour autant, la décision ne consacrait pas la notion de « réseau privé de distribution d’électricité », alors même que l’arrêt précité de la Cour d’appel de Paris faisant explicitement référence au réseau interne non seulement d’un producteur mais également d’un consommateur.

Quoi qu’il en soit, bien que le Conseil d’Etat n’ait pas tenté de définir la notion, il semble bien avoir reconnu l’existence de réseaux privés de distribution d’électricité, au sens d’installations privatives par lesquelles transite de l’électricité qui soit doit être injectée sur le réseau public de distribution, soit provient de ce réseau pour être consommée. Ce faisant, il a rejoint la jurisprudence européenne qui a déjà validé l’existence de tels réseaux (CJCE, 22 mai 2008, Citiworks AG, aff. C-439/06). Cette question doit cependant être bien distinguée de celle de la réglementation de l’achat pour revente et de celle de la prohibition de la revente de l’électricité achetée à un tarif réglementée (Voir sur ce point S. Vilain, C. Barthélémy, « Quel monopole la prohibition de la rétrocession d’électricité protège-t-elle ? », RFDA, 2013, p. 305.).

Read 5174 times