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La pleine indemnisation la part non amortie des biens de retour en cas de résiliation d’une concession conclue entre personnes publiques

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La décision commentée vient décider que lorsqu’un contrat de concession a pour partie deux personnes publiques, il ne peut prévoir qu’en cas de résiliation l’indemnisation du préjudice relatif au retour anticipé dans le patrimoine du concédant de bien non amortis soit inférieure à la valeur nette comptable de ces biens.

L’Etat avait concédé en 1970 à la commune du Croisic l’établissement et l’exploitation d’un port de plaisance pour une durée de 50 ans. En 1983, à la suite des lois de décentralisation, le département de Loire-Atlantique s’est substitué à l’Etat. Par une délibération du 6 mai 2010, la commission permanente du conseil général de Loire-Atlantique a décidé de résilier la concession à compter du 31 décembre 2010 pour motif d’intérêt général. La commune concessionnaire a alors demandé au département de lui verser une indemnité de 1 382 237 euros au titre des préjudices subis du fait de cette résiliation. Le département n’ayant finalement versé que la somme de 45 367 euros, un contentieux indemnitaire est né entre les parties.

Le cahier des charges de la concession déterminait précisément l’étendue et les modalités de l’indemnisation de la commune concessionnaire en cas de résiliation du contrat pour motif d’intérêt général : l’article 45 stipulait que la résiliation pouvait intervenir à tout moment à charge pour le concédant de « pourvoir au paiement des annuités restant à courir pour l’intérêt et l’amortissement des emprunts affectés à l’établissement de l’outillage et de supporter toutes les dépenses régulièrement engagées qui se rattacheraient à l’administration du service (…) ».

Ecartant ces stipulations, le Tribunal administratif de Nantes a mis à la charge du département la somme de 957 095,45 euros en réparation du préjudice causé par la résiliation (TA Nantes, 21 mai 2014, commune de Croisic, n° 12815). A l’inverse, s’appuyant sur les stipulations de l’article 45, la Cour administrative d’appel de Nantes a estimé que le préjudice subi par la commune n’excédait pas le montant de la somme de 45 367 euros qui lui a été versé par le département et a donc rejeté la requête (CAA Nantes, 28 juin 2016, Département de la Loire-Atlantique, n° 14NT01984). C’est cet arrêt que la commune avait entendu contester devant le Conseil d’Etat par la voie du recours en cassation. Refusant de se placer sur le terrain du caractère manifestement disproportionné de l’indemnité (I), le Conseil d’Etat a consacré l’impossibilité, entre personnes publiques, de déroger à la règle de l’indemnisation de la valeur nette comptable des biens non amortis (II)

I. Le refus de se placer sur le terrain du caractère manifestement disproportionné de l’indemnité

Bien que les stipulations de la concession en cause en l’espèce aient entendu régler l’indemnité due en cas de résiliation, la question de la validité de cette clause se posait avec acuité. En effet, le Conseil d’Etat avait jugé que si les parties à un contrat peuvent déterminer l’étendue et les modalités de l’indemnisation due en cas de résiliation, c’est à la condition « qu’il n’en résulte pas, au détriment d’une personne publique, une disproportion manifeste entre l’indemnité ainsi fixée et le montant du préjudice résultant, pour le concessionnaire, des dépenses qu’il a exposées et du gain dont il a été privé » (CE, 4 mai 2011, Chambre de commerce et d’industrie de Nîmes, Uzès, Bagnols, Le Vigan, n° 334280). Précisément en l’espèce, la discordance entre la solution retenue par le Tribunal administratif et celle retenue par la Cour s’explique par l’appréciation distincte du caractère manifestement disproportionné de l’indemnité résultant, pour la commune requérante, de l’application des stipulations de l’article 45 au regard du préjudice réellement subi du fait de la résiliation.

Le Tribunal, comme la Cour, avaient constaté que les stipulations de l’article 45 permettaient l’indemnisation du concessionnaire en cas de résiliation du contrat motivée par l’intérêt général en la limitant à la reprise des seules charges d’emprunt afférentes à l’outillage ainsi que des dépenses de fonctionnement régulièrement engagées, à l’exclusion de toute indemnité complémentaire, notamment au titre des investissements réalisés par le concessionnaire sur ses fonds propres. Or, aucune charge d’emprunt ne pesant sur la commune à la date de résiliation, pas davantage qu’elle n’avait engagé de dépenses de fonctionnement, l’application de l’article 45 n’aurait pas pu ouvrir à la commune droit à une indemnisation supérieure à la somme de 45 367 euros versée par le département.

Toutefois, le Tribunal a jugé que le retour anticipé des biens attachés à la concession litigieuse dans le patrimoine du concédant occasionnait un préjudice de 590 352,05 euros à la commune auquel s’ajoutait un manque à gagner de 275 000 euros et un préjudice de 137 110,40 euros correspondant au versement au département de la trésorerie de la commune. Il a dès lors jugé qu’alors que les préjudices réellement subis par la commune du fait de la résiliation de la concession s’élevaient, en application des règles applicables aux contrats administratifs, à la somme de 1 002 462,45 euros, l’application des stipulations de l’article 45 du cahier des charges de la concession conduisait à une disproportion manifeste entre l’indemnité en résultant et le montant du préjudice réellement subi par la commune. Il a dès lors écarté l’application des stipulations de l’article 45 du cahier des charges de la concession et condamné le département à verser à la commune la somme de 957 095,45 euros.

A l’inverse, la Cour a estimé que la commune ne pouvait se prévaloir d’un préjudice afférent à la valeur des biens de la concession faisant retour dans le patrimoine du concédant, que l’existence d’un gain manqué pour la commune concessionnaire n’était pas établie et que la récupération du fonds de trésorerie ne constituait « ni une dépense exposée par le concessionnaire ni un gain manqué » et n’entrait pas dans les éléments de détermination du préjudice indemnisable. Tout juste a-t-elle jugé que la valeur nette comptable des biens de la concession susceptibles d’être regardés comme correspondant à des dépenses de la commune concessionnaire s’élevait à 200 039,72 euros. En conséquence, la Cour a estimé que la commune concessionnaire n’établissait pas qu’elle aurait subi un préjudice manifestement disproportionné par rapport à la situation résultant de la seule application des stipulations du cahier des charges de la concession. Elle a donc annulé le jugement et rejeté la requête.

Ce raisonnement a été infirmé par le Conseil d’Etat dans la décision commentée : selon lui, la Cour a commis une erreur de droit en estimant qu’elle pouvait se fonder sur les stipulations de l’article 45 du cahier des charges de la concession pour « apprécier les droits à indemnisation de la commune au titre de la valeur non amortie des biens de retour, sous la seule réserve que leur application ne conduise pas à un montant manifestement disproportionné au regard du préjudice subi par celle-ci ». Il lui revenait en effet « s’agissant d’un contrat de concession conclu entre deux personnes publiques, de vérifier que les stipulations contractuelles permettaient d’assurer au concessionnaire l’indemnisation de la part non amortie des biens de retour » et, à défaut, de les écarter. Dès lors, l’arrêt a été cassé et l’affaire renvoyée à la Cour administrative d’appel de Nantes.

Cette solution permet de mesurer la différence entre les règles encadrant l’indemnisation des préjudices résultant d’une résiliation et celles qui encadrent l’indemnisation du préjudice spécifique résultant de la part non amortie des biens faisant retour au concédant.

II. L’impossibilité, entre personnes publiques, de déroger à la règle de l’indemnisation de la valeur nette comptable des biens non amortis

L’article 34 de l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux contrats de concession précise que ceux-ci sont limités dans leur durée celle-ci étant déterminée « en fonction de la nature et du montant des prestations ou des investissements demandés au concessionnaire ». S’inspirant de la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, 11 août 2009, Société Maison Comba, n° 303517 ; CE 8 février 2010, Commune de Chartres, n° 323158), l'article 6.II du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession précise que pour les contrats de concession d'une durée supérieure à cinq ans, la durée du contrat « ne doit pas excéder le temps raisonnablement escompté par le concessionnaire pour qu'il amortisse les investissements réalisés pour l'exploitation des ouvrages ou services avec un retour sur les capitaux compte tenu des investissements nécessaires à l'exécution du contrat ». Théoriquement, les biens de retour voient donc leur valeur amortie sur la durée du contrat. Il n’en va cependant pas toujours ainsi.

D’une part, le Conseil d’État avait jugé que la loi n’interdisait pas que la durée des contrats « soit inférieure à celle de l’amortissement des investissements réalisés et ne faisait pas obstacle au droit du délégataire d’être indemnisé à hauteur des investissements non amortis à l’issue du contrat ». Il en résulte, selon le juge, que les contrats de concession peuvent « légalement prévoir le montant de l’indemnisation due au titre des investissements non encore amortis au terme du contrat » (CE, 4 juill. 2012, Communauté d'agglomération Chartres Métropole, n° 352417). D’autre part, l’intervention d’une résiliation a pour effet de priver le concessionnaire de la possibilité de continuer l’amortissement des biens de retour. C’est la raison pour laquelle le Conseil d’État avait jugé qu’en cas de résiliation d’une concession, lorsque l’amortissement des biens de retour a été calculé sur la base d'une durée d'utilisation inférieure à la durée du contrat, cette indemnité est égale « à leur valeur nette comptable inscrite au bilan » et que lorsque « leur durée d'utilisation était supérieure à la durée du contrat, l'indemnité est égale à la valeur nette comptable qui résulterait de l'amortissement de ces biens sur la durée du contrat » (CE, 21 décembre 2012, Commune de Douai, n° 342788). Il avait ainsi jugé que l’indemnisation des biens dits de retour non amortis de fin de contrat ne pouvait être égale qu’à leur valeur nette comptable (Voir également en ce sens CAA Lyon, 28 févr. 2013, n° 12LY01347, Société des remontées mécaniques Les Houches-Saint-Gervais).

La décision commentée s’inscrit dans la continuité de cette jurisprudence en précisant que la fixation des modalités d’indemnisation de la part non amortie des biens de retour dans un contrat de concession obéit, compte tenu de la nature d’un tel préjudice, à des règles spécifiques à laquelle il est possible de déroger dans un contrat conclu entre une personne publique et une personne privée, sous réserve que l’indemnité mise à la charge de la personne publique ne puisse excéder la valeur nette comptable des biens restant à amortir mais en excluant une telle dérogation « permettant de ne pas indemniser ou de n’indemniser que partiellement les biens de retour non amortis » lorsque le concessionnaire est une personne publique.

Ainsi, si en cas de fin anticipée d’un contrat de concession, la jurisprudence reconnaît qu’à l’indemnité due au titre des biens non amortis (à laquelle le cocontractant a droit quel que soit le motif de la résiliation CE, 4 mai 2015, Société Domaine Porte des neiges, n° 383208,), peut s’ajouter l’indemnisation d’autres préjudices subis par le concessionnaire du fait de la résiliation tel que le manque à gagner sous réserve d’une trop grande disproportion, en revanche, s’agissant du préjudice spécifique relatif aux biens non amortis au moment de la résiliation, il n’est pas possible de prévoir que le concessionnaire public percevra moins que l’indemnité couvrant la valeur nette comptable des biens en cas de résiliation. Dans ce cas, les parties ne bénéficient pas de la possibilité d’aménager les règles d’indemnisation de ce préjudice, au contraire des autres préjudices. C’est la raison pour laquelle, en l’espèce, le Conseil d’Etat a estimé que la Cour aurait dû écarter les stipulations de l’article 45 qui aboutissaient à ne pas indemniser la commune, concessionnaire public, de la totalité de son préjudice résultant de la part non amortis des biens remis au département concédant. La recherche du caractère manifestement disproportionné de l’indemnité ne peut intervenir, dans cas de figure, que pour les autres chefs de préjudice causés par la résiliation.

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