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Cabinet d'avocat à Paris

Modalités d’application d’une clause de retour à meilleur fortune

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Le jugement Bordeaux Métropole vient opportunément rappeler qu’une partie du contentieux contractuel de l’administration trouve à se résoudre par la possibilité pour le juge de plein contentieux, saisi par une partie au contrat, de délivrer une interprétation des stipulations dont le sens est discuté par les parties.

Le 29 mars 2006, la communauté urbaine de Bordeaux, à laquelle s'est depuis substitué Bordeaux Métropole, a conclu avec une société à laquelle s'est depuis substituée une société dédiée, une convention de délégation de service public portant sur la conception, la construction, le financement et l'exploitation d'une infrastructure de télécommunications haut débit. La conclusion de cette délégation concrétisait le souhait de la communauté urbaine de doter son territoire d'un réseau d'initiative publique Haut Débit.

Cette convention comportait, à son article 28, un mécanisme dit de "retour à meilleure fortune" qui consistait à prévoir, en contrepartie de subventions d'investissement octroyées par la communauté urbaine à la société délégataire au début de l’exécution du contrat, le versement par celle-ci de contributions annuelles à la communauté urbaine dans le cas où elle obtiendrait de "meilleurs résultats nets cumulés que ceux prévus dans ses comptes d'exploitation prévisionnels". C'est à propos de l'application de ce dispositif qu'un litige est né entre les parties sur l'interprétation qu'il convenait de donner des stipulations de l'article 28 de la convention de délégation de service public. La communauté urbaine a ainsi saisi le tribunal administratif de Bordeaux de conclusions à fin d'interprétation de ces stipulations.

Ce faisant, saisi d'un litige portant sur l'interprétation de stipulations contractuelles ayant une incidence financière importante (I), le tribunal administratif de Bordeaux a, dans la décision commentée, rendu une interprétation fragile du dispositif en cause (II).

I - Un litige portant sur l'interprétation de stipulations ayant une incidence financière importante

L'article R. 312-4 du Code de justice administrative prévoit expressément que "les recours en interprétation et les recours en appréciation de légalité relèvent de la compétence du tribunal administratif territorialement compétent pour connaître de l'acte litigieux". L'exercice de ce recours est soumis à l'existence d'un litige né et actuel de la compétence de la juridiction administrative, litige portant sur un acte juridique dont l'interprétation présente des difficultés. Ce dernier critère est souvent réalisé par la saisine elle-même : l'existence d'un litige atteste que deux lectures de certaines dispositions ou stipulations s'opposent.

En matière contractuelle, il faut que le différend ait créé de sérieuses difficultés pour l'application du contrat (CE, 11 mai 1956, Compagnie des transports en commun de la région de Douai, Rec., p. 203). Cela explique que sont irrecevables de simples demandes de consultation dépourvues de réelle contestation sur la signification de stipulations contractuelles (CE, 6 mars 1963, Commune de Saint-Vallier-de-Thiey, Rec., p. 142). En l'espèce, l'ensemble de ces conditions étaient bien réunies : les conclusions dont était saisi le tribunal administratif portaient effectivement sur des stipulations contractuelles dont l'interprétation était clairement discutée entre les parties, avec une incidence financière importante.

Les stipulations de l'article 28 de la convention de délégation avaient pour objet de permettre à la communauté urbaine de percevoir une contrepartie à ses subventions d’investissement si l'exploitation de la délégation permettait à la société délégataire d'obtenir des résultats supérieurs à ceux initialement prévus. Pour déclencher le dispositif, trois conditions devaient être réunies, à savoir : un résultat net hors éléments exceptionnels positif pour l'année considérée ; un résultat net cumulé depuis la création de la société dédiée, hors éléments exceptionnels, positif ; et enfin le fait que ce résultat net cumulé positif soit supérieur à celui prévu dans les comptes d'exploitation prévisionnels.

Si une telle clause apparaît décisive dans la définition de l'équilibre économique du contrat, elle nécessitait, afin d'être applicable, des données financières précises susceptibles de permettre à la communauté urbaine d'actionner le dispositif en fonction des résultats annuels de la société délégataire. En particulier, l’existence de comptes d’exploitation prévisionnels annexés à la convention était rendu obligatoire pour pouvoir déterminer quand la troisième condition serait réalisée. C'est précisément sur ce point que le litige est né : si des comptes d'exploitation prévisionnels avaient bien été introduits en annexe F à la convention au moment de sa conclusion, les parties avait ultérieurement modifié cette annexe par un avenant conclu le 13 juillet 2012. A cette occasion, de nouveaux comptes d'exploitation prévisionnels avaient été substitués aux précédents.

Postérieurement à la conclusion de l'avenant, par une délibération en date du 28 novembre 2014, la communauté urbaine avait refusé de donner acte à la société délégataire de son rapport annuel portant sur l'exécution de la délégation de service public au titre de l'année 2013. Elle estimait en effet que l'application de l'article 28 de la convention par référence à l'annexe F actualisée par l'avenant du 13 juillet 2012 devait conduire la société délégataire à lui verser une contribution annuelle de 386 000 euros. Par courrier en date du 15 janvier 2015, la société délégataire a néanmoins refusé de modifier le compte-rendu d'activité pour l'année 2013 : elle faisait valoir que seuls les comptes d'exploitation prévisionnels initiaux devaient servir de référence pour l'application du mécanisme de l'article 28. Un litige était ainsi formalisé autour de l'interprétation qu'il convenait de donner des stipulations de cet article.

II - Une interprétation fragile du dispositif de retour à meilleure fortune

Le recours en interprétation d'une clause contractuelle a pour effet de trancher le litige entre les parties en limitant l'office du juge à l'essentiel : lever l'équivoque sur les obligations découlant des stipulations en cause. Le juge ne tranche qu'une question d'interprétation et laisse ensuite les parties faire application des stipulations dont la signification a été clarifiée. Cela conduit, théoriquement, le juge à soigner la motivation de l'interprétation délivrée.

Dans sa requête, la communauté urbaine sollicitait du tribunal administratif qu'il juge que l'article 28 de la convention de délégation de service public devait s'interpréter comme renvoyant aux comptes d'exploitation prévisionnels figurant à l'annexe F actualisés par l'effet de l'avenant du 13 juillet 2012, et non aux comptes d'exploitation prévisionnels initiaux. Force est de constater que la décision commentée, qui a fait droit à cette requête, est faiblement motivée. Le tribunal a relevé que l'annexe F telle que modifiée par l'avenant du 13 juillet 2012 contenait "des nouveaux tableaux de comptes de résultat prévisionnels et du bilan sur la durée de l'exécution de la convention comportant, pour les années 2006 à 2011, les données réelles d'exploitation, et, pour les années suivantes, des prévisions actualisées". A partir de ce simple constat, il a estimé qu'"à défaut d'autre document prévu par les stipulations contractuelles ou produit par les parties", les comptes de résultat prévisionnels figurant à l'annexe F de la convention devaient être regardés comme les "comptes d'exploitation" mentionnés à l'article 28 de la convention.

Le juge a ainsi fait droit à la requête de la communauté urbaine, consacrant son interprétation de l'article 28, sans néanmoins que son argumentation puisse emporter totalement l'adhésion faute d'un raisonnement juridique rigoureux. Il semble s'être limité à une interprétation strictement littérale des stipulations contractuelles sans rechercher si les parties, en modifiant les comptes d'exploitation prévisionnels, avaient également entendu modifier les conditions d'application du dispositif de retour à meilleure fortune. Ce faisant, le juge a considéré que le dispositif contractuel de l'article 28 fonctionnait par renvoi horizontal -c'est-à-dire par renvoi à une norme faisant corps avec la norme effectuant le renvoi- aux comptes d'exploitation prévisionnels tels qu'ils figurent en annexe, peu important que cette annexe ait été modifiée (Sur le mécanisme de renvoi horizontal, voir A. Roblot-Troizier, Contrôle de constitutionnalité et normes visées par la Constitution française, Recherches sur la constitutionnalité par renvoi, Paris, Dalloz, 2007).

Une telle lecture souffre néanmoins d'être trop artificielle : faute pour le juge d'avoir cherché à déterminer si les parties avaient réellement la volonté d'affecter le dispositif de retour à meilleure fortune, la décision semble renoncer à tout raisonnement quant à l'équation financière du contrat. Or, comme le faisait valoir la société défenderesse, l’objet d’une clause de retour à meilleure fortune étant de permettre la correction d’un écart entre les comptes prévisionnels et la réalité de l’exécution d’une convention, ses données prévisionnelles n’ont pas vocation à être révisées. Il aurait donc fallu chercher à déterminer l’intention des parties lorsqu’elles ont adopté l’avenant modifiant les données financières de l’annexe F – dont les comptes d’exploitation prévisionnels n’étaient qu’une partie.

Face à une telle fragilité, la décision pourrait se voir contestée par la voie de l'appel, d'autant qu'il n'est pas rare, en matière de recours en interprétation du contrat, de voir différentes juridictions avoir une lecture opposée de stipulations contractuelles. Ainsi, récemment, un tribunal administratif et une cour administrative d'appel ont pu adopter deux lectures radicalement opposées de stipulations relatives à la répartition de la maîtrise d'ouvrage de travaux sur le réseau concédé dans le cadre d'une concession de distribution publique d'électricité (TA Orléans, 21 mars 2013, n° 1203199 ; CAA Nantes, 4ème ch., 5 décembre 2014, n° 13NT01455).

De sorte que, face à un dispositif contractuel affectant l'économie du contrat, on pourrait envisager une toute autre lecture des stipulations en cause par le juge d'appel s'il devait être saisi.

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