BODA
Cabinet d'avocat à Paris

Injonctions du juge des référés pour assurer la restitution des moyens nécessaires au service public

Rate this item
(0 votes)

Rendu à propos du service public des communications électroniques, l’arrêt Département des Hauts-de-Seine rendu par le Conseil d’Etat le 21 octobre 2015 confirme le droit, pour l’administration, de s’adresser au juge afin de récupérer les éléments nécessaires au fonctionnement du service public suite à la résiliation d’une convention de délégation du service public.

L'article L. 1425-1 du Code général des collectivités territoriales consacre l’existence d’un service public facultatif relatif aux réseaux et services locaux de communications électroniques. Récemment, la Cour administrative d’appel de Nantes a précisé la consistance de ce service public. Elle a notamment visé explicitement les dispositions de l'article L. 1425-1 du Code général des collectivités territoriales pour considérer que des infrastructures de télécommunications sont affectées à un service public local (CAA Nantes, 17 avr. 2015, n° 13NT00245, Société France Télécom c/ Communauté d'agglomération du pays de Vannes).

En l’espèce, le département des Hauts-de-Seine a saisi la juridiction administrative sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative, d’un litige l’opposant à son délégataire de l’établissement et l’exploitation d’un réseau de communications électroniques à très haut débit sur le territoire départemental. En effet, suite à la résiliation de la convention, le département, qui souhaitait reprendre l’exploitation du service en régie, s’est heurté au refus de son cocontractant de lui restituer certaines données et certains biens. Il s’agissait à la fois des documents, informations et données nécessaires à l’exploitation du service public et des badges, clés et procédures permettant l’exploitation et la maintenance du réseau très haut débit.

Le département avait alors sollicité du juge des référés qu’il enjoigne au cocontractant récalcitrant de lui remettre ces éléments. Dans son ordonnance, le juge des référés du Tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait fait droit à la première partie des conclusions à fin d’injonction dont l’avait saisi l’autorité délégante tout en rejetant, sans motifs, le surplus des conclusions (TA Cergy-Pontoise, Ordonnance, 3 aout 2015, Département des Hauts-de-Seine, n° 1505656).

Devant le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, la société défenderesse avait soulevé une irrecevabilité tirée de l’absence de respect, par le Département, des stipulations de la convention de délégation relatives à une procédure de conciliation préalable à la saisine du juge.

En pratique, de nombreux contrats de délégation comprennent des stipulations mettant en place une procédure de ce type. Or, la mise en œuvre d’une telle procédure prend du temps (à savoir quelques mois) et est ainsi susceptible de retarder l’exécution du contrat. Par ailleurs, dans de nombreux contrats, les stipulations concernées ont été rédigées il y a de nombreuses années et paraissent obsolètes, de sorte que l’autorité administrative est parfois empêchée de les mettre en œuvre. Pour autant, le Conseil d’Etat a déjà jugé qu’un recours contentieux est irrecevable en l’absence de respect par le demandeur des stipulations contractuelles prévoyant une procédure de conciliation préalable (CE, 9 décembre 1991, Snoy, n° 84308). Les stipulations contractuelles imposant la mise en œuvre d’une conciliation préalable font également obstacle à la saisine du juge des référés si elles n’ont pas été préalablement respectées (CAA Bordeaux, 15 septembre 2011, commune de Parempuyre, n° 10BX03106). Le Conseil d’Etat a également jugé que de telles stipulations faisaient obstacle à ce que l'autorité délégante émette directement un titre exécutoire à l'encontre de son cocontractant (CE, 28 janvier 2011, Département des Alpes-Maritimes, n° 331986). Récemment, dans un arrêt Societes Equalia et Polyxo (CE, 5 février 2014, Societes Equalia et Polyxo, n° 371121), le Conseil d’Etat avait cependant précisé que l’absence de respect d’une procédure de conciliation stipulée au contrat ne constituait pas un moyen d’ordre public que le juge pouvait soulever d’office.

En première instance, le juge des référés avait précisé que si l’article 46 de la Convention de délégation de service public prévoyait la mise en œuvre d’une conciliation préalable avant la saisine du juge, ces stipulations s’appliquaient sans préjudice d’autres stipulations. Or, les stipulations des articles 43 et 51 de la même Convention prévoyaient expressément et sans conciliation préalable de mettre en demeure le délégataire, d’exiger de ce dernier le versement de l’indemnité de rachat ainsi que la remise automatique et immédiate des biens de retour en fin de contrat. En outre, le juge avait relevé que différents courriers adressés par le Département des Hauts-de-Seine à son cocontractant en vue d’obtenir la communication de divers documents et la fourniture de clés témoignaient de tentatives de conciliation demeurées infructueuses. Ainsi, par cette motivation, le juge atteste une lecture pragmatique et in concreto des stipulations contractuelles, propre à assurer la continuité et le bon fonctionnement du service public.

Il avait ainsi rejeté l’irrecevabilité soulevée par le défendeur tiré du non-respect de la procédure de conciliation préalable prévue par le contrat et enjoint sous astreinte à la société défenderesse de fournir au Département les informations demandées qui étaient nécessaires à la continuité et au bon fonctionnement du service public. Toutefois, il avait omis de statuer sur la seconde partie des conclusions, relative à certains biens matériels nécessaires à l’exploitation physique du service. Dans la décision commentée, le Conseil d’Etat a ainsi annulé pour insuffisance de motivation l’ordonnance querellée dès lors qu’elle a rejeté le surplus des conclusions de la requête tendant à ce qu’il soit enjoint au délégataire de remettre certains biens matériels nécessaire au fonctionnement du service sans se prononcer sur le bien-fondé de ces conclusions.

Retenant que la société ne contestait pas le contenu du mémoire par lequel le département précisait le dernier état de sa demande, il a estimé « qu’eu égard à l’utilité des mesures sollicitées pour la continuité du fonctionnement du service public dans le dernier état de la demande du département, il y a lieu d’enjoindre à la société Sequalum de lui délivrer soixante deux badges supplémentaires permettant l’accès à tous les nœuds de raccordements optiques (NRO), deux jeux de clés pour tous les NRO pour lesquels la société Sequalum n’est pas le titulaire direct du droit d’occupation, les cartes permettant de reproduire sans autorisation préalable les clefs des NRO fournies, deux jeux de clés pour chacun des sous-répartiteurs optiques de niveau 1 (SRO1) ou, en cas de clé unique, un jeu de dix clés accompagné des cartes permettant de les reproduire sans autorisation préalable, un double des clés des armoires hébergeant les boîtiers des sous-répartiteurs optiques de niveau 2 (SRO2) et vingt clés supplémentaires pour l’ouverture des boîtes à clés de chaque site lorsque cela est nécessaire à l’accès au NRO, SRO1 et SRO2 ». Enfin, il a enjoint à l’ancien délégataire de restaurer le fonctionnement de tous les badges dont dispose le département sur les NRO puis de déconnecter son système de contrôle à distance.

Le Conseil d’Etat promeut une approche concrète des biens nécessaires au service public : leur nécessité est liée à l’exécution du contrat et à l’exploitation effective du service public en cause. Le litige en cause en l’espèce imposait néanmoins, par le caractère technique des moyens en litige, une demande précise et argumentée de la collectivité délégante. Une fois l’utilité au service public établie, l’office du juge est alors de prononcer une injonction qui soit suffisamment précise pour que l’exécution de sa décision donne à la collectivité les moyens effectifs d’assurer ou de faire assurer le service.

Read 2954 times