BODA
Cabinet d'avocat à Paris

Refus de transmettre la QPC sur le monopole des avocats aux conseils

Par un arrêt en date du 28 septembre 2016, le Conseil d'Etat a rejeté la QPC déposé par le Cabinet visant le monopole des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

La décision, reproduite ci-dessous, ne répond pourtant pas aux arguments soulevés. Elle est commentée sur le lien suivant: http://www.village-justice.com/articles/QPC-Avocats-aux-conseils-naufrage-Conseil-Etat-points-Par-Jean-Sebastien-Boda,23202.html 

 

CONSEIL D'ETAT

statuant
au contentieux MD

N° 397231
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M. BODA
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M. Benjamin de Maillard
Rapporteur
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Mme Maud Vialettes
Rapporteur public
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Séance du 26 septembre 2016
Lecture du 28 septembre 2016
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REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 4ème et 5ème chambres réunies)

Sur le rapport de la 4ème chambre
de la Section du contentieux

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 4 juillet, 2 septembre, 12 septembre et 19 septembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, M. Jean-Sébastien Boda demande au Conseil d’Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de sa requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a refusé d’abroger les articles R. 432-1, R. 613-5 et R. 733-1 du code de justice administrative, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions législatives de l’ordonnance du 10 septembre 1817 et des articles 4 et 5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.

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Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et l’article 61-1 ;
- l’ordonnance du 10 septembre 1817 ;
- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971, notamment ses articles 4 et 5 ;
- la décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benjamin de Maillard, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Maud Vialettes, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 27 septembre 2016, présentée par M. Boda ;

1. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) » ; qu’il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité de M. Boda est présentée à l’appui de ses conclusions d’excès de pouvoir dirigées contre les dispositions de l’article R. 432-1 du code de justice administrative, aux termes desquelles, devant le Conseil d’Etat : « La requête et les mémoires des parties doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentés par un avocat au Conseil d’Etat (…) » et contre les dispositions des articles R. 613-5 et R. 733-1 du même code, en tant qu’elles réservent aux seuls avocats au Conseil d’Etat la faculté de présenter, pour les parties qu’ils représentent, des observations orales à l’audience devant le Conseil d’Etat ;

Sur les dispositions de l’ordonnance du 10 septembre 1817 qui réunit, sous la dénomination d’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, l’ordre des avocats aux conseils et le collège des avocats à la Cour de cassation :

3. Considérant que M. Boda, qui se borne à contester la conformité à la Constitution des « dispositions législatives » de cette ordonnance, sans indiquer celles qui porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, n’assortit pas sa question prioritaire de constitutionnalité des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ;

4. Considérant, au demeurant, que seules les dispositions de l’ordonnance du 10 septembre 1817 qui ont été modifiées par des dispositions de nature législative revêtent, par suite, un caractère législatif ; que le Conseil constitutionnel a, par une décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article 57 de la loi n° 2015 990 du 6 août 2015, dont sont issues les dispositions de l’article 3 de l’ordonnance dans leur rédaction actuellement en vigueur ; que les autres dispositions législatives de l’ordonnance, qui fixent les conditions d’exercice de la profession et les règles de fonctionnement de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, ne sont pas applicables au litige ;

Sur les dispositions des articles 4 et 5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques :

En ce qui concerne l’article 5 :

5. Considérant que le Conseil constitutionnel a, par la même décision n° 2015 715 DC du 5 août 2015, déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article 51 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, lesquelles reprennent les dispositions de l’article 5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques aux termes desquelles : « Les avocats exercent leur ministère et peuvent plaider sans limitation territoriale devant toutes les juridictions et organismes juridictionnels ou disciplinaires, sous les réserves prévues à l'article précédent (…) » ; que M. Boda, qui n’invoque aucun changement de circonstances, ne saurait, par suite, utilement contester la conformité à la Constitution de ces mêmes dispositions ;

En ce qui concerne l’article 4 :

6. Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : « Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires de quelque nature que ce soit, sous réserve des dispositions régissant les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (…) » ; que ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, ont pour effet de réserver aux seuls avocats de l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation la représentation des parties devant le Conseil d’Etat lorsque le ministère d’avocat est rendu obligatoire par les règles de procédure applicables, ainsi que la faculté de plaider à l’audience devant le Conseil d’Etat ; que, contrairement à ce que soutient le garde des sceaux, ministre de la justice, elles sont, par suite, applicables au litige ;

7. Considérant que les dispositions de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 n’ont ni pour objet, ni pour effet, de régir l’accès aux fonctions d’avocat au Conseil d’Etat ; que M. Boda n’est, par suite et en tout état de cause, pas fondé à soutenir qu’elles méconnaissent le principe d’égal accès aux emplois publics ;

8. Considérant que M. Boda soutient également qu’en ce que, pour les affaires portées devant le Conseil d’Etat, elles permettent de réserver aux seuls avocats au Conseil d’Etat la représentation des parties et la faculté de plaider à l’audience, les dispositions de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971 sont contraires au droit à un procès équitable, à l’égalité des requérants devant la justice, à l’égalité de traitement entre avocats, ainsi qu’à la liberté d’entreprendre des avocats dans l’exercice de leur profession ;

9. Considérant qu’aux termes des dispositions de l’article L. 111-1 du code de justice administrative : « Le Conseil d’Etat est la juridiction administrative suprême. Il statue souverainement sur les recours en cassation dirigés contre les décisions rendues en dernier ressort par les diverses juridictions administratives ainsi que sur ceux dont il est saisi en qualité de juge de premier ressort ou de juge d’appel » ; qu’eu égard aux spécificités des règles de procédure devant le Conseil d’Etat, juridiction suprême de l’ordre administratif, le monopole de la représentation et de la prise de parole par des avocats spécialisés, qui répond à l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice et vise à garantir l’exercice effectif de leurs droits par les parties, ne méconnaît pas, par suite, le droit des parties à un procès équitable ou l’égalité de traitement entre les parties ; que, pour les mêmes motifs, les restrictions qu’il introduit dans l’exercice de la profession d’avocat ne portent pas d’atteinte injustifiée à l’égalité de traitement entre les avocats, ni d’atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre de ces derniers ;

10. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit aux points 6 à 9 que la question de constitutionnalité soulevée à l’encontre de l’article 4 de la loi du 31 décembre 1971, qui n’est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ;

11. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions de l’ordonnance du 10 septembre 1817 et des articles 4 et 5 de la loi du 31 décembre 1971 portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté ;

D E C I D E :
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Article 1er : Il n’y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. Boda.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-Sébastien Boda, au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée à l’ordre des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation et au Conseil constitutionnel.