BODA
Cabinet d'avocat à Paris

Nouveau dépôt d'une QPC sur les avocats aux conseils

Le Cabinet a déposé le 29 septembre 2017 une nouvelle question prioritaire relative au monopole des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

Selon l’article L. 721-1 du Code de justice administrative : « La récusation d'un membre de la juridiction est prononcée, à la demande d'une partie, s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité ». Par cette disposition législative, le législateur a entendu permettre aux parties de disposer d’une voie de droit garantissant l’impartialité de la juridiction administrative. Cette voie de droit n’est soumise, ni par la loi, ni par le règlement, au ministère d’avocat.

Néanmoins, interprétant ces dispositions, le Conseil d’Etat a jugé (CE, 25 juin 2014, M. Krikorian et autres, n° 390845) : « Considérant qu'aucun texte spécial ne dispense la présentation de telles conclusions du ministère d'un avocat au Conseil d'Etat ; que, faute pour M. Krikorian et autres d'avoir répondu à la demande qui leur a été adressée de recourir à ce ministère et de régulariser ainsi leur requête, ces conclusions, présentées sans le ministère d'un avocat au Conseil d'Etat, sont irrecevables et doivent être rejetées ».

Cette interprétation est constante : (CE, 31 mai 1999, Ministre de l'intérieur c/ Liste "Justice en Europe - Comité de soutien au préfet Bonnet", n° 208399 ; CE, 24 janvier 1994, Chaibeddera, n° 120601 ; CE, 26 juin 1995, Bertin, n° 64626 ; CE, 14 avril 1995, Jacques Bidalou, n° 159513).

En conséquence, la question prioritaire de constitutionnalité vise à contester « la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante confère à cette disposition », à savoir l’ajout par le Conseil d’Etat d’une condition non prévue par le texte, celle du ministère d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pour pouvoir valablement déposer une demande de récusation devant cette juridiction, quelle que soit la procédure concernée.

I. La méconnaissance des droits de la défense en tant que l’interprétation contestée restreint le libre choix de son avocat

De jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge qu'il incombe au législateur « d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties ; qu'au nombre de celles-ci figure le respect des droits de la défense, qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ».

Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel a précisé que le libre choix de l’avocat était une composante des droits de la défense ainsi protégés. Dans une décision du 17 février 2012 (Décision n° 2011-223 QPC du 17 février 2012) il a ainsi jugé « Considérant que, si la liberté, pour la personne soupçonnée, de choisir son avocat peut, à titre exceptionnel, être différée pendant la durée de sa garde à vue afin de ne pas compromettre la recherche des auteurs de crimes et délits en matière de terrorisme ou de garantir la sécurité des personnes, il incombe au législateur de définir les conditions et les modalités selon lesquelles une telle atteinte aux conditions d'exercice des droits de la défense peut être mise en œuvre ; que les dispositions contestées se bornent à prévoir, pour une catégorie d'infractions, que le juge peut décider que la personne gardée à vue sera assistée par un avocat désigné par le bâtonnier de l'ordre des avocats sur une liste d'avocats habilités établie par le bureau du Conseil national des barreaux sur propositions des conseils de l'ordre de chaque barreau ; qu'elles n'obligent pas à motiver la décision ni ne définissent les circonstances particulières de l'enquête ou de l'instruction et les raisons permettant d'imposer une telle restriction aux droits de la défense ; qu'en adoptant les dispositions contestées sans encadrer le pouvoir donné au juge de priver la personne gardée à vue du libre choix de son avocat, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions qui portent atteinte aux droits de la défense ; que par suite, l'article 706-88-2 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution ».

Par cette décision très importante, le Conseil constitutionnel a ainsi consacré le droit, pour toutes personnes, de choisir son avocat sans que le législateur ne puisse y faire obstacle sauf « à titre exceptionnel » et au nom de la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment garantir la sécurité des personnes.

Ce qui prévaut, c’est donc bien le libre choix de son conseil pour se défendre – et les droits de la défense valent pour toutes les procédures et pas uniquement pour la procédure pénale – et celle-ci ne peut céder que dans certains cas déterminés, au nom de la prévention des atteintes à l’ordre public.

En matière de procédure administrative contentieuse, si l’article R. 432-1 du Code de justice administrative prévoit que la requête devant le Conseil d’Etat doit être présentée « par un avocat au Conseil d'Etat », l’article R. 432-2 du même Code s’empresse de prévoir de nombreuses exceptions pour une partie importante du contentieux.
Dans les domaines visés par l’article R 432-2, chacun est donc libre de choisir les modalités de sa défense : soit se défendre seul, soit recourir aux services d’un mandataire, lequel peut-être un avocat inscrit à un barreau.

Néanmoins, si au cours de la procédure en cause – qui ne nécessite donc pas qu’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation soit mandataire – une partie à des soupçons de partialité sur son juge, elle doit, non par la grâce de la loi, muette sur ce point, mais bien par celle de l’interprétation qu’en a donné le Conseil d’Etat, recourir au service de l’un de ces avocats pour faire une demande de récusation.
Pourtant, une demande de récusation ne nécessite aucun savoir juridique particulier dès lors d’une part que la possibilité de récuser son juge pour partialité vise d’abord des questions factuelles, d’autre part que les conditions posées par les articles R. 721-1 et suivants sont d’une grande simplicité.

D’une part les conditions de la récusation sont bien essentiellement factuelles, d’autre part à aucun moment il n’est fait mention de la nécessité d’un mandataire particulier.

En conséquence la portée effective que l’interprétation jurisprudentielle constante du Conseil d’Etat confère aux dispositions de l’article L. 721-1, en imposant le ministère d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pour effectuer une demande de récusation d’un membre de la section du contentieux du Conseil d’Etat quelle que soit la procédure concernée, apparaît comme une exception au libre choix de son défenseur par la partie à une procédure dépourvu du ministère d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.

Or, cette exception, qui vient restreindre la liberté de choix du défenseur, n’est justifiée par aucun objectif : ni par la préservation de l’ordre public, ni par la bonne administration de la justice qui d’une part ne peut être un objectif acceptable pour limiter le choix de l’avocat selon la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel, d’autre part ne justifie en rien qu’une demande fondée sur une appréciation factuelle soit réservée à certains avocats qui n’ont aucune expertise spécifique en la matière.

II. La méconnaissance de la liberté d’entreprendre par l’extension d’un monopole non prévu par les textes

Dans une décision du 16 janvier 1982 (Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982), le Conseil constitutionnel a jugé « que la liberté qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre (...) ».
Depuis plusieurs années, le Conseil constitutionnel juge « qu'il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi ; (...) » (Décision n° 2000-439 DC du 16 janvier 2001).

La liberté d’entreprendre ainsi consacrée ne se limite pas à permettre le libre accès aux professions, elle inclut également le libre exercice des activités (Voir la décision n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 à propos de la suppression d'une exonération fiscale).

Selon le Conseil constitutionnel, la liberté d’entreprendre protège les activités exercées par des professions indépendantes, telles les professions réglementées (Décision n° 2015-507 QPC du 11 décembre 2015). A travers le principe constitutionnel de liberté d’entreprendre, l’activité des médecins libéraux est ainsi protégée (Décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016).

L’exercice de la profession d’avocat est dès lors garantie constitutionnellement à travers la liberté d’entreprendre. Le législateur ne peut donc lui apporter des limites que si celles-ci sont liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général et si elles ne portent pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi.

Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel contrôle que l’instauration d’un monopole ne limite pas de façon disproportionnée la liberté d’entreprendre (Décision n° 2012-258 QPC du 22 juin 2012).

La portée effective que l’interprétation jurisprudentielle constante du Conseil d’Etat confère aux dispositions de l’article L. 721-1, en imposant le ministère d’avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation pour effectuer une demande de récusation d’un membre de la section du contentieux du Conseil d’Etat, quelle que soit la procédure concernée, crée un monopole nouveau au profit des avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation : celui de la demande en récusation devant le Conseil d’Etat.

Ce faisant, ainsi interprétées, les dispositions de l’article L. 721-1 du Code de justice administrative portent une atteinte à la liberté d’entreprendre qui ne trouve pas de réelle justification d’intérêt général en l’état du droit et elle est, en tout état de cause, manifestement disproportionnée.

La seule justification apportée par le Conseil d’Etat à l’appui de son interprétation effective contestée est le silence du législateur. On a connu justification plus dense et convaincante.

Surtout, l’existence d’un monopole pour une catégorie d’auxiliaire de justice et d’officiers ministériels ne peut être le seul fait du silence du législateur. En matière de libertés fondamentales, en effet, le législateur doit précisément justifier les atteintes qu’il entend porter aux libertés.

En tout état de cause, la spécialisation que nécessiterait la procédure de cassation ne peut ici être avancée. Si l’on peut comprendre que la technique de cassation nécessite une formation supplémentaire, celle-ci ne saurait constituer une justification à un monopole constitué pour effectuer les demandes de récusation devant le Conseil d’Etat, lesquelles sont sans lien avec la technique de cassation.

Si l’interprétation litigieuse de l’article L. 721-1 du Code de justice administrative est ainsi dépourvue de toute justification, à l’inverse, on peut penser que ce n’est pas ce que souhaitait le législateur dans une optique de simplification. On rappellera que l’intégration des avoués parmi les avocats a été déclarée conforme à la Constitution par le conseil constitutionnel dans une décision du 20 janvier 2011(Décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011) dans laquelle il relevait : « Considérant que la loi déférée supprime le monopole de représentation des avoués devant les cours d'appel ; que le législateur a ainsi entendu simplifier et moderniser les règles de représentation devant ces juridictions en permettant aux justiciables d'être représentés par un seul auxiliaire de justice tant en première instance qu'en appel ; qu'il a également entendu limiter les frais de procédure devant ces juridictions ; qu'il a poursuivi ainsi un but d'intérêt général ».

Ce faisant, le Conseil constitutionnel prenait en compte l’impact concret pour les requérants, tant en termes de coût que de prestation, du monopole dévolu aux avoués.
Comment alors ce même législateur soucieux du coût des procédures, aurait-il pu vouloir, par son seul silence, qu’au cours d’une instance où elle est déjà représentée par un avocat inscrit à un barreau, une partie doive, si elle constate une partialité d’un juge, avoir recours, pour effectuer une simple demande de récusation, aux services d’un avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, auxiliaire de justice et officier ministériel qui pour autant n’intervient pas gracieusement ?

La liberté d’entreprendre des avocats est ainsi méconnue de façon manifestement disproportionnée par l’interdiction d’assister et représenter les parties pour effectuer une demande de récusation devant le Conseil d’Etat.